Contrainte à innover, Gaza fabrique ses propres outils pour lutter contre le COVID-19

Par Caitlin Procter, 16 avril 2020

Les ingénieurs de Gaza ont été contraints d’affronter la pandémie du COVID-19 avec ingéniosité : en fabriquant des respirateurs artificiels à partir de rien.
Des travailleurs palestiniens fabriquent de toutes pièces des combinaisons et des masques de protection dans un atelier de la ville de Gaza, le 12 avril 2020 – (Majdi Fathi/NurPhoto/PA Images – tous droits réservés)

Vivre sous blocus pendant 13 ans a obligé les Palestiniens de Gaza à être créatifs, en particulier ceux qui ont une formation d’ingénieur. L’entrepreneuse Majd Masharawi a été la première à fabriquer des briques à partir de charbon et de cendre de bois afin de reconstruire des bâtiments démolis, avec son entreprises Green Cake ; sa dernière innovation, Sunbox, fournit de l’électricité solaire dans toute la bande de Gaza ; et l’initiative pour mettre au point un écosystème technologique, Gaza Sky Geeks, offre des possibilités en ligne de travail à distance pour les jeunes gens confinés dans les 365 km² de terres. Aujourd’hui, les ingénieurs sont contraints de faire face à la pandémie du COVID-19 avec la même ingéniosité, en fabriquant des respirateurs artificiels à partir de rien.

Même si ce type d’innovation est remarquable, il est produit sous la contrainte. Le blocus israélo-égyptien de Gaza a notamment consisté à restreindre et différer l’importation d’équipements et fournitures médicaux d’importance vitale. Selon le ministère de la Santé de Gaza, il n’y a que 65 respirateurs artificiels dans la bande de Gaza pour une population de près de deux millions d’humains. En pleine pandémie, à savoir une maladie respiratoire contagieuse, il s’agit d’une pénurie qui est effrayante, et qui est le résultat d’une politique israélienne délibérée.

Farouk Sharaf, ingénieur électricien à l’Université islamique de Gaza (IUG) tente de trouver une solution provisoire à cette pénurie. Avec une équipe d’universitaires de l’IUG, il a mis au point un respirateur artificiel à faible budget qui peut être fabriqué localement à Gaza. « J’en suis venu à cette idée avec un collègue qui enseigne notre programme de gestion des catastrophes et des crises à l’IUG, et qui a travaillé sur les situations d’urgence multiples dans les conflits que nous avons connus ici à Gaza. Il a demandé si un respirateur artificiel petit modèle, semblable à celui qui est utilisé dans les ambulances, pouvait être mis au point rapidement et à faible coût –  j’ai donc fait un essai ».

Même si, en l’état, ce respirateur artificiel ne peut rendre des forces aux malades du COVID-19 à long terme, c’est mieux que rien. Le système de santé à Gaza est au bord de l’effondrement, étranglé par plus d’une décennie de blocus et d’attaques de l’armée israélienne. Les hôpitaux, et les maisons de la même façon, n’ont de l’électricité que de façon limitée et irrégulière, et il y manque l’eau propre pour se laver les mains. Israël a jusqu’à présent refusé d’envoyer des fournitures médicales dans la bande de Gaza pour aider à répondre au COVID-19, suggérant que l’autorisation de ces fournitures pour Gaza serait possible s’il récupérait les deux soldats israéliens capturés à Gaza durant la guerre de 2014.

Israël a jusqu’à présent refusé d’envoyer des fournitures médicales dans la bande de Gaza pour aider à réagir au COVID-19

Le respirateur artificiel qui a été mis au point par Sharaf est le même que celui qui serait utilisé pour transférer les malades entre les services d’un hôpital ou en ambulance, mais avec quelques modifications pour permettre de l’utiliser de façon continue sur une plus longue période. Ce respirateur fonctionne aussi de manière automatique et non manuellement. À environ 300 dollars, il est produit à bon marché et il est actuellement testé par le ministère de la Santé de Gaza. L’objectif est de produire 100 respirateurs artificiels dans un premier temps, en augmentant leur nombre au rythme des besoins de Gaza. Un autre modèle est en cours de mise au point pour être utilisé dans les unités de soins intensifs. « Le problème ne réside pas dans les idées ni dans la conception – il est simplement que nous n’avons pas accès aux matériaux qu’il nous faut pour le fabriquer ici à Gaza » explique Sharaf.

Depuis le 21 mars, Gaza a enregistré 12 cas de COVID-19, sur un total de 288 cas signalés dans tout le territoire palestinien occupé de 1967. Le gouvernement du Hamas a fait vite pour réagir à l’épidémie, concentrant son attention sur l’application d’une quarantaine obligatoire de 3 semaines pour quiconque viendra à Gaza en passant par les passages frontaliers de Rafah et d’Erez, sur la conversion des écoles et des hôtels en infrastructures de quarantaine, et sur la construction de deux nouvelles salles d’isolement. Les cérémonies publiques, les mariages, les funérailles et les prières du vendredi midi ont été suspendus, et les cafés et restaurants ont été fermés.

Alors que le nombre de cas confirmés reste faible, les tests effectués jusqu’ici ont été minimes. Après l’annonce par le ministère de la Santé qu’il n’y avait plus de tests, l’OMS a fait savoir qu’elle avait l’intention de faire venir 480 tests de plus à Gaza. Étant donné le grand nombre de Palestiniens, à Gaza, qui vivent dans des camps de réfugiés surpeuplés où la distanciation sociale est impossible, la quantité véritable de ces cas est considérée comme beaucoup plus élevée.

Peu de personnes à Gaza ont été testées pour le virus, et l’OMS a récemment envoyé 480 tests supplémentaires après que le ministère de la Santé a annoncé leur épuisement.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, en plus des respirateurs artificiels, d’autres articles sont nécessaires en urgence pour traiter le COVID-19, des moniteurs cardiaques, des véhicules d’urgence et des appareils portables de radiographie ; des équipements, des produits à usage unique et des médicaments pour traiter une maladie respiratoire ; des kits de dépistages ; des fournitures essentielles pour prévenir et contrôler les infections, notamment des kits PPE (équipement de protection individuelle). Tous ces matériels sont en nombre insuffisant.

Si l’ingénierie innovante peut, provisoirement, combler ce manque, une amélioration durable et viable dans les résultats sanitaires des Palestiniens de Gaza ne peut être possible que si le contexte politique sous-jacent est pris en compte.

La nécessité de fabriquer rapidement de nouveaux produits avec des ressources matérielles limitées soulève aussi des questions d’éthique pour les ingénieurs de Gaza. Sharaf possède une petite entreprise privée d’électricité à Gaza, mais jamais il n’a mis quoi que ce soit au point dans le domaine médical. « Nous avons quelques ingénieurs spécialisés en équipement médical à Gaza, mais il n’existe aucune industrie pour ce travail en tant que tel » explique Sharaf.

Son modèle est l’un des trois en cours de production à Gaza et il doit être testé par le ministère de la Santé de Gaza dans les prochains jours, mais à Gaza, il n’y a pas les moyens de tester cet équipement à grande échelle. « Le défi dans la production de respirateurs artificiels est la question d’essayer de standardiser l’appareil avec des matériaux disponibles limités. Le marché dans ces matériaux pour l’ingénierie médicale est extrêmement pauvre en raison du blocus » dit Sharaf.

L’histoire de l’innovation en matière de respirateur artificiel à Gaza est celle de la violence structurelle historique, apparaissant sous de nouvelles formes dans le contexte du COVID-19.

Un tel équipement devrait normalement passer par de multiples séries de tests à grande échelle avant d’être mis en service, mais ce n’est pas une option à Gaza. Comme beaucoup dans son secteur, Sharaf craint profondément que l’on soit forcé de les utiliser avant qu’ils ne soient techniquement sûrs. Les respirateurs artificiels sont essentiels dans la réponse à la pandémie, mais le marché mondial hautement compétitif et les prix élevés du marché font qu’il est impossible d’envisager de les importer à Gaza – même si de telles importations étaient autorisées par le blocus.

Même au milieu de ces préoccupations, des respirateurs artificiels basiques comme celui-ci pourraient sauver des vies.

L’histoire de l’innovation en matière de respirateur artificiel à Gaza est celle de la violence structurelle historique, apparaissant sous de nouvelles formes dans le contexte du COVID-19. Selon le droit international en sa Quatrième Convention de Genève, Israël, en tant que puissance occupante, est responsable de la population qui vit sous son contrôle, ce qui inclut tous les Palestiniens de la bande de Gaza. Le blocus sur les fournitures médicales doit être immédiatement levé, et les Palestiniens doivent être autorisés à sortir de Gaza s’ils ont besoin d’être hospitalisés ailleurs. En l’état actuel des choses, la violence structurelle du blocus sera un déterminant fondamental de la façon dont le COVID-19 impactera la bande de Gaza.  

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source : Open Democracy

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