En photos : comment une Palestinienne garde vivant l’ancien art du khôl

De nos jours, le kôhl est surtout acheté sous la forme d’un crayon, comme l’eye-liner, mais une femme de Gaza préfère le préparer de la façon que lui a enseignée sa mère.

Par Maha Hussaini, 13 avril 2020

Hadia Qudeih regarde brûler et se réduire en cendres un morceau de tissu naturel imbibé d’huile d’olive, qu’elle utilisera pour fabriquer du khôl arabe traditionnel. Cette femme de 64 ans fabrique le pigment noir depuis des décennies dans l’arrière-cour de sa maison à Khan Younis, au sud de la Bande de Gaza. (Crédit: Sanad Abu Latifa)
C’est sa mère qui lui a enseigné cette technique il y a plus de 55 ans. « Avant qu’Israël n’occupe Gaza, quand j’étais en CM1, je suis revenue de l’école un jour et j’ai trouvé ma mère en train de brûler un morceau de tissu dans un pot de fer. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait et elle m’a dit que c’est ainsi que le khôl était fabriqué », a expliqué Qudeih à Middle East Eye (MEE). « J’ai été fascinée par la façon dont un morceau de tissu pouvait devenir des cendres utilisées comme maquillage, et je lui ai demandé de m’enseigner comment le faire. »
(Crédit: Sanad Abu Latifa)
Pour préparer le khôl, Qudeih rassemble du bois et le brûle jusqu’à ce qu’il devienne du charbon, avant de l’utiliser pour chauffer l’huile et mettre le feu au morceau de tissu. Elle couvre ensuite le pot de fer avec une plaque de métal pour garder la fumée noire à l’intérieur du pot et attend jusqu’à ce que le tissu se transforme en cendres noir foncé qu’elle met dans de petites jarres. « On ne peut pas utiliser n’importe quel type de tissu pour faire du khôl, celui qui est disponible sur les marchés contient du nylon et des substances chimiques, alors que celui utilisé pour le khôl doit être du pur tissu », dit Qudeih.
(Crédit: Sanad Abu Latifa)
« La procédure pour fabriquer du khôl prend d’habitude environ une demi-heure, ou un peu plus, pour remplir une petite jarre de khôl », a-t-elle dit à MEE. « Mais peu importe combien de temps cela prend, j’aime toujours le faire, particulièrement parce que mes petits-enfants se rassemblent autour de moi pour regarder comment c’est fabriqué ».
(Crédit: Sanad Abu Latifa)
Les cosmétiques pour embellir les yeux ont été utilisés depuis des milliers d’années. Le khôl arabe remonte aux anciens Egyptiens et aux communautés d’Asie occidentale, c’est la première substance de type eye-liner enregistrée dans l’histoire, portée aussi bien par les hommes que par les femmes. Elle était faite de suie, de noir de fumée mélangé avec de la graisse, d’antimoine (un élément métallique cristallin) ou de cendres mélangées avec de l’huile, et elle était appliquée avec un fin bâtonnet ou une aiguille.
(Crédit: Sanad Abu Latifa)
Une autre femme gazaouie, Um Khaled Yusuf, 65 ans, a dit à MEE qu’elle avait coutume de regarder sa mère appliquer du khôl comme une forme de maquillage, pour assister à des mariages et à des cérémonies. « Pendant les années 60, les femmes étaient plus intéressées par la beauté des yeux, et elles comptaient principalement sur le khôl arabe car c’était une forme de tradition arabe et palestinienne », a-t-elle dit. « Certaines femmes n’utilisaient pas de maquillage pour des raisons religieuses. Mais quand il s’agissait de khôl, elles croyaient que ce n’était pas haram (interdit), parce qu’elles croyaient que le prophète Muhammad utilisait du khôl et recommandait aux gens de s’en servir ». Bien que la formule ait différé au fil des années, Qudeih dit qu’elle s’en tient encore à l’ancien khôl traditionnel et apprend à sa fille et à ses petites-filles à l’utiliser à la place de l’eye-liner moderne.
(Crédit: Sanad Abu Latifa)
Dans certaines parties du monde, on croit que le khôl a des qualités protectrices et les familles encouragent les enfants à l’utiliser. Qudeih dit que pendant des années elle a appliqué du khôl arabe à « presque tous les nouveaux-nés » de son quartier « pour protéger leurs yeux des maladies ».
(Crédit: Sanad Abu Latifa)
L’artiste maquilleuse Nour Jihad, 29 ans, dit que le khôl continue à être un choix populaire. « Beaucoup de mes clientes préfèrent utiliser du khôl parce que c’est beaucoup plus sombre et que cela dure plus longtemps », a dit Jihad à MEE. « Mais je ne le recommande pas dans certains cas — Ce n’est pas sûr de l’utiliser si quelqu’un a une inflammation de l’oeil ou a récemment subi une opération à l’oeil ». (Crédit: Sanad Abu Latifa)
Qudeih, qui a quatre filles et quatre fils, dit qu’elle vend parfois du khôl pour avoir un revenu et aider ses fils mariés à couvrir les dépenses de leurs familles. Après avoir rempli de nombreuses jarres de khôl, Qudeih envoie son fils au marché local pour le vendre, pour 25 shekels israéliens (7 euros) la jarre. « Seules les anciennes générations connaissent la valeur réelle de ce khôl traditionnel et sont disposées à l’acheter ; les nouvelles générations se fient maintenant à des marques et à des eye-liners pleins de produits chimiques », dit Qudeih à MEE. « Mais je suis toujours contente de voir des jeunes femmes venir me demander du khôl. Chaque fois qu’une jeune fille ou une jeune femme me rend visite, je lui raconte son histoire, ses avantages, et à quel point nos jours étaient bons dans les années 60, au moment où j’ai appris pour la première fois à fabriquer le khôl ». (Crédit: Sanad Abu Latifa)
« Pour moi, le khôl arabe est la belle histoire de mes parents et de mes grands-parents, quand nous étions heureux et libres », a expliqué Qudieh. « C’est aussi important que les robes et les chants traditionnels palestiniens, une partie de notre héritage social. »
(Crédit: Sanad Abu Latifa)

Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Source : Middle East Eye

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