Israël a suspendu les droits fondamentaux des Palestiniens depuis un demi siècle

Maureen Clare Murphy, 17 décembre 2019

« Une opposition pacifique à l’occupation pourrait vous conduire en prison », d’après Omar Shakir de Human Rights Watch. (Mahmoud Ajjour / APA images)

Israël a dénié aux Palestiniens vivant sous occupation militaire leurs droits civiques fondamentaux depuis plus de cinq décennies, c’est ce que dit un rapport publié aujourd’hui par Human Rights Watch.

Les ordres militaires radicaux imposés immédiatement après l’occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967 sont toujours en place aujourd’hui, excepté pour Jérusalem Est qu’Israël a annexée en violation du droit international.

« Les Israéliens ont privé des générations de Palestiniens de Cisjordanie de leurs droit civiques fondamentaux, dont les droits de libre assemblée, d’association et d’expression, s’appuyant régulièrement sur des ordres militaires émis aux premières jours de l’occupation », déclare le rapport.

« La suspension des droits fondamentaux présente plus d’un siècle plus tard, sans fin en perspective, viole les responsabilités fondamentales d’Israël selon le droit relatif à l’occupation. »

Les colons israéliens de Cisjordanie jouissent des droits fondamentaux déniés aux Palestiniens qui vivent sur le même territoire.

« Les responsables israéliens parlent ouvertement de leur intention d’imposer leur domination permanente aux Palestiniens de Cisjordanie », selon Human Rights Watch.

« Quels que soient les arrangements politiques, rien ne peut justifier l’accroissement continu de ces restrictions ni le régime discriminatoire enraciné à deux niveaux aujourd’hui en Cisjordanie. »

Human Rights Watch ne décrit pas ce régime discriminatoire comme un régime d’apartheid dans son rapport qui se concentre sur la Cisjordanie, excluant Jérusalem Est. Mais une étude marquante, publiée en 2017 par la Commission Economique et Sociale de l’ONU pour l’Asie Occidentale, conclut que « Israël a installé un régime d’apartheid qui asservit le peuple palestinien dans son ensemble ».

De multiples générations de Palestiniens ont vécu sous le régime draconien des ordres militaires de l’armée israélienne. Pourtant, selon Human Rights Watch, « plus une occupation est longue, plus les règles militaires devraient ressembler à un régime ordinaire de gouvernance ».

L’étude des cas présentés dans le rapport de Human Rights Watch démontre que le système de gouvernance en Cisjordanie, où les Palestiniens vivent directement sous le règlement militaire, est tout sauf ordinaire.

« Incitation »

Israël arrête des journalistes, des militants et autres en se fondant sur des ordres militaires libellés en termes vagues plutôt que sur n’importe quel crime identifiable. Ces arrestations se font même dans les villes de Cisjordanie sous le contrôle de l’Autorité Palestinienne qui n’en a que le nom.

Les militants soumis à des arrestations répétées restreignent leur implication dans la défense de leurs droits. Les journalistes s’autocensurent, craignant d’être accusés d’  « incitation » pour avoir couvert les violations des droits par Israël.

Il y a là un environnement grandement répressif qui facilite le régime militaire d’Israël et sa colonisation de la terre occupée des Palestiniens.

« Une opposition pacifique à l’occupation pourrait vous conduire en prison », déclare Omar Shakir de Human Rights Watch, auteur du rapport et récemment expulsé par Israël, dans une vidéo jointe.

« Comment pouvez vous appeler au changement quand appeler au changement peut vous conduire en prison ? » demande Shakir.

Farid al-Atrash, avocat et militant des droits de l’Homme, a été arrêté en février 2016 au cours d’une manifestation contre la fermeture de la Rue Shuhada, autrefois centre commercial de la ville cisjordanienne d’Hébron, maintenant transformée en ville fantôme. 

Son arrestation a été décrite dans une vidéo :

Les procureurs militaires ont accusé al-Atrash et d’autres militants palestiniens de violation d’ordres militaires dont « manifestation sans autorisation », entrée dans une « zone militaire fermée », « incitation » pour avoir tenté d’influencer l’opinion publique « d’une façon qui peut nuire à l’ordre ou à la sécurité publiques » en agitant des drapeaux palestiniens, et port d’un signe disant « Open Shuhada Street » (Ouvrez la rue Shuhada).

Al-Atrash a été libéré sous caution quelques jours après son arrestation, mais quatre ans après, il est toujours poursuivi par un tribunal militaire israélien.

Human Rights Watch met aussi en évidence le cas de Khalida Jarrar, députée de gauche détenue sans charge ni procès par Israël depuis son arrestation en octobre dernier.

Jarrar a été emprisonnée deux fois précédemment ces dernières années et soumise à des interdictions de se déplacer à cause de son appartenance au Front Populaire de Libération de la Palestine, considéré par Israël comme une « association illégale ».

« Les autorités n’ont jamais prétendu qu’elle était d’une manière ou d’une autre personnellement impliquée dans des activités militaires », déclare Human Rights Watch.

Une autre Palestinienne, Nariman Tamimi, a été emprisonnée pour avoir diffusé en direct une vidéo montrant sa fille adolescente affronter des soldats israéliens en décembre 2017 devant leur maison en Cisjordanie.

Dans leur accusation, les procureurs militaires déclaraient que Tamimi « avait essayé d’influencer l’opinion publique dans cette Zone de telle façon que cela pouvait nuire à l’ordre et à la sûreté publiques » et « avait appelé à la violence ».

L’accusation dénote la popularité de la vidéo, qui a été « regardée par des milliers d’utilisateurs, partagée par des dizaines d’utilisateurs, [et] a reçu des dizaines de réactions et quantité de ‘j’aime’ ». Cependant, comme le fait observer Human Rights Watch, « nulle part dans la vidéo ou dans le dossier, [Tamimi] n’appelle à la violence ».

Tamimi a accepté un arrangement pour éviter une peine plus longue si elle était déclarée coupable par un tribunal militaire, tribunaux qui n’accordent jamais de procès équitables aux Palestiniens », comme le fait remarquer Human Rights Watch. Elle et sa fille Ahed qui avait alors 16 ans et avait été vue giflant un soldat dans la vidéo diffusée en direct, ont passé toutes deux huit mois en détention.

Arrestations pour des posts diffusés sur les réseaux sociaux

Israël a criminalisé les paroles en ligne critiques de l’occupation. Ses lois militaires définissent en gros « l’incitation » comme impliquant « l’éloge, la sympathie ou le soutien à une organisation hostile ».

Selon Human Rights Watch, « ces restrictions ont particulièrement limité l’expression des journalistes palestiniens, que l’armée israélienne accuse régulièrement d’incitation ou d’affiliation au Hamas ».

L’artiste Hafez Omar, arrêté plus récemment en mars dernier par Israël, a dit à l’association de défense des droits de l’Homme Addameer qu’il a subi un interrogatoire sur « ses œuvres et ses publications sur les réseaux sociaux, surtout ceux en soutien aux droits des prisonniers palestiniens ».

L’armée israélienne a dit à Human Rights Watch qu’elle avait poursivi plus de 350 personnes pour « incitation » entre le 1erjuillet 2014 et le 30 juin 2019, les déclarant, tous sauf sept, coupables, ce qui représente un taux de 98 %. Addameer a documenté 650 cas d’arrestations pour posts sur les réseaux sociaux en 2017 et 2018 (beaucoup de ces cas impliquant des prisonniers détenus sans charge ni procès selon des ordres de détention administrative).

Tous les ans, le gouvernement israélien soumet des milliers de requêtes aux sociétés de médias sociaux telles que Facebook, Twitter, Google et YouTube pour qu’elles retirent des messages relatifs au « terrorisme » et à « l’incitation au terrorisme », jouissant d’un très haut taux d’acquiescement.

Le résultat, c’est que des médias populaires palestiniens ont vu leurs pages fermées sans avertissement ni explication. Et ce fut la même chose pour les pages affiliées à d’importants partis politiques considérés comme des associations terroristes par Israël et les Etats Unis, tels le Hamas et le Hezbollah.

Human Rights Watch fait par ailleurs remarquer que l’Autorité Palestinienne restreint elle aussi les droits dans des zones sous son contrôle qui n’en a que le nom « en arrêtant arbitrairement des gens qui la critiquent ou qui s’y opposent, particulièrement sur les réseaux sociaux, parmi les journalistes indépendants, sur les campus universitaires et dans les manifestations ».

Les Etats tiers et les organisations internationales doivent « souligner combien il est important de respecter les droits civiques des Palestiniens en Cisjordanie », déclare Human Rights Watch.

« Ils devraient envisager d’intégrer des appels pour qu’Israël accorde aux Palestiniens des droits civiques égaux à ceux qu’il accorde à ses propres citoyens dans leurs publications, rapports et positions politiques et pour asseoir la conduite d’Israël sur cette base. »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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