La guerre de propagande israélienne dans les séries télévisées

Le Messie de Netflix est la dernière production télévisée soutenant Israël dans sa guerre de propagande contre les Palestiniens.

Par Yara Hawari, 12 février 2020

Le dernier ajout à la liste des films de télévision soutenant Israël dans sa guerre de
propagande contre les Palestiniens est Le Messie de Netflix, écrit Yara Hawari [Capture
d’écran/Netflix]

La nouvelle guerre de propagande d’Israël se mène par des films lisses pour la télévision, de différents fournisseurs de médias dont Netflix et HBO.

Si les représentations racistes des Arabes et la glorification d’Israël ne sont pas nouvelles dans l’industrie du film et de la télévision, on observe l’arrivée d’une vague de productions vénérant les services secrets israéliens et diabolisant les Palestiniens, vus comme des menaces à la sécurité mondiale, et effaçant leur histoire.

La plus connue est la série israélienne sur Netflix Fauda (ce qui signifie le chaos en arabe), qui a été un succès mondial. La série suit une unité sous couverture des forces spéciales israéliennes connue comme les « musta’ribim », qui se déguisent en Palestiniens pour infiltrer les villes et les villages, ainsi que les manifestations palestiniennes. Ils sont particulièrement connus pour se fondre dans les manifestations, habillés comme de jeunes hommes Palestiniens, et pour kidnapper des manifestants. Fauda a été sévèrement critiquée pour sa déshumanisation des Palestiniens et l’occultation totale de l’occupation militaire, par l’absence de toute image des infrastructures visibles massives construites à travers la Cisjordanie et Gaza pour contenir les Palestiniens.

Un autre programme de télévision, sur HBO, intitulé Our Boys, (Nos fils), met en scène les événements infames entourant le meurtre de trois colons adolescents israéliens et le meurtre d’un jeune garçon palestinien, Mohammed Abu Khdeir, qui a suivi. Beaucoup ont loué le film pour sa critique d’Israël, surtout après que le Premier ministre Benjamin Netanyahou l’ait dénoncé comme antisémite. Cependant, non seulement la série renforce le récit israélien mais elle présente également le Shin Bet, l’agence de police secrète, comme défendant l’État de droit. D’autres programmes de Netflix, tels que The Spy (avec Sasha Baren Cohen), glorifient aussi les services secrets israéliens, les présentant comme l’agence des gentils luttant contre les méchants, qui se trouvent inévitablement être tous les pays arabes voisins.

Le dernier ajout à la liste des productions pour la télévision soutenant Israël dans sa guerre de propagande contre les Palestiniens est Le Messie de Netflix. Dans la série, un personnage évoquant le messie, venu du Moyen-Orient, préoccupe la CIA et le Shin Bet. Dans le premier épisode, il est vu guidant un groupe de réfugiés palestiniens-syriens vers la frontière syrienne avec, apparemment, le Plateau du Golan occupé. Un reporter fictif de CNN déclare que « en tant que déplacés palestiniens ils affirment avoir le droit de passer en Cisjordanie car ils ont droit à en avoir la citoyenneté ». En fait, les réfugiés palestiniens en Syrie viennent de la Palestine historique, maintenant reconnue comme Israël, et ils n’exigent pas de devenir des citoyens de Cisjordanie, mais affirment plutôt leur droit à retourner dans leurs villes et villages d’origine, dont ils ont été déplacés en 1948 – un droit qui est inaliénable et inscrit dans le droit international.

Ce n’est pas être pédante que d’expliquer cela ; ce genre de déni constant et subtile des droits des Palestiniens s’infiltre dans ce qui devient la norme hégémonique acceptée. J’en vois la preuve dans la référence constante de Jérusalem comme capitale d’Israël, alors que le droit et le consensus international contredisent cette affirmation, en reconnaissance des droits des Palestiniens sur cette ville.

Nous savons également trop bien ce qui se passe lorsque des réfugiés palestiniens marchent sur des barrières militaires israéliennes et affirment leur droit inaliénable à rentrer chez eux. De fait, la courageuse Grande marche du retour à Gaza nous montre les conséquences horrifiantes d’une telle action : les soldats israéliens ont abattu des centaines de Palestiniens. En contraste, Le Messie montre quelques jeeps de l’armée israélienne garées à côté des réfugiés qui campent près de la barrière.

Les autres manifestations palestiniennes qu’on voit plus tard dans la série sont systématiquement qualifiées d’émeutes – un mot utilisé communément par les médias dominants pour rendre illégitime les manifestations politiques, en sous-entendant une violence irrationnelle, souvent avec de fortes connotations raciales.

Le film glorifie également un agent du Shin Bet perturbé qui kidnappe et torture un jeune garçon palestinien presque jusqu’à la mort, et on découvre plus tard qu’il a déjà tué un autre garçon palestinien par vengeance. Non seulement les Palestiniens sont si déshumanisés que les torturer et les assassiner est présenté comme justifiable, mais l’agent est de plus dépeint comme une âme torturée, un protagoniste héroïque qui travaille avec un agent de la CIA au nom de la sécurité mondiale.

Comme la CIA dans la série Homeland, le Shin Bet dans Le Messie est décrit comme une organisation fondamentalement vertueuse qui doit parfois réaliser des actions « douteuses » au nom d’un bien supérieur. Or nous avons des documents prouvant clairement les violations systématiques des droits humains et les crimes perpétrés contre les Palestiniens ou d’autres personnes par le Shin Bet, comme la torture et les interrogatoires violents de Palestiniens, en contradiction avec le droit international et toute considération morale. Tout cela n’est pas surprenant, surtout étant donné le fait que la CIA continue d’être décrite comme une force œuvrant pour le bien dans les médias dominants malgré les preuves innombrables du contraire.

Si on ne peut pas attendre d’une grande structure médiatique comme Netflix qu’elle ait un intérêt particulier à humaniser les Palestiniens et les Moyen-Orientaux, ou à raconter leur histoire avec exactitude, il est particulièrement décevant que des acteurs arabes participent à ces productions et se rendent complices de la propagande raciste et finalement de leur propre déshumanisation. Et pourtant, tout au long de l’histoire de la télévision et du cinéma, cela a aussi toujours été le cas.

Cette récente vagues de films centrés sur Israël, tentant de le montrer comme une force du bien, est clairement une tentative de gagner la bataille actuelle de la légitimation. Alors que cette bataille pourrait apparaître comme l’une des moins importantes, l’effet de tels programmes de télévision ne saurait être sous-estimé. Ils s’inscrivent dans ce qu’on entend dans le monde sur Israël et la Palestine, et vont bientôt faire partie de la norme ou des faits hégémoniques. En effet, dans le monde d’aujourd’hui, les services de média comme Netflix, avec leurs programmes de télévision largement regardés, deviennent l’une des principales sources d’information pour beaucoup de personnes. Et s’ils ne sont pas aussi grossiers que le cinéma et la télévision orientalistes classiques, ces films ne sont pas moins racistes, et sont peut-être même plus dangereux avec leur subtilité et leur présentation lisse.

À propos de l’auteure

Yara Hawari est la responsable des politiques auprès d’Al-Shabaka, le réseau palestinien sur
les politiques.

Traduction : MUV pour l’Agence Média Palestine

Source : Al Jazeera

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