Par Abdallah Aljamal, 14 avril 2020
Les habitants de Gaza avaient coutume de se rassembler en nombre pour accueillir les prisonniers relâchés par Israël.
Des centaines de personnes convergeaient près d’Erez, un checkpoint militaire israélien. Des messages politiques et des chants nationaux explosaient depuis des haut-parleurs.
Une fois que les prisonniers avaient passé le checkpoint, ils étaient hissés sur les épaules. La foule était impatiente de les embrasser et de célébrer la manière dont ils avaient finalement regagné leur liberté — ou au moins la liberté hautement limitée de cette relaxe dans un territoire sous strict blocus.
Peu après, un grand cortège de voitures — la plupart avec des drapeaux palestiniens flottant aux fenêtres — se rendait à la maison des prisonniers. Une tente était dressée pour que les prisonniers libérés puissent recevoir leurs visiteurs ; elle restait en place une semaine entière, parfois plus longtemps.
Le COVID-19 a tout changé.
A cause de la pandémie, le ministère de la Santé de Gaza a placé des restrictions sur les personnes entrant dans Gaza.
Sami Hamid Habib, 35 ans, a été relâché de la prison Nafha d’Israël le 30 mars. Israël l’avait emprisonné pendant quatre ans à cause de son implication avec le Hamas.
Dès qu’il est arrivé à Gaza, sa température a été contrôlée par le personnel médical. Il a ensuite été amené au Blue Beach Resort de Gaza et placé en quarantaine.
Le seul contact qu’Habib a pu avoir avec ses fils —Muhammad, 12 ans et Anas, 10 ans — pendant la quarantaine a été de leur faire signe depuis le balcon de sa chambre d’hôtel.
« Quand j’ai vu mes enfants depuis le balcon, j’ai ressenti du chagrin », a dit Habib par téléphone. « J’ai été loin d’eux pendant des années, donc je voulais les serrer contre moi et les embrasser. Cela été très dur pour moi de ne pas le faire, mais j’ai suivi les instructions du ministère de la Santé pour les garder en sécurité ».
Habib, qui a grandi à al-Shujaiyeh, un quartier de la ville de Gaza, a déclaré qu’Israël ne prenait pas de précautions adéquates pour empêcher la propagation du virus parmi les prisonniers.
« Tout ce que les autorités ont fait c’était de donner à chaque prisonnier une paire de gants et un masque par semaine », a-t-il expliqué. « Ce n’était pas assez pour nous protéger ».
Il a ajouté que les autorités de la prison avaient refusé de s’assurer que les prisonniers étaient maintenus à une distance appropriée les uns des autres. Les autorités avaient aussi refusé d’adopter des procédures moins intrusives pour compter et inspecter les prisonniers.
De plus, Israël n’a pas accepté d’organiser la livraison de médicaments supplémentaires aux prisonniers via l’Autorité palestinienne.
Un autre prisonnier récemment relâché, Rateb Fawzi Abu Aqel, est revenu à Gaza peu de jours avant Habib. Abu Aqel, lui aussi, a été placé en quarantaine.
« Ces mesures doivent être respectées », a-t-il dit. « J’ai passé 12 ans dans les prisons israéliennes au nom de mon peuple. Donc je suis prêt à passer 15 jours en quarantaine pour lui. »
« Négligence délibérée »
Le risque que les prisonniers contractent le COVID-19 est élevé. Et au moins un Palestinien — Nour al-Deen Sarsour de Betuinia, un village de Cisjordanie occupée – a été testé positif au virus après avoir été récemment relâché de détention.
Puisqu’il était détenu en proximité étroite avec d’autres détenus, il est probable qu’il a été infecté en prison.
Les organisations palestiniennes des droits humains se sont plaintes de ce qu’Israël n’ait pas amélioré adéquatement les soins médicaux et l’hygiène des prisonniers malgré la pandémie. En refusant de la faire, Israël ne respecte pas les directives de l’Organisation mondiale de la santé concernant la prévention de l’expansion du coronavirus dans les prisons.
Approximativement 5 000 Palestiniens sont détenus actuellement dans les geôles israéliennes. Parmi eux, environ 700 sont malades ou blessés, 200 d’entre eux ayant des maladies chroniques, selon Addameer, un groupe de soutien des prisonniers palestiniens.
Qadura Fares, dirigeant du Club des prisonniers palestiniens, a argué que les détenus qui se sentent malades devraient être immédiatement libérés. Il a aussi protesté sur la manière dont Israël a utilisé la pandémie comme un prétexte pour se comporter d’une façon de plus en plus répressive envers les prisonniers, en limitant leur accès aux avocats et les contacts avec des membres de leurs familles, entre autres choses.
« Dans les derniers jours, nous avons publié des dizaines d’avertissements sur ce qui se passait à l’intérieur des prisons israéliennes », a-t-il dit.
Qadoura a accusé Israël de négliger délibérément les droits des prisonniers, ajoutant : « au lieu de prendre les mesures nécessaires pour empêcher la contamination, le Service des prisons israélien a imposé des mesures punitives supplémentaires ».
Abdallah Aljamal est un journaliste basé à Gaza.
Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada