Par Jonathan Ofir, 14 mars 2020
L’épidémie mondiale de coronavirus entraîne des mesures radicales dans différents pays. Israël a 157 cas d’infection au moment où cet article est écrit.
L’épidémie, sans précédent dans l’histoire de l’État, s’est aussi attaquée à Israël dans le contexte d’une impasse politique prolongée. L’échec à former un gouvernement s’est jusqu’à présent traduit par trois élections en moins d’un an. Avec 58 sièges, le bloc de droite de Benjamin Nétanyahou est juste en dessous de la majorité à 61 sièges. Le bloc de centre-gauche a en principe la majorité avec 62 sièges, à condition d’y adjoindre les 15 sièges de la liste unie (principalement représentative des Palestiniens israéliens) comme soutien externe. Le centre-gauche créerait ainsi un « gouvernement minoritaire » dont la liste unie ne faisait pas véritablement partie. Bien qu’on en fût apparemment proche, l’espoir a récemment été anéanti par une dissension interne, non seulement de la part de l’aile droite du parti d’opposition, Bleu et Blanc, mais aussi de l’alliance de gauche Travail-Gesher-Meretz.
Mais, si les mécanismes internes peuvent aboutir à un gouvernement, essentiellement à cause du racisme sioniste-raciste, le coronavirus pourrait peut-être aider. Après tout, les moments extrêmes nécessitent des mesures extrêmes, n’est-ce pas ? La seule question est de savoir jusqu’à quelle extrémité aller.
Tandis qu’Israël a élevé sa stratégie anti-coronavirus jeudi, fermant les écoles et les universités, on a dit que le premier ministre Benjamin Nétanyahou et son rival pour diriger le pays, Benny Gantz considéraient la possibilité d’un gouvernement d’union nationale large réunissant les deux plus grands partis, le Likoud et Bleu-Blanc – une perspective qui auparavant paraissait impossible étant donné que Gantz avait exprimé le vœu de ne pas servir un premier ministre menacé de condamnation pour corruption. Le procès de Nétanyahou doit commencer ce mardi.
Dans un discours à la nation, Nétanyahou a dit que la flambée de coronavirus signifiait que « toute l’humanité est dans le même bateau ». Et sur cette base, il a appelé à un gouvernement d’unité nationale. « Ce serait un gouvernement d’urgence limité dans le temps, et nous combattrons ensemble pour sauver les vies de dizaines de milliers de citoyens » a-t-il dit. Nétanyahou aurait invité Gantz à se réunir sur cette base. Gantz, pour sa part, a parlé d’un « gouvernement d’union large ».
Dans une conversation que j’aie eue avec lui après [son adresse], je lui ai dit que nous allions continuer à soutenir toute action [destinée à la prévention de la diffusion du coronavirus en Israël] et j’ai suggéré que nos équipes de négociateurs se rencontrent et discutent du besoin et de la possibilité d’établir un gouvernement d’urgence large pour la période à venir.
Mais Gantz a dit que Nétanyahou « ne s’est adressé à moi que via les media, comme d’habitude » :
Jusqu’à présent je n’ai pas reçu de réponse sérieuse de sa part. J’attends toujours – parce qu’un gouvernement d’urgence est la bonne solution pour l’État d’Israël actuellement.
Gantz a insisté pour qu’un gouvernement d’urgence large inclue des éléments de tous les bords politiques – et cela veut dire que c’est aussi la liste unie.
Mais la liste unie est « intouchable » pour le Likoud. Réponse de Nétanyahou :
Ceux qui soutiennent le terrorisme ne peuvent faire partie du gouvernement – ni en temps normal ni en situation d’urgence.
La rhétorique du « soutien au terrorisme » a été la norme pour le Likoud, comme une souillure portée par les acteurs politiques palestiniens.
Quand c’est du terrorisme juif c’est bien sûr une tout autre histoire. Nétanyahou peut facilement donner l’accolade à Itamar Ben Gvir du Parti du Pouvoir Juif, bien que l’homme ait chez lui une photo de Baruch Goldstein, le terroriste juif kahaniste qui massacra 29 fidèles palestiniens en 1994. Ce n’est pas un problème. « Terrorisme », c’est juste un euphémisme pour « Arabes » pour le Likoud et ce n’est jamais « nous ». Même pas l’Irgoun pré-étatique qui avait bombardé l’Hôtel King David en 1946. Non, pour Netanyahou, c’étaient des « combattants de la liberté ». Le père de Netanyahou était secrétaire privé du leader révisionniste Ze’ev Jabotinsky, dont l’idéologie a formé l’Irgoun et d’autres bandes juives terroristes.
Le Likoud a placé des panneaux montrant Benny Gantz avec les dirigeants de la liste unie, Ayman Odeh et Ahmad Tibi, avec le slogan : Oui à la démocratie juive mais Non aux « soutiens du terrorisme ».
Le véritable message est « oui au racisme » et « non aux Palestiniens ». Cette provocation totalement raciste fait l’objet d’un rappel à l’ordre d’Ayman Odeh et le refus de constituer un gouvernement avec la liste unie a été condamné ici et là, mais l’attitude consistant à traiter les Palestiniens comme des partenaires non valides, est une attitude complètement dominante qui traverse tout le spectre politique sioniste et a toujours signifié que les Palestiniens peuvent intervenir dans la sphère publique pour voter mais pas jusqu’à gouverner.
Même Dan Meridor, un ancien ministre Likoud, s’est interrogé sur le refus par Nétanyahou de la liste unie comme « ne faisant pas partie de l’équation ».
Il fait appel aux racistes. Et cela va contre un principe de base du sionisme : nous aspirions à une majorité juive dans le pays. Le vote des Arabes était affirmé. Sinon, pourquoi avoir besoin d’une majorité ?
Bonne question – si vous allez effectivement appliquer l’apartheid, pourquoi le simulacre du vote ? Précisément parce que l’apartheid a besoin d’un voile si vous la jouez « juif et démocratique ». Le ministre Likoud de la justice, Amir Ohana l’a récemment formulé assez précisément :
Une voix arabe est égale à une juive pour ce qui est des élections au parlement, mais pas pour le gouvernement.
Ayman Odeh de la liste unie a dénoncé le racisme et l’hypocrisie du refus de se joindre aux Palestiniens, même dans ce moment « d’urgence » :
Aucune équipe hospitalière n’est en majorité juive. Si nous pouvons sauver des vies, nous pouvons aussi prendre des décisions, a-t-il tweeté.
Odeh se référait à la représentation disproportionnée des citoyens palestiniens dans les hôpitaux d’Israël. En employant le terme de « majorité juive », il faisait aussi une citrique directe à la rhétorique de Bleu Blanc. Gantz, tout comme Yair Lapid, use de cette rhétorique, qui suggère une pureté raciale, davantage qu’elle ne désigne vraiment une « majorité ».
Et Ahmad Tibi, qui est médecin a posté une photo où on le voit en équipement médical à l’hôpital, avec la légende :
Ils vont haïr et diviser. Nous tendrons la main, nous nous joindrons au combat et prendrons soin de TOUT LE MONDE.
Donc, Nétanyahou va exploiter l’épidémie de coronavirus pour provoquer les Palestiniens, tout en nous mettant les larmes aux yeux sur toute l’humanité dans le même bateau.
C’est aussi un jeu de nombres. Exclure la liste unie voudrait dire que le bloc loyaliste de Nétanyahou aurait une majorité plus décisive dans le « gouvernement d’union large ». Et si Gantz rejette le deal ? Eh bien alors il serait considéré comme le saboteur à un moment d’urgence nationale, parce qu’on ne mesquine pas dans de telles circonstances. S’il insiste pour dire que les membres de la liste unie sont aussi des égaux humains, il prend la défense de ceux qui « soutiennent le terrorisme ».
Toute l’humanité est dans le même bateau mais apparemment certains sont considérés moins humains que d’autres.
Jonathan Ofir est un musicien israélien, chef d’orchestre et bloggeur, écrivain, vivant au Danemark.
Traduction : SF pour l’Agence Média Palestine
Source : Mondoweiss