La pandémie du Coronavirus alimente un racisme accru envers les Juifs indiens en Israël

Un Juif indien de 28 ans vivant en Israël est à l’hôpital après avoir été agressé par des Israéliens qui l’ont traité de ‘corona’.

Par Saudamini Jain, le 20 mars 2020

Des Bnei Menashe arrivant en Israël après avoir émigré d’Inde. Aéroport Ben-Gourion, le 25 juin 2015. (Flash-90)

Samedi dernier, Am Shalem Singson, étudiant en yeshiva de 28 ans, marchait vers le centre ville de Tiberias avec quelques amis quand deux Israéliens ont froncé du nez et les ont appelés « corona, corona ». Singson leur a dit qu’il n’était même pas Chinois, mais Indien – lui et ses amis sont Bnei Menashe, communauté de Juifs indiens, dont plusieurs milliers vivent en Israël. Mais les hommes, furieux d’être remis en question, l’ont d’abord bousculé, puis l’ont bourré de coups de pieds.

Singson a dû être opéré pour de graves blessures à la poitrine et aux poumons. Singson, qui est encore en convalescence à l’hôpital, pense que la pandémie de ce nouveau coronavirus est devenue pour les racistes un catalyseur d’augmentation de leur fanatisme. « Ils ne veulent pas vivre avec nous, ils veulent simplement se battre », dit-il. « Ils prennent avantage [de la situation] en se servant du coronavirus… et je ne suis pas le seul à l’affronter, beaucoup d’autres le font. »

Il y a eu des rapports significatifs sur des agressions contre des Asiatiques dans le monde, par des gens les accusant de la naissance et de l’expansion du coronavirus. Le président américain Donald Trump, qui continue de l’appeler le « virus Chinois », a reçu des critiques comme quoi il mettait en danger les Asiatiques en encourageant cette désignation raciste de boucs émissaires face à la colère et à la peur des gens devant le développement de l’expansion du virus.

Les Bnei Menashe ont dû affronter le choc de ce genre de racisme – principalement, pensent-ils, parce que la grande majorité des Israéliens ne sait pas grand-chose sur eux. Au nombre de 5.000 en Israël, les Bnei Menashe ont émigré des états du Nord-Est de l’Inde – Manipur et Mizoram, à la frontière du Myanmar (Birmanie) – et ils croient qu’ils sont les descendants d’une « tribu perdue » d’Israël, vieille de 2.700 ans. Ils ne sont pas qualifiés à l’immigration selon la Loi israélienne du Retour, mais peuvent arriver sporadiquement par groupes de quelques centaines grâce à Shavei Israel, organisation israélienne à but non lucratif qui travaille à localiser à travers le monde les communautés juives « perdues » et à les ramener en Israël. Singson a immigré du Manipur en 2017 avec sa mère, sa grand-mère et son frère.

Les Bnei Menashe ont exprimé leur indignation et leur déception devant le racisme dont ils sont victimes, et ils font état des nombreuses fois où, ces dernières semaines, des membres de leur communauté ont été traités de « coronavirus » par d’autres Israéliens.

Un Israélien portant un masque dans le marché Mahane Yehuda à Jérusalem, le 20 mars 2020. (Olivier Fitoussi/Flash90)

« C’est vraiment triste de voir la plupart des Israéliens infectés, non par le coronavirus, mais par le virus du racisme », dit Shlomo Thangminlien Lhungdim, ami de 24 ans de Singson. Il y a quelques jours, après être monté dans un bus avec quelques amis Bnei Menashe, d’autres passagers l’ont fixé bizarrement et beaucoup se sont couvert le nez. « Même le chauffeur s’est mis à tousser intentionnellement dès qu’il nous a vus », dit-il. « Les gens ont tendance à nous fuir. Dans les stations de bus, les supermarchés, ils nous regardent comme des gens différents… Partout, nous sommes victimes de discrimination. La vie est affreuse. Pourquoi ? Simplement parce que notre apparence est différente ? »

Isaac Thangjom, chef de projet à la Fédération Juive du Nouveau Mexique qui a émigré en Israël en 1997, dit que sa famille n’a eu à affronter aucun incident à Ramla où il vit ou aux alentours. Mais des incidents de ce genre sont fréquents, dit-il, dans de plus petites villes comme Tiberia, Kiryat Arba en Cisjordanie, et Akko, où vivent aussi la plupart des Bnei Menashe. Il a également entendu parler de plusieurs cas de racisme lié au coronavirus. « Il y a une dame qui prenait le bus de Kiryat Arba vers Jérusalem – et elle disait qu’elle se sentait mal à l’aise parce que, quand elle voyageait dans ce bus de ville, les gens s’éloignaient d’elle »

Les Bnei Menashe ont constamment dû faire face au racisme en Israël. On les confond souvent avec les travailleurs Thaïs et Philippins malgré leurs vêtements juifs orthodoxes. Mais la pandémie du coronavirus a fait grimper ce préjugé à de nouvelles hauteurs, dit Thangjom.

L’agression sur Singson en Israël a des parallèles en Inde. Les Indiens du Nord-Est sont sujets à de la discrimination et à des attaques dans d’autres parties du pays où ils représentent des minorités raciales. On dit que beaucoup sont traités de « corona », « coronavirus » et « Chinois », même dans de grandes villes comme Delhi et Mumbai. Dans une vidéo devenue virale la semaine dernière, des étudiants indiens du Nord-Est ont demandé à leurs camarades indiens d’arrêter de les prendre pour cible.

Dans la colonie israélienne de Kiryat Arba, lors d’une permission de son service militaire, la jeune Dimi Lungdim a piqué une colère en voyant une vidéo de « Shevet Achim Va’achayot » (‘Une Tribu de Frères et Soeurs’), chant officiel pour les célébrations du Jour de l’Indépendance d’Israël en 2019. Le message de parenté dans ce chant sonne creux pour Lhungdim au vu de l’agression sur Singson.

« Je pensais, pourquoi chantez vous ce chant qui dit que nous sommes frères et sœurs ? », dit Lhungdim. « Chaque fois qu’arrivait cette phrase, je pensais ‘vous ne savez pas ce que vous dîtes’. Ils disent, ‘Israël est notre foyer, c’est notre coeur’. Ce qu’ils ont fait à Am Shalem, ce n’est pas ce qu’ils chantent dans ce chant. J’étais vraiment en colère. »

Saudamini Jain est une écrivaine qui vit à New Delhi. Elle a fait des reportages en Inde, en Cisjordanie et à New York.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : +972 Magazine

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