Des médecins israéliens continuent de faciliter l’industrie de la torture de l’agence israélienne du renseignement

11 Février 2020  – Ruchama Marton  – Doctor  -Tel Aviv

Cher Directeur de publication,

À la suite de précédents échanges de courrier avec BMJ sur ce sujet, je souhaite ajouter que la complicité active de médecins israéliens avec la torture continue en Israël (1). Il ne s’agit pas seulement de médecins attachés à l’agence du renseignement Shin Bet ni de ceux qui travaillent au service pénitentiaire d’Israël, mais aussi de médecins se trouvant dans des services d’urgence dans tout Israël, qui écrivent des rapports médicaux fallacieux. J’écris en tant que médecin et en tant que fondatrice de Médecins pour les Droits Humains (PHRI) dont les études détaillées « Bombes à retardement » (2007) et « Falsification de la preuve, abandon de la victime » (2011) ont rassemblé des preuves irréfutables de ces pratiques (2) (3)).

Ces abus datent de nombre d’années. En juin 1993 j’ai organisé un colloque international à Tel Aviv, au nom de PHRI au sujet de la torture en Israël. Lors de ce colloque, j’ai mis en évidence un formulaire d’admissibilité du Shin Bet, découverte par chance par un journaliste israélien. Il était demandé au médecin du Shin Bet de certifier si le prisonnier pouvait être maintenu à l’isolement, s’il pouvait être attaché, cagoulé et si on pouvait le faire rester debout pour une longue durée. C’était de fait une fiche « d’aptitude à la torture » à signer par le médecin. Quatre ans plus tard, une deuxième fiche soupçonnée d’être semblable à la première, est apparue, bien que le Shin Bet ait toujours nié qu’elle eût jamais existé. À ce moment là, PHRI a demandé à l’Association Médicale Israélienne (IMA) d’intervenir, puisqu’elle est mandatée pour agir en tant que membre de l’Association Médicale Mondiale (WMA) – la déclaration de Tokyo de la WMA interdit à tout médecin de collaborer à la torture, et leur prescrit de s’exprimer et de protéger le patient lorsqu’il y a une suspicion de torture. L’IMA n’a rien fait.

Ce que nous avons découvert a été publié dans le livre « Torture : les droits humains, l’éthique médicale et le cas d’Israël » (1995) qui semble interdit à la vente en Israël. 

26 ans plus tard, fin 2019, nous assistons au même cours des choses dans le cas d’un Palestinien de 44 ans, Samer Arbeed que les interrogatoires ont laissé dans un état critique à l’hôpital, dans le coma, avec une assistance respiratoire et en défaillance rénale. Aucun docteur l’ayant vu, ni l’Association Médicale Israélienne n’ont émis de protestation sur la torture qu’il avait subi. 

De plus, les médecins des services d’urgence en Israël écrivent des rapports médicaux fallacieux conformément aux demandes du Shin Bet et ce, depuis des années. PHRI a documenté de tels cas dans « Falsification de la preuve, abandon de la victime » (2011).

La fiche d’éligibilité du Shin Bet permet : l’empêchement de dormir, l’exposition à des températures extrêmes ; le ligotage de longue durée dans des positions stressantes ; l’obligation de rester debout pour de longues durées ; le cagoulage prolongé ; les humiliations sexuelles ; l’isolement ; le refus de contact avec la famille ou un avocat. Cette sorte « d’admissibilité » conduit le prisonnier directement à la salle de torture – et le médecin le sait. De plus, sa présence dans l’unité accorde aux interrogateurs l’autorité morale de la profession médicale et les met en confiance. Dans ce rôle, il a toujours été protégé par l’IMA. Mais un médecin qui coopère avec l’industrie israélienne de la torture est complice de cette même industrie. Si un prisonnier ou une prisonnière meurt au cours d’un interrogatoire, le médecin est complice de son meurtre. Un rapport récent d’Adameer, l’association palestinienne de soutien aux prisonniers et de défense des droits humains, fournit un décompte graphique des sortes de torture et des mauvais traitements qui se poursuivent (4). 

Dans l’Allemagne nazie et au Japon pendant la deuxième guerre mondiale, en Amérique du Sud dans les années 1970-1980, aux USA après le 11 septembre et ailleurs, l’histoire a démontré comment les médecins peuvent devenir des serviteurs loyaux du régime et développer aide et complicité avec les crimes de guerre. Il en va de même en Israël.  

Dr Ruchama Marton

1. Summerfield D. : La campagne de cinq ans sur les médecins et la torture en Israël. BMJ 2014; 349:g4386.  http://dx.doi.org/10.1136/bmj.g4386
2. “Bombes à retardement”. Comité Public Contre la Torture en Israël/ Physicians for Human Rights Israel. 2007. http:www. stoptorture.org.il/en-node/69.
3. Falsification de la Preuve, Abandon de la Victime: l’implication de professionnels de la médecine dans la torture et les mauvais traitements en Israël. Comité Public Contre la Torture en Israël/ Physicians for Human Rights-Israel. stoptorture.org.il 2011.
4. Adameer, Association de Soutien aux Prisonniers et de Défense des droits Humains. Adameer rassemble des preuves tangibles de torture et de mauvais traitements commis contre des détenus palestiniens. 2019. adameer.org.

Intérêts divers: Fondatrice de  Physicians for Human Rights Israel.

Traduction SF pour l’Agence Media Palestine

Source: British Medical Journal

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