Du Canada à Gaza, un médecin utilise l’impression 3D pour fabriquer des visières médicales

Rencontre avec le docteur qui utilise des imprimantes 3D pour produire des PPE (équipement de protection personnelle) pour les travailleurs en première ligne à Gaza et en Amérique du Nord

Par Allison Deger, 1 mai 2020

Un docteur palestinien qui porte une visière faciale fait l’examen médical d’un patient suspecté d’avoir contracté le COVID-19, le 10 mars 2020 dans la ville de Gaza.
(Photo Ashraf Amra/APA images)

Pendant toute la nuit, toutes les deux heures et quarante minutes, le Dr. Tarek Loubani se réveille à la sonnerie d’une alarme sur son téléphone, descend d’un pas lourd dans son sous-sol, et démarre l’impression d’une nouvelle série de visières faciales. « Ce constant bourdonnement est le compagnon de mes nuits », m’a-t-il dit lors dune interview téléphonique depuis chez lui à London, Ontario, pour décrire les imprimantes 3D crachant des visières en plastique qui seront portées par les personnels de santé qui soignent les patients COVID-19. Deux des imprimantes lui sont prêtées par un ami.

« Cet endroit ressemble à une ruche, une ruche distante socialement », a dit Loubani de sa maison transformée en usine. Les envois de matières premières pour les imprimantes sont livrés devant la maison, « quelqu’un devait conduire jusqu’à Toronto pour le mylar [polyester] ».

Loubani, médecin urgentiste palestinien-canadien de 39 ans et professeur agrégé à l’université de Western Ontario, a commencé à utiliser des imprimantes 3D pour produire des matériels médicaux il y a sept ans – mais pas au Canada, dans la Bande de Gaza. Selon le projet Glia, Loubani a travaillé à Gaza avec des équipes médicales pour produire des milliers de stéthoscopes et de garrots, dispositifs médicaux dont l’utilisation sauve des vies en arrêtant l’hémorragie aux extrémités lors de très graves blessures. Aujourd’hui, chaque équipe médicale d’urgence de la Bande de Gaza est équipée de garrots imprimés par l’opération Glia de Gaza.

Loubani a exercé la médecine à Gaza à partir de 2012 dans une série de missions humanitaires. En 2013, il est parti en Egypte avec le cinéaste canadien John Greyson avec l’intention de poursuivre jusqu’à Gaza. Les deux hommes ont été arrêtés au Caire par la police dans une rafle parmi des manifestants qui soutenaient Mohammed Morsi, le président alors récemment évincé. Ils ont passé 51 jours dans la tristement célèbre prison Tora en Egypte et n’ont jamais été accusés d’aucun délit.

En 2018, Loubani a été blessé par balles alors qu’il soignait des patients sur le terrain pendant une manifestation près de la frontière avec Israël.

Première étude de Glia pour une visière faciale.(Photo autorisée par Glia)

Lorsque la pandémie a débuté, Glia à Gaza a changé de vitesse et a commencé à imprimer des visières faciales pour usage local. « Ils ont si peu que toute pièce de PPE vaut le coup », a dit Loubani, les visières faciales « valent leur pesant d’or ».

« Actuellement à Gaza, il n’y a aucun approvisionnement suffisant pour les travailleurs en première ligne, et aucun n’est prévu à ce que nous savons », a dit Loubani. « Et alors que ce qu’il faudrait, c’est une levée illimitée du blocus sur tout personnel et équipement médical, à tout le moins pour l’instant, produire localement c’est essayer d’aider là où c’est possible. »

Gaza, sous blocus égyptien et israélien depuis 2007, est sévèrement limitée dans le genre et la quantité de ce qu’elle importe. « A Gaza, la situation des PPE est tellement désastreuse qu’il est difficile de croire que les travailleurs en première ligne aient une chance dans ce domaine », a dit Loubani.

Dans la crise actuelle, l’Organisation Mondiale de la Santé a organisé l’envoi de kits de tests et de fournitures médicales, mais les manques sont si flagrants que la principale méthode utilisée à Gaza pour freiner l’expansion du coronavirus a été d’instaurer largement la quarantaine. Plus de 2.000 voyageurs qui rentraient ont été mis de force en quarantaine dans 21 lieux gérés par le gouvernement dans des écoles et des hôtels. 3.000 autres ont dû aller en quarantaine chez eux.

La semaine dernière, l’armée israélienne a commencé à tester les écouvillons prélevés à Gaza, procédant à environ 50 tests par jour. Cependant, l’accord a été de courte durée et a pris fin au bout de deux jours lorsque le ministre israélien de la Défense est intervenu.

Gaza avait assez de matériel pour tester 2.000 échantillons. En comparaison, Mai al-Kaieh, ministre palestinien de la Santé à Ramallah, a dit aujourd’hui à des reporters qu’environ 30.000 échantillons avaient été testés en Cisjordanie.

Au cours du mois dernier, Gaza s’est retrouvée par intermittence sans kits de tests. Il n’existe qu’un laboratoire capable de renvoyer les résultats des tests.

Des médecins palestiniens participent à une formation avec simulation de traitement de patients atteints par le coronavirus, le 6 avril 2020 à l’Hôpital Européen de Khan Younis au sud de la Bande de Gaza.
(Photo : Ashraf Amar/APA Images)

Au total à Gaza, 17 Palestiniens ont été testés positifs au COVID-19, 12 se sont rétablis et cinq sont traités dans des chambres d’isolement à l’hôpital. Tous les cas ont été trouvés dans les centres de quarantaine. Une majorité des cas infectés à Gaza sont des personnels de santé et de sécurité qui sont tombés malades au contact de patients en quarantaine. Aucun des cas n’est critique, mais ce qui inquiète le ministère de la Santé de Gaza, c’est que les possibilités de tests sont si déplorablement sous-équipées que le virus pourrait très furtivement circuler, ne devenant détectable que lorsque le système de santé serait devenu impuissant.

Pour les 2 millions de personnes qui vivent à Gaza, il n’y a que 87 lits pour soins intensifs équipés de respirateurs.

Depuis la pandémie, Glia a produit à Gaza 500 visières faciales et Loubani en a fabriqué 5.000 chez lui. Il a une subvention qui permet de couvrir les frais pour 40.000 autres qui seront distribués dans les hôpitaux aux Etats Unis et au Canada.

« L’impression 3D n’est pas le moyen le plus efficace pour fabriquer 45.000 visières faciales », a-t-il expliqué. « La façon dont je regarde cette impression libre en 3D, c’est qu’il y a un fossé entre une demande subite et la production. »

« Nous pouvons les fabriquer en deux jours, là où il faudra environ deux mois aux producteurs traditionnels pour s’équiper », a-t-il dit. Loubani a été capable d’assembler le premier prototype en deux jours. Depuis, Glia a rendu son modèle disponible pour que d’autres producteurs en 3D puissent le charger.

En dehors de l’impression, Loubani a avancé dans la fourniture d’une expertise technique pour étendre la longévité d’autres équipements de protection. Il informe les hôpitaux sur où acheter et comment nettoyer les respirateurs réutilisables, plus efficaces et en plus grand stock au Canada que le N95 jetable.

« Ils ressemblent à des masques de peintres, tandis que les jetables ressemblent à des masques chirurgicaux renforcés » a dit Loubani. « Les filtres sont réutilisables jusqu’à un an.

Et les filtres coûtent 10 $C », a expliqué Loubani, faisant référence au prix en dollars canadiens. « Pour 45 $C, vous parlez d’équiper une personne pour un an. »

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : Mondoweiss – Nouvelles et points de vue sur la Palestine, Israël et les Etats Unis

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