Le Lundi 27 avril 2020, le centre de recherches Whoprofits a organisé une conversation en ligne avec le Dr Rafeef Ziadah et le Dr Weeam Hammoudeh sur l’économie politique du COVID-19 en Palestine occupée, y compris en ce qui concerne le travail et les soins de santé palestiniens.
Riya : Bienvenue à tous à ce webinaire sur L’occupation comme condition sous-jacente, L’économie politique du COVID-19 en Palestine. Nous sommes ravis que certains d’entre vous aient décidé de participer et je suis sûre et j’espère que ce sera une discussion stimulante et instructive. Je m’appelle Riya, je travaille comme coordinatrice de recherche à Who Profits. Who Profits, pour ceux qui ne le savent pas, est un centre de recherche qui se consacre à révéler les participations commerciales à l’occupation israélienne des terres palestiniennes et syriennes et, plus généralement, aux violations des droits. Nous avons une base de données, nous faisons des analyses, que vous êtes les bienvenus à aller voir et à lire sur notre site Who Profits.org.
Nous avons cet entretien dans le contexte du coronavirus, nous sommes maintenant à 4 ou 5 mois de la propagation du Covid-19 et cela a des implications mondiales. Partout dans le monde, les gens font face non seulement aux défis causés par le virus, y compris la perte de vies et la peur pour leurs proches, mais aussi aux conséquences de vivre dans un système capitaliste mondial racialisé et sexiste. Les répercussions du covid-19 ont mis à nu les inégalités et la violence au cœur du système économique et politique actuel, où l’accumulation des profits et l’enracinement du pouvoir se font au détriment de notre bien-être collectif. Il est devenu évident que les conditions structurelles préexistantes et sous-jacentes déterminent l’impact inégal de la crise, de l’accès aux soins aux implications socio-économiques les plus larges.
Ici en Palestine, dans toute la Palestine, des décennies de colonisation militarisée et de dé-développement économique systématique dans l’intérêt des objectifs géopolitiques et économiques d’Israël ont jeté les bases d’une économie néolibérale paralysée dans les territoires palestiniens occupés, ont sapé la base industrielle palestinienne et ont structuré l’appauvrissement et le sous-emploi de communautés palestiniennes fragmentées, que ce soit en Cisjordanie, à Jérusalem ou à Gaza, ou ici pour ceux qui vivent en Israël aujourd’hui. Tout cela a été exacerbé par la crise actuelle. Selon des estimations prudentes, des centaines de milliers de Palestiniens en Cisjordanie sont aujourd’hui au chômage. Plus de 53 000 familles vivent dans la pauvreté. Les données révèlent une réalité encore plus violente et pénible en ce qui concerne Gaza. Pour les Palestiniens vivant en Israël et ghettoïsés dans des communautés densément peuplées, le scénario peut varier dans le détail mais pas dans l’essentiel. Prenez par exemple une ville comme Om El Fahem, une ville de Palestine 48 avec une population de plus de 55 000 personnes, elle a maintenant un niveau de 30% de chômage. Ce n’est pas comme si la situation à Om El Fahem était particulièrement rose avant la covid-19, où le taux de chômage était au moins 6 % plus élevé que la moyenne nationale avant la propagation du coronavirus. Et cela, c’est juste les chiffres du chômage. Ainsi, cet abandon structurel dans le sens d’un dé-développement économique et d’une dépendance est couplé avec et facilité par la violence structurelle sous forme de répression coloniale, de contrôle et de dépossession.
Ainsi, en réponse au virus, nous assistons à une sorte de poussée mondiale de contrôle et de surveillance renforcés, où les gouvernements et les entreprises privées travaillent en tandem pour générer des profits et renforcer leur contrôle au nom de la sécurité publique, mais dans notre contexte, cela prend une forme et une dimension particulières. Et il n’est pas surprenant que le complexe militaro-industriel d’Israël, avec son ministère de la Défense, son armée, ses industries militaires, deviennent centraux dans la réponse au coronavirus, à la fois dans le sens de la gestion et de la réponse au virus. D’une certaine manière, c’est compréhensible car après tout, nous sommes dans un contexte de système de surveillance et de violence sous-jacente déjà en place. Rien de nouveau, en substance, ne doit être mis en place à cet égard. Ainsi, nous voyons le Mossad être fortement impliqué dans l’obtention de matériel médical. Nous voyons le Shinbeth, le service de sécurité intérieure d’Israël, rapidement autorisé à appliquer ses pouvoirs considérables de surveillance. Le renseignement médical, les centres de recherche et les unités de production militaires ont été transformés pour se concentrer sur la production de technologie médicale. Nous voyons une incitation directe du secteur privé, en particulier des sociétés de haute technologie, par le gouvernement, à s’impliquer dans le développement de matériel et de logiciels dans le but de combattre le covid-19 et sa propagation ; et un encouragement aux partenariats public-privé entre le gouvernement israélien et les sociétés privées. Comme par exemple, je suis sûre que tout le monde le sait maintenant, le cas de NSO et ce qui s’y passe. Il s’agit d’être capable d’affronter la situation actuelle, mais cette situation actuelle peut aussi servir de tremplin pour l’avenir en termes de génération de profits et d’influence. Il est donc important que nous examinions toutes ces dimensions ensemble. C’est donc dans ce contexte global, avec cette articulation particulière ici en Palestine, que nous avons cet entretien. C’est une discussion qui nous permet de commencer à réfléchir à la façon dont le développement structurel, la dépendance et la violence coloniale donnent une forme particulière aux risques sanitaires et économiques causés par le covid-19.
Et pour avoir cet entretien, nous sommes très chanceux d’avoir deux universitaires incroyablement accomplies et réfléchies avec nous aujourd’hui. Nous avons Rafeef Ziadah, qui est maître de conférences en politique comparée du Moyen-Orient à l’université SOAS de Londres. Ses recherches portent essentiellement sur l’économie politique de la guerre et l’humanitarisme, le racisme et l’État sécuritaire, avec un accent particulier sur le Moyen-Orient. Elle est également une poétesse de performance accomplie pour ceux qui s’intéressent à ce monde. Et nous avons également la chance d’avoir le Dr Weeam Hammoudeh, qui est professeure assistante à l’Institut de santé publique et communautaire de l’Université de Birzeit, ici en Palestine, où elle est également coordinatrice de l’unité de santé mentale. Elle s’intéresse à la compréhension de l’impact des transformations politiques et sociales sur la santé, le bien-être psychologique et les processus démographiques, en particulier dans les zones de conflit.
Je suis donc sûre que nous pourrons aborder les différents aspects de ce sujet. Comme vous le savez, nous ne poserons pas de questions aux intervenantes aujourd’hui. Nous avons déjà rassemblé des questions auparavant et ce sera moi qui les présenterai aux intervenantes et vous pourrez apprendre de toutes les connaissances qu’elles nous transmettront.
J’aimerais que vous nous fassiez part de vos réflexions sur ce que cela signifie et sur la manière dont nous pouvons comprendre et analyser le Covid-19 dans une perspective véritablement mondiale. On parle beaucoup de l’impact du Covid-19 et des processus qui se développent avec lui, mais en mettant l’accent sur l’Europe et les États-Unis, et c’est presque comme si c’était une crise mondiale, mais que l’ensemble du monde ne soit pas impliqué dans la réflexion ou dans l’analyse. Alors, Rafeef, est-ce que tu peux nous dire d’abord ce que cela signifie de comprendre et d’analyser le Covid-19 dans un sens global mais dans une perspective d’économie politique ?
Rafeef : Bien sûr, et tout d’abord, merci à Who Profits et à Riya pour avoir organisé ce webinaire. Bien souvent, lorsque nous parlons de la Palestine, nous parlons d’une litanie de violations des droits de l’homme, de violations quotidiennes des droits de l’homme, et il y en a certainement beaucoup à énumérer au quotidien, mais parfois cela signifie que nous ne nous engageons pas dans les questions structurelles de l’économie politique, ou de la question du travail, de quelque manière que ce soit, et je pense que ce qui se passe actuellement a vraiment mis cela au premier plan et j’en suis vraiment heureuse, que nous puissions enfin voir ce qui se passe.
En ce qui concerne la perspective mondiale, tu as tout à fait raison, car maintenant que le « pic » de la pandémie se produit aux États-Unis et en Europe, c’est comme si le reste du monde n’existait pas. Mais je dirais qu’au lieu de dévoiler ces faits, cette pandémie et ce moment de crise révèlent vraiment les inégalités structurelles que nous avons déjà dans l’économie mondiale. Avant le corona, nous semblions passer d’une crise à l’autre, c’était la « crise des réfugiés », la « crise climatique », la « crise d’austérité », on pourrait les appeler autrement mais la réalité est qu’elles ont toutes révélé qu’il y a un système qui ne fonctionne pas pour la majorité des gens. C’est un système avec de graves inégalités, nous pouvons les appeler mesures d’austérité ou ajustement structurel, mais en réalité, ce qu’elles signifient, c’est qu’il y a une inégalité mondiale massive entre le Nord et le Sud, et une inégalité croissante au sein des États aussi, les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres, pour le dire simplement. Et cette situation s’est aggravée.
Du point de vue de la santé, des années d’ajustement structurel ont fait que le Sud compte très peu de médecins, très peu d’unités de soins intensifs. Nous devons inclure l’industrie pharmaceutique dans cette discussion, il y a une industrie pharmaceutique mondiale qui fait du profit et elle est majoritairement basée en Occident. La majorité de ce qu’elle produit n’est pas ce dont la majorité des gens du Sud ont besoin. C’est l’aspect santé qui est en jeu et je vais en parler plus tard.
En ce qui concerne l’économie politique, je pense que ce qui a vraiment été dévoilé, c’est toute la main-d’œuvre qui est absolument sous-évaluée dans cette économie mondiale mais qui est essentielle pour la faire fonctionner. Donc, si vous pensez à la façon dont les produits circulent, aux produits de base que nous utilisons, la plupart des échanges se font sur les océans, et les gens ne tiennent jamais compte de la main-d’œuvre qui se cache derrière les grands complexes industriels, comme les dockers, les magasiniers, les gens qui remplissent les rayons des supermarchés. Tout cela est caché et ces chaînes d’approvisionnement sont très mondialisées, et une grande partie du travail de production se fait dans le Sud et est ensuite exporté. Le travail de soins de base des infirmières et des enseignants est l’un des plus sous-payés, quelle que soit la société dont vous parlez. C’est aussi le plus racialisé et le plus clairement genré. Il peut être racialisé et genré de différentes manières dans différents contextes, mais il l’est toujours. Et si l’on regarde un endroit comme la Palestine, c’est une indication que nous ayons eu tant de grèves d’enseignants, et dans le monde, nous avons eu tant de grèves d’enseignants. Vous voyez donc maintenant que lorsqu’il n’y a plus d’écoles, tout le monde supplie les enseignants de revenir et réalise ce que cela signifie.
Je dirais enfin que l’une des choses importantes qui est devenue très claire est la question de l’informalité, de l’énorme secteur informel, qu’en réalité nous avons une économie mondiale avec tant de gens qui vivent à la limite de la survie. Donc, lorsqu’on dit « les gens devraient rester chez eux », cela soulève des questions sur qui peut réellement rester chez lui, qui a la capacité de rester chez lui, qui a les fonds pour pouvoir rester chez lui, ce sont les questions fondamentales de la façon dont l’économie mondiale fonctionne. Et nous savons, non seulement dans la région du Moyen-Orient, mais aussi dans le Sud en général, que la plupart des gens survivent grâce au travail informel. Il est donc facile de dire « confinons », mais le secteur informel est essentiel au bon fonctionnement des économies, et cela amène également la question des transferts de fonds des travailleurs migrants vers leurs pays d’origine, bien sûr.
Il est intéressant de constater que tout cela a été enveloppé de militarisme et de surveillance. Pas seulement dans le langage, beaucoup de gens se sont concentrés sur le langage, de « nous allons vaincre le virus », « nous sommes en guerre contre le virus », mais beaucoup de ces États ont militarisé la société très rapidement, en s’appuyant sur la logistique militaire vraiment vite, et cela en dit long sur la façon dont l’économie mondiale fonctionne : il y a de grandes inégalités, et la réponse à cela est toujours le militarisme, la surveillance et l’incarcération. Et puisque nous parlons d’Israël aujourd’hui, Israël est bien sûr tout à fait dans son élément sur ce terrain. Et c’est ce qui rassemble cette économie mondiale, comme ce militarisme est le ciment qui tient ensemble cette économie mondiale avec ces inégalités massives.
Riya : Merci beaucoup, Rafeef, tu as mentionné que beaucoup de ces questions seront des fils conducteurs qui nous suivront tout au long de cette conversation. Alors merci d’avoir préparé le terrain.
Weeam, j’aimerais que tu viennes aborder la même question, mais que tu nous donnes une idée plus précise de ce que cela signifie de l’envisager dans une perspective globale de santé publique.
Weeam : Merci à Riya et à Who Profits pour tout ce qui a été requis en termes d’organisation. Et merci à Rafeef pour avoir fourni le cadre général, qu’il est très important de garder à l’esprit, car je pense que ce qui se passe souvent, c’est que nous oublions comment la santé est intégrée dans ces structures et systèmes plus larges, et nous avons tendance à la traiter comme un problème technique, une question technique scientifique neutre où la politique n’a pas vraiment de rôle, mais nous savons que ce n’est pas le cas. Et pas seulement en Palestine, il existe une littérature qui remonte à loin et qui voit réellement ces liens et les a mis en évidence – il semble que nous traversions des cycles…
Mais je pense que si l’on pense spécifiquement au covid, à ce qui est sorti en premier : tout le monde surveillait de près ce qui se passait en Chine et puis il y a eu des problèmes, et puis cela s’est rapidement étendu à d’autres parties du monde. Donc si nous pensons au niveau des systèmes de santé et à ce qui est ressorti, il y a ce que Rafeef a mentionné – les ressources humaines –, mais aussi la façon dont les différents systèmes de santé ont réagi à cette épidémie, ou plutôt à cette pandémie, et cela a pris différentes formes dans le monde entier. Et il ne s’agit pas seulement de savoir quel type de capacités et quel type de ressources sont réellement disponibles, parce que nous voyons aussi des exemples de pays à revenu élevé disposant des ressources nécessaires qui n’ont pas vraiment pris la décision politique de donner la priorité à la santé, et de donner la priorité à la santé de la population en général, alors que d’autres pays disposant de moins de ressources ont en fait été capables de contenir la situation beaucoup mieux.
Mais si nous regardons la réponse apportée, au début, beaucoup de recommandations se concentraient vraiment sur l’atténuation de la propagation, et sur l’importance de l’hygiène, l’importance de l’isolement, de la traçabilité, des choses comme ça. Mais ce qui était intéressant, c’est qu’au tout début de la propagation de la pandémie, c’était presque comme si ce qu’il fallait vraiment faire, c’était prendre ces saines habitudes d’hygiène pour empêcher la propagation. Et ce n’était peut-être pas vraiment intentionnel, mais cela a eu pour effet d’individualiser la responsabilité de quelque chose qui est en fait beaucoup plus vaste. Beaucoup de ce qui sortait était « lavez-vous les mains », « utilisez un désinfectant », et puis, « Ok, avons-nous assez de ressources en désinfectant », et vous avez vu beaucoup de photos de différents supermarchés dans le monde, ou de pharmacies où le désinfectant était en rupture de stock, ainsi que le savon, vous savez, comme si les gens venaient de découvrir qu’ils devaient se laver les mains. Il s’agissait de se concentrer à nouveau sur ces solutions techniques pour quelque chose qui n’est pas vraiment un problème technique.
Et c’est un problème qui est mondial, et il est aussi très politique, dans le sens où nous décidons de la manière dont nous allouons les ressources et des priorités. Et nous découvrons que beaucoup de systèmes de santé n’étaient pas préparés, n’avaient pas le niveau de préparation que nous attendons d’eux, même dans les pays à revenu élevé. Et cela rejoint beaucoup de choses que Rafeef a mentionnées, les mesures d’austérité, les réductions des dépenses sociales, les réformes de la protection sociale qui ont eu lieu dans le Nord mais qui ont également été poussées dans le Sud, en particulier les politiques d’ajustement structurel et autres. Et en même temps, ce problème se révèle bien plus important que cela et nous devons en fait y répondre, et nous avons réalisé où se trouvent ces lacunes. Je pense donc qu’en plus de la préparation structurelle, il s’agit en fait, comme vous l’avez tous les deux mentionné, de présenter toutes ces structures et inégalités plus larges, et les inégalités sociales, qui se manifestent. Et cela nous rappelle également comment la vie humaine est valorisée et, dans une certaine mesure, non valorisée en fait dans ce système économique plus vaste et plus large.
Et puis le discours s’est en quelque sorte déplacé, avec le temps qui passait, de la responsabilité individuelle au système de santé, et en pensant aux ressources humaines disponibles pour la santé, au nombre d’unités de soins intensifs dont disposent les différents pays, et aux ventilateurs. Et maintenant ce qui se passe réellement, c’est que tous ces articles qui sont maintenant très demandés dans le monde entier sont soumis au marché mondial, où certains pays peuvent en fait prendre l’avantage grâce à eux. Certains pays, qui peuvent les développer plus rapidement, pourraient être mieux placés pour répondre à ces besoins.
Riya : Weeham, on t’a perdue ? Tu nous entends ? Super, merci encore. Merci à vous deux. Vos deux présentations nous donnent une bonne base et nous aident à aller de l’avant. Vous avez toutes deux parlé de la crise sanitaire actuelle et de la relation entre la capacité des systèmes de santé à faire face à la crise et les décisions politiques, et de la façon dont ces deux éléments se sont entrelacés dans la réponse à la crise et la capacité à offrir des soins aux personnes dans le monde entier. Cela nous amène naturellement vers la réflexion maintenant au niveau local. Et je me demande si tu pourrais nous donner une idée de la structure globale du système de santé palestinien en Palestine occupée, en nous donnant une sorte de schéma de ce à quoi il ressemble, où il se situe, de manière plus générale. Cela nous aiderait à mieux comprendre ce qui se passe ici et comment le Covid-19 se manifeste localement.
Weeham : Bien sûr. En ce qui concerne la structure du système de santé en Palestine, et ici nous parlons du territoire palestinien occupé, de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza. C’est là que vous voyez la fragmentation politique entrer en jeu également, je vais juste vous présenter maintenant la structure et peut-être plus tard nous parlerons des origines. Je dirais donc que vous avez trois principaux groupes d’acteurs.
Il y a d’abord le ministère de la Santé, qui opère à la fois en Cisjordanie et à Gaza, mais à cause de la division politique entre le Fatah et le Hamas, vous avez eu en quelque sorte deux ministres de la Santé qui opèrent à Gaza. Il n’opère pas à Jérusalem-Est à l’intérieur du mur, mais il opère dans certains des villages alentour.
Nous avons également l’UNRWA, également un important fournisseur de services de santé, qui est l’Office de secours et de travaux des Nations unies, qui a été créé en 1950 et qui s’occupe essentiellement des réfugiés palestiniens. Il opère également en Jordanie, au Liban et en Syrie, mais ici, il y a un bureau pour la Cisjordanie et pour Gaza. Ainsi, entre l’UNRWA et le ministère de la santé, ils couvrent en fait entre 80 et 90% des services de santé, au moins au niveau primaire et secondaire.
Ensuite, il y a les ONG, qui peuvent être internationales ou locales, mais il y a une série d’ONG locales qui sont issues d’un mouvement social autour de la fourniture de soins de santé dans les années 70 et 80, y compris le Croissant Rouge Palestinien. Et puis il y a aussi quelques ONG plus anciennes affiliées à différents groupes caritatifs et parfois à des organisations caritatives religieuses.
Et puis il y a un secteur privé, petit mais qui croît, qui fournit également des services de santé.
Donc, en plus des principaux prestataires, l’un des principaux problèmes qui affecte le système de santé en Palestine est cette fragmentation en termes de différents prestataires mais aussi la fragmentation géographique qui affecte les questions d’accès et parfois aussi les infrastructures de santé qui doivent être mises en place, surtout si les gens ne peuvent pas se déplacer facilement d’un endroit à l’autre. Cela entraîne des problèmes en ce qui concerne la coordination et la duplication des services, de sorte qu’il se peut que le système ne soit pas géré de la manière la plus efficace.
Et puis, en général, c’est un système très dépendant des donateurs. Il y a un petit pourcentage des dépenses réelles qui est couvert par les régimes d’assurance maladie ou autre. Mais le système est très dépendant des donateurs et parfois, il s’agit de dons destinés au secteur de la santé en général, mais souvent aussi réservés à certains projets ou programmes, de sorte que vous n’avez pas beaucoup d’influence sur ce que vous pouvez réellement faire avec l’argent.
Ce sont donc les différents acteurs, mais maintenant avec Jérusalem en particulier, et je pense que c’est important, Jérusalem, historiquement, est une ville qui a toujours suscité beaucoup d’intérêt, pour des raisons religieuses et autres. Vous avez quelques prestataires de santé, surtout des hôpitaux, qui ont été mis en place par des missionnaires avant 1948, bien avant. Certains d’entre eux fonctionnent encore, donc vous avez encore des hôpitaux à Jérusalem-Est qui fonctionnent encore, qui ont été mis en place par des organisations caritatives missionnaires. Et vous avez aussi des hôpitaux palestiniens comme Maqasid, officiellement ouvert en 68 mais il y a aussi une histoire autour, : il a ouvert en 1967 pour empêcher l’armée israélienne de le prendre une fois Jérusalem occupée.
En plus de cela, à Jérusalem, il y a donc le travail des ONG, mais il y a aussi le ministère israélien de la Santé. Israël était responsable de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, et ce qui s’est passé, c’est qu’Israël a ensuite annexé Jérusalem après la guerre de 1967. Donc les résidents de Jérusalem, s’ils avaient des papiers d’identité, recevaient en fait des services de santé par le biais du ministère israélien de la Santé. C’était très différent du reste de la population de Cisjordanie et de Gaza qui recevait des services de santé publique par l’intermédiaire du département de la Santé, qui était administré par les forces de défense israéliennes, donc par l’armée. Et c’est à ce moment-là que la séparation a commencé. Mais en même temps, il n’y a pas le même type d’investissement dans les quartiers palestiniens de Jérusalem, en termes d’infrastructures et de services de santé, que dans les quartiers juifs. Nous pouvons en parler plus tard.
Ainsi, les habitants de Jérusalem, tant qu’ils ont une pièce d’identité et qu’ils ont payé les frais d’assurance maladie obligatoire, peuvent toujours aujourd’hui accéder aux services du ministère israélien de la Santé. Mais il y a aussi un certain nombre d’habitants de Jérusalem qui ont perdu leur statut de résident (ils sont considérés comme des résidents de l’État d’Israël, mais doivent constamment être en mesure de prouver que Jérusalem est « le centre de leur vie »). S’ils perdent leur carte d’identité, cela peut affecter leur accès aux soins de santé. Certaines de ces personnes, si elles sont à Jérusalem, peuvent toujours compter plus ou moins sur les ONG.
Mais vous avez aussi des zones qui ont été effectivement coupées de Jérusalem à cause du mur, comme Qufor Aqab et le camp de réfugiés de Shufat, qui sont toujours considérées comme faisant partie de la municipalité de Jérusalem, mais pour avoir accès aux services de santé, leurs habitants devraient traverser les checkpoints pour entrer à Jérusalem. Et certains services minimaux leur sont fournis, couverts par les régimes d’assurance maladie du ministère.
Donc, oui, c’est un système assez compliqué, c’est le moins qu’on puisse dire.
Riya : Merci pour cela. Comme tu le dis, c’est un système assez compliqué et fragmenté et tu l’as exposé de manière très éloquente, alors merci pour cela. Et je me demande si tu pourrais peut-être aller plus loin. Les premiers cas de covid-19 en Palestine occupée ont été identifiés, je pense, en mars. Tu pourrais peut-être nous parler un peu de la situation actuelle en ce qui concerne le covid-19, en termes de patients et ainsi de suite ? Mais aussi parler de la capacité du secteur de la santé à fournir des soins adéquats. Nous avons maintenant une idée de ce à quoi ressemble l’infrastructure du système de santé en Palestine occupée, mais que peut-il réellement offrir, dans quel état se trouve le système actuellement ?
Weeham : Les premiers cas ont été identifiés en mars, à Bethléhem. Les gens travaillaient dans un hôtel où logeaient des touristes et c’est comme ça qu’ils ont attrapé le virus. Et tout de suite après, le soir même, l’état d’urgence a été décrété. L’accent a été mis sur la prise de mesures très strictes dès le début, sachant que le système de santé ne pourrait pas faire face à une grande épidémie. Le ministre de la santé et d’autres personnalités politiques ont fait preuve d’une grande ouverture à ce sujet. Ils ont fermé Bethléhem complètement. Ils ont utilisé l’hôtel comme centre de quarantaine et ont également ouvert un autre site de quarantaine. Je dois mentionner qu’avant cela, en plus de l’OMS et des mesures de préparation plus globales qui étaient en place, il y avait déjà des mesures qui avaient été mises en place afin de se préparer à l’arrivée de cas en Palestine, surtout qu’il y avait des cas en Israël avant ceux identifiés à Bethléhem. Comme je l’ai dit, on l’a fait avec la conscience que nous n’aurions pas les ressources nécessaires pour faire face à une large propagation de l’épidémie, donc la chose que nous pouvions faire était d’essayer de contenir la propagation. Ils ont donc fermé Bethléhem, ils ont également mis en place un système de recherche des contacts pour les personnes initialement identifiées et ont testé les personnes avec lesquelles celles-ci avaient été en contact.
Les choses étaient donc assez bien sous contrôle à ce stade. Les écoles et les universités ont été fermées. Je pense que les mosquées ont fermé une semaine plus tard. Tous les lieux où de grands groupes de personnes peuvent se réunir ont été fermés. Nous avons vu que ces mesures ont été prises assez tôt, et on a toujours insisté sur le fait que c’était parce que le système de santé ne pouvait pas vraiment faire face à une épidémie de grande ampleur, donc nous devions empêcher que cela se produise. Et en même temps, des efforts ont été faits pour essayer d’augmenter ces capacités. Et je pense que beaucoup de gens ont été agréablement surpris par la façon dont le ministère de la Santé a géré la situation, car il a pu également faire appel aux ressources locales, dans les différents gouvernorats et districts. Il y a aussi des sites de quarantaine de secours qui ont été identifiés, dans des hôtels ou d’autres hôpitaux. Ils ont également essayé de faire autant de tests que possible. Au début, la capacité de test était assez limitée, je pense, une moyenne de 100 à 400 au maximum pendant la première ou les deux premières semaines, en termes de nombre de tests qu’ils pouvaient effectivement effectuer par jour.
Puis les cas ont commencé à augmenter, il y a eu des cas liés à des voyageurs arrivant ou à des travailleurs, mais ensuite, l’épidémie la plus importante s’est produite dans la zone au nord-ouest de Jérusalem qui est une enclave. Il y a une femme qui a été diagnostiquée et qui est morte plus tard le même jour, dans le village de Bidou et puis plus tard, quand ils ont fait le traçage, ils ont découvert qu’elle avait contracté le virus par son fils qui était ouvrier dans la colonie de Beit Eil au nord-ouest de Jérusalem. Aujourd’hui, environ un tiers des cas recensés en Cisjordanie sont là. Dans l’ensemble, à ce stade, l’épidémie est restée assez contrôlée.
Ceci relie l’épidémie aux ouvriers. Et avant cela, les ouvriers craignaient d’attraper le virus car les chiffres augmentaient assez rapidement en Israël. Cet incident a donc renforcé les craintes et il y a eu différentes poches de contamination liées également aux travailleurs en Israël et aux membres de leur famille, principalement, et aux autres personnes qui avaient été en contact avec eux.
Maintenant, selon les derniers cas signalés, le total en Cisjordanie est de 325 cas et à Gaza de 17. Le ministère de la Santé essaie de signaler également les cas à Jérusalem, mais seulement ceux dont il est complètement sûr, ce qui constitue une autre complication, surtout en ce qui concerne Jérusalem. Il y a donc environ 153 cas dans la ville à Jérusalem-Est, donc à l’intérieur du mur. Il y a donc eu un confinement assez strict, qui a commencé à s’assouplir il y a environ une semaine. Les zones qui ont le plus de cas sont les régions d’Hébron et de Bethléhem et les villages alentour, ainsi que les banlieues de Jérusalem-Est qui sont à l’extérieur du mur. Alors, les gens ont été mis en quarantaine dans des hôtels ou d’autres lieux, comme des centres de rééducation, transformés en zones de quarantaine pour le virus. Jusqu’à présent, comme les cas n’ont pas augmenté de façon spectaculaire, le système de santé est toujours en mesure de les traiter, mais ce qui s’est également passé, c’est qu’ils ont dû mettre en attente d’autres soins non urgents. D’autres services ont été mis en attente afin de pouvoir gérer le coronavirus. En même temps, ils essaient toujours d’obtenir du matériel supplémentaire en termes de tests et d’équipements de protection et ils ont augmenté la capacité de tests.
Riya : OK, merci beaucoup, Weeham, pour cette présentation détaillée de la situation actuelle, merci pour cela. Rafeef, je voudrais te ramener dans la discussion et je veux faire un petit zoom arrière et te demander de parler de la nature du projet colonial de peuplement d’Israël, qui se situe dans un système économique mondial et comment il influe sur les contours locaux de la crise actuelle. Donc comment la situation globale se reflète sur les particularités que nous voyons sur le terrain et les influence, dans le sens de ce que disait Weeham ?
Rafeef : Bien sûr, j’aurais tort de ne pas partir de là où je suis en ce moment, c’est-à-dire de Londres, au Royaume-Uni, l’un des piliers centraux de ce qui a contribué à l’établissement de la colonie de peuplement israélienne, et jusqu’à ce jour, Israël utilise encore une grande partie des lois du Mandat britannique pour harceler les Palestiniens. Ce type de relation avec l’empire s’est donc poursuivi dans les structures mêmes de l’État israélien, et continue bien sûr avec le soutien massif des États-Unis qu’Israël reçoit, diplomatique, militaire, financier, non seulement des États-Unis mais aussi de l’Union européenne. Ce type de soutien extérieur au projet colonial de peuplement a donc existé et continue d’exister.
Le colonialisme de peuplement est un type particulier de colonialisme où l’on implante les colons dans un nouveau lieu. Parfois c’est par un génocide complet de la population indigène, parfois c’est par son intégration et son utilisation comme main-d’œuvre locale. En Palestine, nous avons eu, bien sûr, le nettoyage ethnique en 1948 et même, ensuite, avec les réfugiés en 67, qui a déplacé les gens de leur terre, en faisant d’eux des ouvriers. Et ici, nous voyons cela en grande partie avec les Palestiniens par exemple des zones de 48. Souvent les gens oublient, mais beaucoup des lois militaires qui s’appliquent à l’intérieur des territoires occupés ont en fait été appliquées pour la première fois aux Palestiniens de 48, et notamment le système de permis, le système de réserve, qui a été appliqué pour la première fois aux Palestiniens de 48. Les réfugiés palestiniens qui ont été expulsés des territoires occupés sont aussi devenus en grande partie des ouvriers, des travailleurs de la construction, dans des endroits comme le Liban mais aussi plus loin au Moyen Orient.
L’acte initial du colonialisme de peuplement, l’acte de nettoyage ethnique, a vraiment joué un rôle central dans le passage des Palestiniens d’une communauté essentiellement paysanne à une communauté d’ouvriers salariés, et c’est quelque chose que nous voyons encore, parce que cela n’a pas été seulement un processus de nettoyage ethnique et d’occupation militaire. Parallèlement à cela, il y a eu un processus de pacification économique, qui a tenté d’étrangler l’économie palestinienne.
Et il est très difficile de parler d’une économie palestinienne en fait, c’est très difficile, je n’arrêtais pas de faire des allers-retours, parce qu’en réalité aujourd’hui nous avons une seule économie, une économie forte qui est l’économie israélienne et puis une économie captive qui est l’économie palestinienne. C’est une économie captive complètement dé-développée. Cela n’a pas commencé avec les accords d’Oslo mais cela s’est certainement intensifié, et je parlerai plus tard du protocole de Paris et des accords d’Oslo, mais c’est dans ce cadre d’une économie captive qu’Israël projette vers le reste du monde l’image d’un État exceptionnel avec une économie très développée.
L’industrie de l’armement est bien sûr l’un des éléments les plus importants de son intégration dans l’économie mondiale. Israël est le 8e exportateur d’armes au monde. Et une grande partie de cette industrie est l’industrie de la surveillance en particulier. Il y a des équipements israéliens dans 40% des drones, à l’échelle internationale. C’est à ce niveau que l’intégration et la production ont lieu, et bien sûr, comme beaucoup l’ont dit, tout cela est vendu comme « testé au combat » et vérifié dans les territoires palestiniens. Ainsi, l’économie israélienne a vraiment dépendu en grande partie de la destruction des moyens de subsistance des Palestiniens, que ce soit dans les territoires occupés ou chez les Palestiniens de 48. Israël peut projeter cette image mais en réalité, c’est l’un des pays de l’OCDE les plus inégalitaires. Plus d’un cinquième de sa population vit sous le seuil de pauvreté et une très grande partie de celle-ci est constituée de citoyens palestiniens d’Israël. Ainsi, les structures du colonialisme de peuplement israélien, vous le voyez, comme vous l’avez mentionné plus tôt au début, se trouvent, à des degrés variés, dans la racialisation et les mécanismes développés contre les citoyens palestiniens d’Israël, contre les Palestiniens des territoires occupés, mais aussi contre les réfugiés palestiniens à l’extérieur qui se voient refuser le droit au retour.
Riya : Merci pour cela. Pour poursuivre, tu as mentionné le protocole de Paris sur la dimension économique qui a été intégré aux accords d’Oslo. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus à ce sujet, sur la façon dont ces accords économiques ont créé une économie palestinienne captive ? Ils ont un impact sur ce que nous pourrions appeler « une économie palestinienne » en termes de main-d’œuvre et d’aspects de la vie quotidienne et cela a également favorisé l’intervention de compagnies privées. Et je me demande si tu pourrais aussi, spécifiquement sur la question de la main-d’œuvre. En ce moment, la question du travail, particulièrement dans la crise actuelle, devient absolument cruciale, et a pris une forme particulière ici aussi. Je me demande si tu pourrais développer ce dont tu parlais, mais avec un accent particulier sur le travail.
Rafeef : Pour commencer, ce n’est pas comme s’il y avait une économie palestinienne florissante avant le conflit. Nous parlons d’une économie qui était déjà étranglée, et d’une économie stagnante. Donc le Covid est apparu dans une phase parfaite de stagnation économique, après bien sûr des décennies de politique de dé-développement colonial. Et ici, je dois souligner que ce n’est pas accidentel et causé par un conflit qui se calme et reprend. Les gouvernements israéliens, qu’ils soient dits de gauche ou de droite, ont mené des politiques cohérentes de dé-développement de l’économie palestinienne, à la fois en l’intégrant et en la subordonnant au capital israélien.
Le protocole de Paris est donc l’aspect économique des accords d’Oslo et, chose amusante, beaucoup de gens aiment parler d’Oslo mais souvent les gens ne parlent pas de l’aspect économique. De la manière la plus élémentaire, le protocole de Paris lie les territoires occupés et Israël dans une même enveloppe fiscale. Ainsi, Israël perçoit ces taxes et les retient, cela c’était déjà le cas pré-covid, au lieu de les transférer à l’Autorité palestinienne. Et cela représente 65% des revenus de l’Autorité palestinienne, qu’elle utilise pour payer ses employés, etc. Les accords d’Oslo et le protocole de Paris en particulier relient les infrastructures palestiniennes aux infrastructures israéliennes, donc quand vous payez votre facture de téléphone, ou plutôt votre facture d’internet, vous payez essentiellement une société israélienne, la TVA est liée à la TVA israélienne, elle ne peut pas être supérieure à 2% dans les territoires occupés.
Nous parlons donc bien d’une économie captive qui est isolée du monde extérieur, des marchés internationaux. Environ 50 à 60 % des importations dans les territoires occupés proviennent d’Israël, mais 85 à 90 % des exportations palestiniennes vont vers le côté israélien. Il y a donc une dépendance et une intégration totales de l’économie palestinienne. Avant le conflit, le taux de chômage était de 25 à 30 % en Cisjordanie, mais il atteignait 50 % dans la bande de Gaza. Cela s’ajoute à un taux d’activité extrêmement faible de 47 %. Et la Cisjordanie a l’un des plus faibles niveaux de participation des femmes au marché du travail, même en comparaison régionale ou internationale.
Ainsi, cette situation économique, qui était déjà présente avant le covid, a vu une très forte baisse des salaires réels et une augmentation de la pauvreté, en raison de la hausse des prix de base de choses comme le carburant, la nourriture et le logement. L’industrie manufacturière s’est presque effondrée, elle est tombée à 11 %. L’industrie agricole et l’industrie de la pêche sont tombées à 3 %. C’est la ligne de vie de toute économie, en particulier en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Tout cela, non seulement n’avait pas pu se développer, mais avait été systématiquement détruit. En plus de tout cela, l’économie est affaiblie par une interdiction israélienne d’importation de tout ce qu’ils considèrent comme « à double usage ». Et ils listent beaucoup de choses, et je suis sûr que Weeham le sait et peut l’expliquer, beaucoup de ces choses qui sont considérées comme « à double usage » relèvent aussi du secteur de la santé. Ainsi, des choses très simples ne sont pas autorisées à entrer parce qu’elles sont considérées comme « à double usage ».
Ainsi, cet étranglement et cette destruction de l’économie palestinienne se produisaient déjà, en plus des importantes réductions de l’aide des donateurs, en grande partie des États-Unis bien sûr. Donc, ce que nous voyons avec le plan Trump en particulier, c’est la destruction des moyens de subsistance des Palestiniens, la réduction de l’aide des donateurs, cet étranglement continu de l’économie, l’augmentation des niveaux de chômage, afin que les Palestiniens puissent accepter les miettes du développement économique et abandonner leurs droits. Et c’est pourquoi je pense qu’il y a maintenant une occupation militaire, mais aussi une politique de pacification économique très stricte et très sérieuse, qui consiste à détruire les moyens de subsistance des Palestiniens et à leur demander ensuite d’accepter tout ce qui leur est proposé, juste pour pouvoir vivre.
Cela signifie qu’un nombre croissant de Palestiniens doit trouver du travail. Pour trouver du travail, beaucoup d’entre eux sont obligés d’émigrer et de partir, et nous avons vu beaucoup de jeunes de Gaza, par exemple, faire cet horrible voyage à travers la Méditerranée et mourir en cours de route. Ou bien beaucoup de gens sont obligés de travailler sur le marché du travail israélien parce qu’il n’y a rien pour eux sur le marché palestinien. Essentiellement, expulser les gens de leur terre, s’assurer que l’économie est étranglée, c’est leur laisser très peu de choix, et en fait, il a été assez incroyable de voir comment, dans un endroit comme la bande de Gaza, et en Cisjordanie, les gens ont encore résisté à ce genre d’étranglement économique et ont refusé le plan Trump comme ils l’ont fait.
Riya : Salut, je suis de retour, la crise est terminée, désolée pour ça, il est évident que les capacités de l’Internet ne sont pas aussi fortes que nous le pensions. Rafeef, j’espère que tu as continué à parler du Protocole de Paris et que tu as fait une intervention fantastique ?
Rafeef : J’ai continué à parler.
Riya : Ok, merci beaucoup pour ça. Weeham, je voulais que tu nous donnes une idée, très brièvement parce que nous approchons de la fin, et j’ai encore des questions que je voudrais que Rafeef aborde, mais je me demandais si tu pourrais nous parler très brièvement des implications du Protocole de Paris, en particulier lorsque nous parlons du secteur des soins de santé, donc lorsque nous parlons de produits pharmaceutiques, lorsque nous parlons d’accès aux soins, donc pourrais-tu nous donner une idée des implications économiques du Protocole de Paris sur le secteur des soins de santé palestinien, très brièvement s’il te plaît, désolée.
Weeham : Comme l’a dit Rafeef, l’un des principaux éléments du Protocole de Paris est le « double usage », c’est-à-dire que de nombreux articles sont en fait interdits d’entrée en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Mais beaucoup de ces articles sont nécessaires, si vous parlez de fabrication ou de développement, même en termes de capacité du système de santé, donc spécifiquement, par exemple, tout équipement de radiothérapie est interdit d’entrer en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza en raison de cet argument selon lequel il pourrait être utilisé de manière à menacer la sécurité d’Israël. Mais cela signifie aussi que cela lie davantage le système de santé palestinien. C’est aussi lea cas pour les produits pharmaceutiques, en termes de matières premières, dont certaines ne sont pas mises à disposition. Donc, ce que vous faites essentiellement, c’est que vous fixez un plafond à la manière dont le système de santé peut se développer, à la manière dont la fabrication locale peut également se développer de manière à répondre aux besoins du système de santé. Et ce que cela fait, c’est que cela augmente la dépendance du système de santé palestinien vis-à-vis des services israéliens.
Et si vous regardez réellement comment les choses sont dépensées au sein du système de santé, plus de 30 % des coûts, des dépenses annuelles, au sein du système de santé vont à des transferts en dehors du ministère palestinien de la santé – et principalement pour des soins curatifs, et le plus gros poste de dépenses est celui des services d’oncologie – et ceux-ci vont soit au ministère israélien de la Santé soit aux hôpitaux israéliens. Dans les hôpitaux israéliens, le prix est également beaucoup plus élevé, donc même si ces transferts représentent environ 17% de nos transferts, ils représentent environ 34% des dépenses de transfert. Vous limitez donc le potentiel de développement du système de santé et le liez également.
Et une autre chose qui y est liée est le système de permis et la classification des différentes zones administratives, et ce que cela fait aussi, c’est que cela limite la capacité du système de santé à fonctionner comme un tout cohérent. Quand vous devez compter sur des permis, il y a des retards dans la réalisation des projets, des produits sont laissées au port, qui doivent être approuvés par
Israël. Ce qui entraîne toutes sortes de pénuries et de retards dans le système de santé qui découlent de cet arrangement économique. Et les bénéfices reviennent dans l’économie israélienne.
Riya : Merci beaucoup pour ça, Weeham, merci beaucoup d’être concise et de nous donner une idée de la complexité de la situation. J’aimerais revenir à Rafeef et mettre à nouveau la question du travail sur la table. J’aimerais parler de la main-d’œuvre palestinienne dans l’économie israélienne. Ces derniers temps, avec la propagation du corona, on a fait un peu la lumière sur la main-d’œuvre palestinienne dans l’économie israélienne. Il y a eu de nombreux développements à cet égard, et j’aimerais donc que tu nous donnes peut-être une idée de la place de la main-d’œuvre palestinienne dans le projet colonial de peuplement israélien, dans l’économie israélienne, mais aussi que tu nous parles spécifiquement de ce qui s’est passé dernièrement. Et puis j’ai une question complémentaire portant spécifiquement sur le secteur de la construction. Pour ceux qui sont très impatients de partir, car il est presque 9 heures, je vous informe qu’il y a une question intéressante, donc vous devriez attendre et écouter la réponse.
Rafeef : Pour être honnête avec vous, je pense que nous devrions essayer d’avoir une autre session sur le travail en particulier parce que les choses changent très rapidement en termes de ce qui est proposé en Cisjordanie et à Gaza pour traiter de la question du travail. C’est une situation qui évolue très rapidement parce que les demandes de main-d’œuvre changent. Au début, tout le monde parlait de la santé et du secteur des soins de santé et essayait de contenir la situation sanitaire le plus rapidement possible, mais maintenant, les questions économiques commencent vraiment à mordre, et ici ce que j’ai mentionné plus tôt à propos du secteur informel est vraiment important. À cause des changements du Protocole de Paris et des changements dans l’économie politique des territoires occupés. Ces changements étaient essentiellement un plan de la Banque mondiale sur la façon dont une économie devrait être structurée.
Ainsi, l’économie palestinienne, pour autant qu’on puisse dire qu’il y en ait une aujourd’hui, est très structurée sur le secteur des services, et la plupart de ce secteur des services est en fait informel. Ainsi, les personnes à qui l’on a dit de se confiner vivent de feuille de paye en feuille de paye ou se trouvent dans le secteur informel et ne peuvent pas toujours compter sur ce qui va rentrer. Et cela commence vraiment à mordre et il n’existe actuellement aucune disposition sur la manière dont ces travailleurs seront traités. Nous entendons des annonces différentes chaque jour. On a beaucoup plus parlé du secteur public parce que c’est ce que l’Autorité palestinienne paie, et c’est bien sûr un secteur important. C’est un secteur très endetté, parce qu’une partie des changements a également consisté à permettre aux employés de l’Autorité palestinienne de contracter des prêts, contrairement aux personnes du secteur informel ou du secteur des services. Ils sont cependant plus protégés que les personnes de l’économie informelle et beaucoup plus protégés que les travailleurs qui doivent aller dans l’économie israélienne.
Il est important de se rappeler que les ouvriers qui vont travailler dans l’économie israélienne, que ce soit dans les colonies illégales ou à l’intérieur de la Ligne verte, sont pour la plupart des personnes dont les terres ont été confisquées, et qui n’ont donc aucune autre source de revenus, ou des réfugiés vivant dans des camps surpeuplés, et qui doivent faire ce voyage pour vivre et survivre. Il y a environ 133 000 personnes qui ont un permis d’entrée en Israël, mais ce n’est que le permis que nous connaissons. Il y a bien sûr tout un marché noir des permis et les travailleurs palestiniens sont vraiment exploités sur ce marché noir des permis, pour pouvoir entrer. Encore une fois je veux souligner que ce sont des gens qui entrent pour leur subsistance, afin de pouvoir mettre de la nourriture sur la table. Ce système de permis les lie à l’État israélien de manière vraiment terrible. Vous devez vous assurer qu’aucun membre de votre famille n’exerce d’activité politique, que vous n’avez pas d’antécédents. Beaucoup d’entre eux sont obligés de collaborer pour obtenir ce permis et, bien sûr, ces permis sont récemment devenus biométriques – pour introduire à nouveau l’angle de la surveillance.
Ces travailleurs doivent passer par d’horribles points de contrôle, et il y a des points de contrôle non seulement vers l’endroit où vous entrez dans la Ligne verte, mais aussi à l’intérieur des territoires palestiniens bien sûr. Il y a 705 obstacles physiques permanents qui restreignent la circulation des travailleurs palestiniens. Il peut s’agir de points de contrôle, mais il y a aussi des portes, des tas de terre, des blocs et des tranchées. Il faut donc passer par tout cela pour pouvoir arriver à sa destination finale. Ces travailleurs ont bien sûr été traités de façon horrible depuis le début.
J’en parlerai un peu si nous parlons de la construction ou je peux continuer et parler de la construction si cela vous convient ? D’accord. La majorité de ces travailleurs sont des ouvriers de la construction, certains sont des ouvriers agricoles et un très petit pourcentage travaille également dans des usines. Au début, on leur a dit qu’ils pourraient rester en Israël pendant un certain temps et que l’État israélien leur fournirait une sorte de logement. Cela n’a jamais été le cas. Ils étaient traités de façon horrible s’ils restaient dans les zones de 1948, alors l’Autorité palestinienne les a rappelés.
Beaucoup d’entre eux se sont conformés à cette demande, certains ne l’ont pas fait et sont restés à l’intérieur d’Israël et ils vivent toujours dans des conditions terribles. Israël leur a fourni une application qui indique où ils se trouvent. Il s’agit d’une application de surveillance qui peut également avoir accès à l’ensemble de votre téléphone. Mais la chose la plus terrible qui s’est produite est qu’une fois qu’ils ont été infectés ou qu’on a su qu’ils l’étaient, Israël les a simplement jetés à un point de contrôle du mur de l’apartheid. Donc, en gros, Israël utilise les Palestiniens comme main d’œuvre bon marché, mais les jette et se décharge de toute la responsabilité quand ils n’en veulent plus. Et c’est en partie pour cette raison que l’AP leur a demandé de rentrer chez eux. Le problème est qu’ils ont alors été stigmatisés comme vecteur de propagation du virus. Et le problème est que vous pouvez demander aux travailleurs de rester enfermés, mais si vous ne prenez pas en considération le fait qu’ils ont besoin de nourrir leur famille la plupart du temps et qu’ils travaillent au jour le jour avec des salaires très bas, il est très difficile de maintenir le confinement.
Maintenant, le langage de la sécurisation, et j’en ai parlé plus tôt, comme la militarisation de la situation, la sécurisation fait des travailleurs une menace pour la sécurité. Et nous l’avons vu, pas seulement en Palestine, mais aussi en Afrique du Sud et au Nigeria, s’en suit le déploiement de services de police ou de l’armée pour empêcher les gens de sortir et de gagner leur vie. Et oui, c’est une pandémie mondiale, nous devons penser à la santé et à la sécurité, nous devons tous prendre nos responsabilités, mais les États doivent aussi prendre leurs responsabilités, assumer que ces travailleurs, surtout quand ils sont dans l’économie informelle, doivent pouvoir survivre, et jusqu’à présent il n’y a pas vraiment eu de dispositions pour eux.
Nous voyons maintenant le début des discussions sur les dispositions à prendre à leur égard, et soulignons ici que les travailleurs, du moins avec des permis, paient des impôts et des cotisations à la Histadrout (le principal syndicat de travailleurs israéliens), qui confisque la plupart de cet argent, et qu’une partie de leur argent va également à la Fédération générale des syndicats palestiniens. Il y a donc eu beaucoup de déclarations de soutien aux travailleurs, comme si c’était de la charité, comme « nous allons soutenir nos pauvres travailleurs », mais en réalité cela correspond à leurs cotisations de travailleurs qui leur sont dues. Si nous pensons au secteur de la construction en particulier, le secteur israélien de la construction doit cet argent à ces travailleurs. Il doit à ces travailleurs leurs prestations de santé et il ne s’y conforme pas. Mais le secteur de la construction palestinien doit également de l’argent aux travailleurs de la construction palestiniens parce que c’est ainsi qu’il a gagné son propre argent.
Cette stigmatisation des ouvriers palestiniens a donc été vraiment terrible, et je pense que nous devons réfléchir à des exigences très spécifiques en matière de droit du travail dans cette situation. Dans une situation économique qui était déjà terrible auparavant, les choses ne font qu’empirer, et si nous ne formulons pas des demandes très claires concernant les droits des travailleurs palestiniens, qu’il s’agisse des travailleurs à l’intérieur des territoires occupés ou de ceux qui font des allers et retours, nous allons vraiment les voir écrasés sous le poids de cette pandémie.
Riya : Merci beaucoup pour cela, pour avoir terminé sur cette note, Rafeef, et cela met tout en perspective, et clarifie pour nous les défis et les tâches qui nous attendent, mais aussi les connexions que nous devons établir, les questions auxquelles nous devons penser, et comment penser une pandémie mondiale mais aussi tous les liens à l’échelle du globe qui rendent la crise actuelle si aiguë et si profonde et qui ont un impact sur beaucoup de nos vies.
Je tiens à vous remercier toutes les deux pour cela, pour vous être jointes à nous. Je vous remercie également tous d’avoir assisté à cet entretien et je vous présente mes excuses pour certains problèmes techniques, ainsi que pour avoir perdu momentanément la ligne. J’espère que vous avez tous pu suivre, que vous avez trouvé cette discussion utile et que vous l’avez trouvée significative, et je veux vraiment me faire l’écho de ce que disait Rafeef, à savoir que c’est une situation très volatile qui change continuellement, qui évolue. Nous ne parlons pas de problèmes du passé, nous ne parlons pas de choses qui sont gravées dans le marbre. Tout cela est un processus qui est toujours en mouvement et nous devrions continuer à le traiter. C’est un processus en mouvement, et traiter des processus en mouvement signifie aussi qu’on peut les influencer. Donc, pensons aussi à cela, mais continuons à surveiller, à penser à la façon dont les choses évoluent sur le terrain, mais aussi à faire continuellement les liens que Weeham et Rafeef ont si bien faits dans cette discussion. Débarrasser le niveau local de certaines rigidités liées à un contexte particulier, tout en le reliant aux processus mondiaux et aux processus plus importants qui se produisent. Merci beaucoup à vous deux pour cela.
En ce qui concerne le suivi de la situation, nous avons lancé à Who Profits ce que nous appelons un rapport dynamique sur le covid-19 et nous continuons à suivre l’impact du covid-19 ici en Palestine sous plusieurs angles. Nous nous penchons sur la question des travailleurs, de Gaza, de la surveillance et d’autres éléments. Je vous invite donc à aller sur notre site web pour voir cela, et nous continuerons à le développer. Restez à l’écoute de ce que nous allons apporter dans le cadre de cette réflexion. Ce ne sera pas la dernière fois que nous nous rencontrons dans ce format, pour réfléchir ensemble aux implications du covid-19, et aux implications d’économie politique du covid-19 pour le moment, mais aussi au fur et à mesure de son évolution et au-delà.
Merci encore à vous deux pour tout, et merci à tous de vous être joints à nous.
Traduction : MV pour l’Agence Média Palestine
Source : Facebook Who Profits