Des panneaux affichés dans tout Tel Aviv et montrant les dirigeants palestiniens les yeux bandés et à genoux révèlent ce que pensent beaucoup d’Israéliens.
Par Orly Noy, 17 février 2020
La semaine dernière, piétons et chauffeurs de Tel Aviv ont aperçu des panneaux particulièrement perturbants affichés dans toute la ville. Les panneaux, érigés par le groupe d’extrême droite « Projet de la victoire israélienne », montraient le président palestinien Mahmoud Abbas et le dirigeant du Hamas Ismail Haniyeh agenouillés, avec un bandeau sur les yeux, sur fond de destructions. La légende disait : « La paix se fait seulement avec des ennemis vaincus ».
Dimanche matin, le maire de Tel Aviv Ron Huldai a ordonné que les panneaux soient démontés, disant que les images « incitaient à la sorte de violence qui rappelle l’Etat islamique et les Nazis ». Mais ce qui était vraiment perturbant à propos des panneaux n’est pas l’incitation. Israël n’a pas besoin de chefs de claque pour la violence qu’il exerce contre le peuple palestinien. Ce qui est particulièrement écoeurant est la manière dont le panneau expose à la vue de tous les aspects les plus sombres et les plus malsains du regard collectif d’Israël vis-à-vis de nos voisins.
D’abord, le texte lui-même. « La paix se fait seulement avec des ennemis vaincus ». Quiconque espère mettre à genoux son ennemi (et les yeux bandés, pour faire bonne mesure) ne s’intéresse absolument pas à un protocole de paix — il s’intéresse seulement à la soumission. Voici l’amère vérité au coeur de tous les « pourparlers de paix » et des négociations avec les Palestiniens : Israël veut mettre à genoux les Palestiniens et les forcer à accepter de honteux accords de défaite, tout en remerciant les Israéliens des « concessions douloureuses » que nous avons été contraints de supporter.
Qu’Abbas soit montré les mains levées en signe de défaite, comme s’il s’agissait d’une scène d’exécution, révèle encore une autre vérité : Israël n’a réellement jamais fait de distinction entre les différents courants politiques palestiniens ou leur approche à l’occupation israélienne. Pour Israël, il n’y a pas de distinction réelle entre le dirigeant d’un mouvement qui croit dans le combat armé et un autre qui veille à poursuivre la coordination de la sécurité avec Israël pour empêcher les bus d’exploser au coeur des villes israéliennes.
La vérité est que chacun d’eux doit être mis à genoux. Tous doivent se soumettre.
Après 50 ans d’occupation militaire brutale et plus de 70 ans d’oppression, quelle est la signification de la défaite à laquelle le Israeli Victory Project croit qu’Israël doit aspirer ? La destruction totale à l’arrière-plan fournit un indice. La défaite signifie que le peuple palestinien doit croupir dans la mort et la décimation pendant que les « avions de combat les plus moraux » du monde tournent en cercle au-dessus d’eux. Cela, selon le panneau, est l’objectif stratégique d’Israël. Et si c’est l’objectif, alors la vallée de la mort qu’Israël a établie à Gaza est un succès retentissant.
Et pourtant le peuple palestinien refuse de se soumettre et continue de lutter pour sa libération. A quel moment, alors, Israël décidera-t-il que les Palestiniens ont été suffisamment vaincus pour « faire la paix » ? Et comment parvient-on à cette défaite finale, absolue ? Est-ce par le meurtre continuel de manifestants non armés près de la barrière de Gaza ? En continuant la politique des démolitions de maisons ? En accélérant le nettoyage ethnique en Cisjordanie ? En multipliant le nombre des Palestiniens en détention administrative? En continuant à détruire l’économie palestinienne ? Combien d’enfants palestiniens en plus doivent-ils rester dans des prisons israéliennes — certains sans procès — pour qu’Israël puisse officiellement annoncer la défaite du peuple palestinien ? Combien d’enfants palestiniens en plus doivent perdre leurs yeux pour que nous nous réjouissions de la défaite de l’ennemi ?
Quand l’objectif est la défaite absolue, tous les moyens sont justifiés. C’était précisément ce que le dirigeant colonial Uri Elizur avait en tête quand il a écrit son article maintenant tristement célèbre — dans lequel il pronait essentiellement le génocide du peuple palestinien — qu’Ayelet Shaked, quelques mois seulement avant d’être nommée ministre de la Justice, a partagé sur sa page Facebook en 2014 :
« Le peuple palestinien nous a déclaré la guerre et nous devons répondre par la guerre. Pas une opération, pas un processus lent, ou à faible intensité, pas l’escalade contrôlée, pas la destruction d’une infrastructure terroriste, pas d’assassinats ciblés. Assez de références indirectes. Ceci est une guerre. Les mots ont du sens. Ceci est une guerre. Ce n’est pas une guerre contre le terrorisme, et ce n’est pas une guerre contre des extrêmistes et ce n’est pas même une guerre contre l’Autorité palestinienne. Celles-ci aussi sont des façons d’éviter la réalité. C’est une guerre entre deux peuples. Qui est l’ennemi ? Le peuple palestinien… Qu’y a-t-il de si horrible dans le fait de comprendre que le peuple palestinien tout entier est l’ennemi ? Toute guerre est entre deux peuples, et dans chaque guerre le peuple qui a commencé la guerre, ce peuple entier, est l’ennemi. Une déclaration de guerre n’est pas un crime de guerre. Répondre par la guerre ne l’est certainement pas. Pas plus que l’utilisation du mot « guerre », ni une définition claire de qui est l’ennemi. Au contraire : la moralité de la guerre (oui, cela existe) est fondée sur l’hypothèse qu’il y a des guerres dans le monde et que la guerre n’est pas l’état normal des choses, et que dans les guerres l’ennemi est d’ordinaire un peuple entier, y compris ses personnes âgées et ses femmes, ses cités et ses villages, sa propriété et son infrastructure. »
Après nous être débarrassés d’un peuple entier — y compris ses personnes âgées et ses femmes, ses cités et ses villages, sa propriété et son infrastructure — nous concluerons peut-être alors qu’ils ont été « convenablement vaincus » et nous pourrons finalement faire la paix.
Orly Noy est éditrice de Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose farsi. Elle est membre du bureau exécutif de B’Tselem et militante dans le parti politique Balad. Ses écrits s’intéressent aux lignes qui intersectent et définissent son identité comme Mizrahim, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant à l’intérieur d’une immigrante permanente, et au constant dialogue entre elles.
Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Local Call.
Trad. de l’anglais : CG pour l’Agence Média Palestine
Source: +972