Netanyahou obtient finalement le gouvernement d’annexion qu’il attendait

Après une année d’impasse politique, Netanyahou forme une nouvelle coalition de gouvernement qui donne la priorité à l’annexion de la Cisjordanie par dessus tout le reste – y compris la bataille contre le coronavirus.

Par Meron Rapoport, 21 avril 2020

Le premier Ministre Benjamin Netanyahou et son épouse Sara s’adressent à leurs supporters, la nuit des élections israéliennes au siège du Likoud à Tel Aviv, 3 mars 2020.
(Olivier Fitoussi/Flash90)

L’accord de coalition signé entre le Likoud et Bleu Blanc lundi soir, qui a conduit à un nouveau gouvernement après trois élections et une impasse politique de plus d’un an, offre une étrange image.

L’accord, qui va voir Benjamin Netanyahou être premier ministre pendant 18 mois avant d’être remplacé par Benny Gantz, comme premier ministre alternatif, fait 14 pages et est affreusement détaillé sur le partage des portefeuilles et charges ministériels. Il porte aussi sur des questions aussi vastes que des décisions sur qui sera ambassadeur en Australie et qu’est ce qui arrivera si un obstacle se présente quant à la nomination de Netanyahou ou de Gantz comme premier ministre.

Ce qui est, néanmoins, totalement absent du document, ce sont les objectifs politiques et les plans du gouvernement.

Après une déclaration liminaire très générale, selon laquelle le gouvernement va « prendre toutes les mesures pour infléchir l’épidémie » (comme si nous pensions un seul instant que Netanyahou et Gantz allaient externaliser la gestion de la crise du coronavirus), formuler un plan pour « apporter des réponses » à différentes questions et déployer un « filet de sécurité économique et social » ambigu, le lecteur arrive enfin à une phrase brève mais pourtant significative. « Après l’installation du gouvernement, une équipe sera formée pour élaborer les principes de base du gouvernement ». En d’autres termes, nous allons d’abord former un gouvernement et seulement ensuite décider exactement en quoi consistera sa plateforme.

Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le dirigeant du parti Bleu Blanc, Benny Gantz à une cérémonie à la Knesset, le 10 novembre 2019, à la mémoire de l’ancien premier ministre Yitzhak Rabin, à l’occasion du 24ème anniversaire de son assassinat. (Yonatan Sindel/Flash90)

Il y a deux objections notables au plan du gouvernement pour arriver à un plan. La première renvoie à la loi de mobilisation des Juifs ultra orthodoxes dans l’armée, tandis que la seconde a trait à « l’application de la souveraineté », soit en d’autres termes, à l’annexion. Alors que la clause sur la conscription des ultra orthodoxes paraît fondée sur un accord entre les deux parties et adopte effectivement le statu quo concernent la mobilisation, l’annexion est un bouleversement spectaculaire du statu quo en Israël-Palestine.

D’après le journaliste israélien Barak Ravid, l’intention de Netanyahou en annexant la vallée du Jourdain et d’autres parties de la Cisjordanie occupée, était un des points les plus saillants dans les négociations pour la formation d’un gouvernement. Pourtant, l’accord retire à Gantz, tout pouvoir de veto sur les décisions concernant l’annexion.

Selon l’accord, le gouvernement sera en mesure de présenter au cabinet ou au parlement une législation permettant d’annexer une grande partie de la Cisjordanie, à partir du 1er juillet. Mais ce détail est indiqué dans une clause qui se contredit elle- 3 même directement et qui contredit aussi, jusqu’à un certain point, la précédente, tout en torpillant également tout semblant d’équilibre du pouvoir entre Netanyahou et Gantz.

L’article 28 de l’accord stipule que « le premier ministre et le premier ministre suppléant » feront la promotion du plan de paix de Donald Trump « en plein accord avec les États Unis », tout en recherchant « à préserver la stabilité régionale, à maintenir des accords de paix et à lutter pour de futurs accords de paix ». La Jordanie ayant menacé d’annuler son accord de paix avec Israël si celui-ci annexe la vallée du Jourdain, il est difficile de voir comment l’annexion contribue à « des accords de paix – ce qui veut dire que cette clause, à première vue fournit à Gantz sa seule possibilité de veto.

L’article qui suit le texte de l’accord établit néanmoins de façon explicite le fait que durant les six premiers mois de son existence, le gouvernement sera considéré comme un gouvernement d’urgence et donc qu’il ne sera pas en mesure de présenter des « projets de lois primaires ou secondaires » sur des questions sans lien avec la combat contre le COVID-19. Bien que le comité ministériel de la Knesset sur les législation ne sera autorisé à proposer aucun projet de loi qui n’ait pas été préalablement agréé entre le président du comité dirigé par Blanc Bleu et son/sa députée du Likoud, Netanyahou peut toujours pousser l’annexion sans le consentement de Gantz.

En fait, l’article 29 permet au premier ministre « d’être en mesure de porter au débat au sein du cabinet et du gouvernement, l’accord conclu avec les États Unis sur l’application de la souveraineté, pour approbation par le gouvernement ou la Knesset » à partir du 1er juillet. De plus, il dit que Netanyahou peut faire porter la proposition d’annexion par un de ses propres députés du Likoud à la Knesset, en effaçant effectivement Gantz du processus.

Un ultra-orthodoxe regarde un grand panneau de la campagne électorale figurant le président des USA Donal Trump et le premier ministre Benjamin Netanyahou, à l’entrée de Jérusalem, 3 février
(Yonatan Sindel/Flash90)

En d’autres termes, l’annexion l’emporte sur toutes les autres clauses dans l’accord de coalition et de façon particulièrement pernicieuse sur l’équilibre du pouvoir entre Netanyahou et Gantz et « l’état d’urgence », la véritable raison d’être de la formation de ce gouvernement. C’est comme si l’annexion était le caprice personnel du premier ministre pour être obéi de manière à ne pas se mettre en colère, plutôt que le changement politique le plus significatif qu’Israël ait fait depuis juin 1967 lorsqu’il a occupé la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est.

Beaucoup de choses peuvent arriver d’ici le 1er juillet, aussi est-il difficile de prophétiser si Netanyahou réussira à annexer, ou simplement quelle proportion de la Cisjordanie sera annexée à Israël. Cela dépendra largement de la situation politique du président Trump et de l’intensité de la pression que la Jordanie et potentiellement l’Égypte exerceront sur lui – de même que la pression de la part de l’establishment de la sécurité d’Israël, avec la crainte que l’annexion puisse mener à l’effondrement de la coordination sécuritaire avec l’Autorité Palestinienne et peut-être de l’accord de paix d’Israël avec la Jordanie. La façon dont l’accord de coalition a été écrit exclut cependant l’opposition de la part de la Maison Blanche, ce qui signifie que Netanyahou aura du mal à expliquer à ses soutiens toute action qui n’aboutisse pas à l’annexion de la Cisjordanie. En un certain sens, cette section le force quasiment à annexer.

Si cela se produit, une situation absurde pourrait être créée, dans laquelle Gantz, qui passera les 18 premiers mois du mandat comme ministre de la défense et Gabi Ashkenazi comme futur ministre des affaires étrangères, auront à défendre une décision dont l’impact serait celui d’une bombe nucléaire politique sans aucun moyen d’arrêter ou même d’influencer ses délais et son étendue. Il n’est pas déraisonnable de penser que l’annexion changera profondément la situation sécuritaire et les relations étrangères d’Israël, portant ombrage à toute la durée du mandat de ce gouvernement. Lorsque Gantz prendra la charge de premier ministre en octobre 2021, il est fort probable que les réactions en chaîne causées par l’annexion seront le premier problème qu’il sera obligé de traiter. Cela peut très bien être la douce revanche de Netanyahou sur son rival politique.

Meron Rapoport est un rédacteur de Local Call.

Traduction : SF pour l’Agence Média Palestine

Source : +972 Magazine

Retour haut de page