Les travailleurs palestiniens soupçonnés d’avoir le coronavirus sont jetés à un checkpoint en Cisjordanie sans égard pour leur santé ou leur sécurité.
Par Suha Arraf, 24 mars 2020
Qu’arrive-t-il aux Palestiniens qui travaillent en Israël et qui sont soupçonnés d’avoir contracté le nouveau coronavirus ? Sur la base de deux histoires récentes, il apparaît que les autorités israéliennes jettent tout simplement les travailleurs palestiniens malades à un checkpoint en Cisjordanie occupée sans aucun souci pour leur santé et leur sécurité.
Un média social palestinien s’est enflammé lundi après l’apparition d’une vidéo sur un travailleur palestinien, Malek Jayousi, gisant sur le bord de la route près du checkpoint de Beit Sira/Macabbim. Jayousi 27 ans, du village voisin de Sura, avait été laissé là par la police israélienne après l’avoir accusé d’avoir le coronavirus.
Ibrahim Abu Saffiyeh, journaliste local engagé volontaire dans le comité d’urgence de son village – constitué pour aider les Palestiniens au checkpoint de Beit Sira – était sur place quand la police est arrivée avec Jayousi vers midi. « Deux policiers étaient assis sur le siège avant. La voiture s’est arrêtée et l’homme [Jayousi] est sorti pouvant à peine marcher jusqu’au checkpoint. Les policiers sont sortis du véhicule, se sont désinfectés, ont désinfecté le siège arrière, sont rentrés dans la voiture et sont partis », a raconté Abu Saffiyeh.
Jayousi a expliqué à Abu Saffiyeh que les policiers israéliens étaient venus sur le chantier de construction sur lequel il travaille à Tel Aviv, lui ont dit qu’il avait le coronavirus, et l’ont emmené.
« Il avait l’air très effrayé », a dit Abu Saffiyeh. « Nous avons mis un carton sur le sol. Nous ne pouvions pas nous approcher de lui parce que nous n’avons pas d’équipement de protection, nous utilisons des masques très simples. Nous lui avons donné de l’eau et de la nourriture, mais il nous a dit qu’il ne pouvait ni manger ni boire. Il restait assis apeuré et tremblant. Nous avons immédiatement appelé le Croissant Rouge à Ramallah. Il leur a fallu environ trois heures pour arriver. »
Hospitalisé à l’Hôpital All-Watani de Naplouse, il est apparu qu’il n’avait pas le coronavirus. Son cousin, Samih Jayousi, a dit que des membres de la famille avaient récemment attrapé la grippe, même si Malek était encore à l’hôpital pour des tests additionnels.
Mardi matin, dans une conférence de presse, le Porte-parole de l’Autorité Palestinienne, Ibrahim Malham, a confirmé que le test au coronavirus de Jayousi était revenu négatif, et il a condamné le « comportement raciste du gouvernement, de l’armée et des employeurs israéliens qui jettent leurs travailleurs dans la rue ». Malham a dit aux travailleurs palestiniens de s’abstenir d’aller sur leurs lieux de travail en Israël où ils sont soumis au racisme.
REGARDEZ : Vidéo de Malek Jayousi qui est évacué du checkpoint de Beit Sira.
La police israélienne a émis la réponse suivante à l’incident : « Hier soir, la police israélienne a reçu un rapport de l’hôpital Ichilov sur un suspect qui résidait illégalement en Israël et était arrivé à l’hôpital pour un examen. Après avoir été examiné et libéré par l’équipe médicale, la police est arrivée sur place et, après avoir pris les précautions nécessaires, l’a conduit au checkpoint de Maccabim puisqu’il était entré illégalement en Israël. Le suspect n’est pas atteint du coronavirus et a été laissé au checkpoint de façon digne après qu’on ait mis fin à la violation de la loi, comme requis. Même dans cette situation d’urgence nationale, la Police Israélienne continuera à faire appliquer la loi, y compris en empêchant toute résidence illégale en Israël. »
Jayousi n’est pas le premier travailleur palestinien à être jeté au checkpoint de Beit Sira sur soupçon d’infection au coronavirus, dit Abu Saffiyeh.
Dimanche vers 14 H., Abu Saffiyeh a vu au checkpoint un homme sortir d’un taxi, qui « nous a dit qu’il avait besoin d’aide et qu’il avait peut-être le coronavirus ». Les membres du comité ont mis un carton par terre et ont donné de l’eau à cet homme, mais ne se sont pas approchés de lui.
Le jeune homme a dit qu’il avait 32 ans, qu’il vivait dans le camp de réfugiés de Jalazoun près de Ramallah et qu’il travaillait sur un chantier de construction en Israël. Il a eu de la fièvre pendant qu’il travaillait et a demandé à son employeur d’appeler une ambulance. Le travailleur a dit que son employeur avait refusé et qu’il avait alors lui même appelé une ambulance, mais les infirmiers ont refusé de l’emmener dans un hôpital israélien. « Son employeur lui a dit de rentrer chez lui en taxi, et c’est ce qu’il a fait », a dit Abu Saffiyeh.
Les volontaires de Beit Sira ont appelé le Croissant Rouge qui – comme pour Jayousi – ont mis trois heures pour arriver au checkpoint. « Je n’ai aucune idée de ce qu’il est devenu », a ajouté Abu Saffiyeh. « Dès que vous tombez malade, ils vous jettent au checkpoint comme un chien. »
D’après les estimations de Kav LaOved, ONG israélienne qui travaille à la protection des droits des travailleurs défavorisés, il y a approximativement 60.000 travailleurs palestiniens en Israël. Ils sont principalement employés dans la construction, la récolte des fruits et légumes, et l’élevage de poules pondeuses.
Jusqu’ici, les employeurs israéliens ne leur ont pas fourni de logement ou de mesures de protection contre la pandémie de coronavirus, laissant beaucoup de travailleurs dormir sur les chantiers de construction et dans les serres.
Au début de l’émergence du coronavirus, le ministre de la Défense, Naftali Bennett a annoncé qu’il conditionnait la poursuite de l’emploi des travailleurs palestiniens à une obligation de rester en Israël pour au moins deux mois, sans possibilité de rendre visite à leur famille en Cisjordanie.
Kav LaOved, conjointement avec l’Association pour les Droits Civiques en Israël et Médecins pour les Droits de l’Homme-Israël, a pris contact avec Bennett et d’autres ministres, réclamant qu’ils fournissent aux travailleurs palestiniens des logements convenables, qu’ils interdisent aux employeurs de les loger sur leur lieu de travail, et qu’ils leur accordent une assurance maladie.
Cet article a d’abord été publié en hébreu sur Local Call.
Suha Arraf est directrice, scénariste et productrice. Elle écrit sur la société arabe, la culture palestinienne et le féminisme.
Traduction : J.Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : +972 Magazine