Transformer les déchets en or à Gaza

Par Walid Mahmoud & Muhammad Shehada – Al Jazeeera – 17 décembre 2019

Le jift – un déchet provenant de la récolte de l’huile d’olive – peut être utilisé pour le chauffage et la cuisson. (Walid Mahmoud/Al Jazeera)

Gaza ville – Peu de possibilités attendent les jeunes de Gaza une fois diplômé de l’université. Le taux de chômage chez les diplômés universitaires de 19 à 29 ans dans l’enclave côtière assiégée approchait les 80 % l’an dernier, indique le Bureau central palestinien des statistiques.

Mais les diplômés en ingénierie, Tamer Abo Motlaq, 26 ans, Usama Qudaih, 24 ans, et Khaled Abo Motlaq, 24 ans, étaient déterminés à ne pas en rajouter à cette sinistre statistique.

Mettant à profit leurs diplômes et leur désir de créer des alternatives en énergie durable, et abordable pour leurs concitoyens palestiniens à court d’argent à Gaza, le trio a fondé la Olive Jift Project – une start-up qui transforme le « jift », un sous-produit du pressage de l’huile d’olive, en boulettes de combustible pour le chauffage des maisons et la cuisson.

Afin d’obtenir un financement de départ et un mentorat précieux, les trois diplômés ont soumis leur idée de startup lors d’un concours organisé par l’ONG, DarnChurchAid (Aide de l’Église danoise).

« Notre projet a obtenu un microfinancement de 5000 dollars et reçu une assistance technique et un encadrement par l’ONG locale du Centre de développement Ma’an » a indiqué Tamer à Al Jazeera.

Une fois les boulettes de jift produites, elles sont laissées au soleil pour sécher. (Walid Mahmoud/Al Jazeera)

Convertir le jift en boulettes de combustible coûte à la société environ 150 dollars la tonne, ou 0,2 dollar le kilo – soit environ la moitié du prix local d’un kilo de bois à brûler.

« La production du jift commence par le broyage du marc frais de l’olive laissé à l’emplacement du pressoir à olives, puis nous appliquons un traitement chimique pour éliminer la mauvaise odeur de la combustion du jift et en réduire les émissions et la fumée » explique Tamer à Al Jazeera.

« Au stade final, nous comprimons le marc d’olive traité à travers une machine spécialement conçue pour produire le jift sous une forme cylindrique avec un certain nombre d’aérations. Ensuite, nous le laissons sécher au soleil jusqu’à ce qu’il soit prêt à être utilisé ».

Les fondateurs disent que la machine dont ils avaient besoin au stade final de la production leur aurait coûté les yeux de la tête avec 11 000 dollars, plus du double de leur capital de départ disponible, alors ils ont mis en commun leur savoir-faire en ingénierie pour fabriquer eux-mêmes l’équipement.

« Ensemble, nous avons construit notre propre machine à partir de rien, dans un atelier local, et au final, elle n’a coûté que 3000 dollars, y compris les dommages que nous avons subis lors des premières tentatives ratées » dit Tamer.

L’équipe derrière le projet a construit sa propre machine à partir de rien, les alternatives étant beaucoup trop coûteuses. (Walid Mahmoud/Al Jazeera)

L’équipe espère obtenir un impact significatif, même à un niveau micro-économique, en créant un produit durable qui soit abordable pour les habitants de Gaza et qui contribue à réduire les pénuries chronique en énergie tout en redressant un domaine qui s’aggrave de préoccupation environnementale.   

Hassan Tammous, maître de conférences à l’Université Al-Azhar en Égypte, a expliqué que l’extraction de l’huile laisse généralement derrière elle plus de 40 % de déchets de la récolte totale des olives. Il a affirmé à Al Jazeera que « chaque année, 80 000 tonnes de marc d’olives sont laissées sur place après l’extraction de l’huile, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ».

La gestion des déchets est un défi dans une bande de Gaza si densément peuplée. Les déchets des olives, qui peuvent finir dans les égouts ou sur les terres agricoles sont particulièrement préoccupants indique Tammous, car ils contiennent des « polyphénols et d’autres produits chimiques qui sont toxiques pour les micro-organismes, nuisibles à la production agricole et qui contaminent les aquifères ».

Les boulettes de combustible réduisent aussi les demandes en bois à brûler, bois qui provient généralement des citrus, selon Tamer.

« L’abattage des arbres n’est pas viable à Gaza, car nous n’avons pas beaucoup d’environnement vert dans une zone aussi urbaine et densément peuplée » ajoute-t-il.

Tamer affirme que non seulement les boulettes de jift sont moins coûteuses et meilleures pour l’environnement, mais elles sont encore plus efficaces. « Le bois habituel pour le feu se consume en quatre à cinq heures, alors qu’un bloc de jift brûle pendant sept à dix heures en moyenne » dit-il. « Quand il est utilisé pour le chauffage et la cuisson, quelques centimes de blocs de jift remplacent une bouteille de gaz à 64 shekels (18,47 dollar) ».

À une échelle plus industrielle, il faut environ 386 grammes de bois sec à brûler pour produire un kilowattheure dans les turbines à vapeur, contre 23 grammes seulement de jift pour produire la même quantité, selon Mazen Abu Amro, doyen de la faculté d’ingénierie de l’Université Al-Azhar. 

Après avoir fait le promotion de son projet auprès des points de vente locaux et sur les médias sociaux, l’équipe de l’Olive Jift affirme que la demande son produit avait dépassé l’offre.

« Nous avons été surpris de voir que malgré notre rythme de production de 1000 kilos à l’heure, il nous arrivait souvent de manquer de jift » dit Tamer à Al Jazeera.

« Certaines usines locales veulent que nous leur fournissions du jift en grande quantité toute l’année pour une énergie alternative, pendant que de nombreux agriculteurs à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, l’utilisent en hiver pour chauffer les serres et les élevages de poulets, car il peut leur donner jusqu’à 12 heures de chauffage ».

L’équipe espère doubler sa capacité de production l’an prochain, ainsi que sa main-d’œuvre et son personnel d’ingénierie.

D’autres produits sont aussi en cours de de développement, notamment un radiateur portable qui pourrait recharger un téléphone en brûlant du jift. 

Tamer espère que la communauté internationale accordera une attention à ce sens des affaires qui couve à Gaza.

« L’esprit d’entreprise est la voie à suivre pour contester le terrible statu quo et développer des solutions locales aux crises de Gaza », dit-il.

« Nous sommes l’une des populations les plus instruites du monde. Ce qui nous manque, c’est une occasion sérieuse pour démontrer notre ingéniosité et notre potentiel afin de créer nous-mêmes une meilleure réalité ».

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source : Al Jazeera

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