L’annexion ne concerne pas seulement le vol de terres – elle expulse les Palestiniens

Ce que la communauté internationale considère comme une démarche illégale sous occupation est en fait une autre étape du projet colonial de peuplement vieux d’un siècle.

Par Ahmad Al-Bazz, le 19 mai 2020

Des hommes juifs célèbrent le Jour de Jérusalem, qui marque le 52ème anniversaire de l’occupation par Israël de Jérusalem Est lors de la guerre de juin 1867.
(Yonatan Sindel/Flash90)

Pour de nombreux lecteurs des sites d’information grand public ces dernières semaines, il peut sembler qu’Israël se prépare à mettre en œuvre un plan drastique d’annexion de la Cisjordanie occupée, suite à l’accord de coalition du nouveau gouvernement israélien et au soi-disant « Deal du siècle » des États-Unis.

Mais les Palestiniens savent très bien que l’annexion israélienne n’a rien de dramatique. Au contraire, ils sont fâchés que la communauté internationale se montre si surprise de cette décision.

Pour comprendre l’écart entre les titres des médias et les faits sur le terrain, mettez-vous à la place d’un citoyen israélien ordinaire qui décide de faire un voyage de son appartement de Tel-Aviv à la mer Morte, dont une grande partie se trouve en Cisjordanie occupée.

Il suffit à ce citoyen de prendre une seule autoroute vers l’est et, en moins d’une heure et demie, il est arrivé près de la rive du Jourdain. Il n’y a pas de checkpoint et aucun changement d’itinéraire sur ce court trajet – aucune indication que l’on est entré en Cisjordanie. Des panneaux routiers en hébreu s’étendent tout au long de l’itinéraire, la police israélienne fait respecter le code de la route et l’Autorité des parcs nationaux israéliens accueille les visiteurs sur ses sites environnants.

Le chauffeur israélien veillera à ne pas entrer par erreur dans les zones où vivent les Palestiniens de Cisjordanie. Ce n’est pas difficile, car à la suite des accords d’Oslo, l’armée a installé de grands panneaux rouges à l’entrée des localités palestiniennes pour avertir les Israéliens qu’il est « dangereux » d’entrer dans ces zones. Un Palestinien qui se trouve de l’autre côté de ces panneaux ne peut bien sûr ni prendre la route pour rentrer en Israël ni se rendre dans les mêmes stations de la mer Morte que le chauffeur israélien.

L’entrée du village palestinien de Dier ‘Ammar vue depuis l’autoroute israélienne 463, Cisjordanie, 18 janvier 2019. (Ahmad Al-Bazz / Activestills)

En dépit de l’apparence de la structure politique de la terre, la carte physique de la Palestine-Israël en 2020 est en fait très simple : même avec quelques enclaves palestiniennes semi-autonomes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, tout, du nord au sud, de l’est à l’ouest, est gouverné par Israël.

Cette réalité existe depuis des décennies. Et pourtant, le monde est en quelque sorte alarmé par le fait qu’Israël veut maintenant « officialiser » cette réalité par une annexion formelle. Ce que la communauté internationale considère comme un geste illégal de la part d’un occupant militaire, ou comme un différend territorial sur les frontières entre deux gouvernements, les Palestiniens le comprennent comme une autre étape du projet colonial de peuplement d’Israël qui est centenaire.

L' »erreur » démographique

L’exclusion et le contrôle, qui ont toujours été des caractéristiques essentielles du sionisme, sont les éléments constitutifs de la géographie du pays. L’objectif de créer un pays exclusivement juif dans lequel habitent d’autres personnes, a façonné la réalité en oppression sans fin des Palestiniens. Le sionisme a donné à choisir aux Palestiniens entre l’expulsion et l’exil, ou la domination israélienne sans droits. Tous les Palestiniens, où qu’ils se trouvent dans le monde, sont soumis à l’un ou l’autre de ces destins.

Après la création de l’État en 1948, de nombreux Israéliens ont été déçus de ne pas avoir pris au sein de l’État nouvellement créé des villes telles que Hébron, Naplouse et la vieille ville de Jérusalem, qui sont considérées comme des lieux saints juifs. Cet espoir s’est finalement réalisé en 1967, lorsqu’Israël a pris le contrôle de l’ensemble de la Palestine mandataire. Mais, à l’exception de Jérusalem-Est, l’État n’a jamais annexé ces territoires dans le cadre du droit israélien.

Jusqu’à ce jour, Israël s’est montré soucieux d’éviter de répéter l’erreur démographique qu’il a commise en accordant à certains Palestiniens la citoyenneté israélienne en 1948. Les Palestiniens étant placés sous régime militaire jusqu’en 1966 et discriminés depuis lors, l’existence même de citoyens palestiniens a contrecarré les plans d’Israël de créer un État purement juif. Ainsi, les Palestiniens en Israël se voient constamment rappeler qu’ils ne sont pas désirés : Netanyahou a dit clairement l’année dernière qu' »Israël n’est pas un État pour tous ses citoyens », et même le deal du siècle a proposé de transférer leurs communautés à une future entité palestinienne.

Habitants du village « non reconnu » de Al-Araqib tenant des photos de Activestills montrant leur lutte, lors d’une manifestation contre la démolition de leurs maisons en 2010. Les autorités israéliennes ont, depuis, démoli le village plus de 100 fois. (Activestills.org)

Hanté par son erreur, Israël a décidé de mener une politique de « temporaire permanent » en Cisjordanie et à Gaza : l’annexion de facto, plutôt que de jure, serait leur échappatoire. Il a créé de nouvelles catégories pour la population indésirable : un droit de « résidence permanente » rouge pour les habitants de Jérusalem-Est (dont des milliers ont été révoqués depuis 1967), et des cartes d’identité orange ou verte pour ceux de Gaza et de Cisjordanie, gérées par le ministère israélien de la défense.

L’État a simultanément encouragé sa population juive à s’installer dans les territoires occupés. Au fur et à mesure de l’expansion des colonies, Israël a construit des routes de contournement, des murs et des clôtures pour s’assurer non seulement que les colonies restent reliées entre elles et à Israël, mais aussi pour contrôler et limiter les mouvements de la population palestinienne.

Alors pourquoi, après plus de cinquante ans de ce caractère « temporaire permanent », Israël décide-t-il d’officialiser cette réalité ? Et quelle devrait être la réponse des Palestiniens ?

La réponse des Palestiniens

La réponse se trouve dans ce qu’Israël se prépare peut-être à annoncer : non seulement l’absorption des colonies et des terres environnantes, qui sont déjà sous son contrôle, mais aussi le nettoyage final des Palestiniens qui restent dans ces zones. Ce plan se déroule depuis des années dans des endroits comme la vallée du Jourdain, l’E1 et les collines du sud d’Hébron, mais il pourrait être poursuivi plus rapidement une fois que l’annexion officielle sera déclarée.

Étant donné l’impunité avec laquelle Israël a violé le droit international dans les territoires occupés, il n’y a pas de meilleure occasion pour les Palestiniens d’abandonner enfin le discours légaliste de l' »occupation ». Les Palestiniens ont longtemps donné à ce cadre international une chance d’aider leur lutte, malgré toutes ses limites et les fausses représentations de leur cause – mais en vain.

Une section du mur de séparation israélien qui annexe des terres de districts de Bethléem et de Jérusalem, Beit Jala, Cisjordanie, 6 avril 2019. (Anne Paq/Activestills )

Les dirigeants palestiniens ont participé à cet échec. Jusqu’à la fin des années 1980, les dirigeants nationaux palestiniens considéraient Israël comme une colonie de peuplement qui usurpait la terre palestinienne ; ils exigeaient le retour des réfugiés et réclamaient un seul État démocratique pour tous. Mais depuis lors, l’Organisation de Libération de la Palestine a officiellement reconnu Israël et adopté la solution des deux États, en grande partie pour satisfaire le point de vue de la communauté internationale, qui fonctionne sur le faux postulat d’un « conflit » entre deux parties égales.

Ce cadre a remplacé l’exigence palestinienne de décolonisation de la Palestine mandataire et a accepté la Ligne Verte comme frontière à l’intérieur de laquelle enfermer les Palestiniens dans un quasi-État. Près de 30 ans après les accords d’Oslo, la politique de colonisation de peuplement d’Israël continue à traiter les Palestiniens comme un groupe colonisé, indésirable et identique – qu’ils soient citoyens d’Israël, sujets occupés ou réfugiés expulsés.

Le président palestinien Mahmoud Abbas prétend reconnaître ce fait en menaçant à plusieurs reprises de démanteler l’Autorité palestinienne ou de se retirer des prétendus accords de sécurité avec Israël. Mais Abbas n’a jamais été assez courageux pour aller jusqu’au bout. Si l’Autorité palestinienne ne fait rien pour corriger ses erreurs, elle maintiendra simplement les plans d’Israël visant à ce que les dirigeants palestiniens administrent des enclaves ratatinées, au nom de l’État.

Ainsi, alors qu’Israël peaufine la prochaine phase de son projet de colonisation, il est temps pour les Palestiniens de revenir à leurs exigences initiales de décolonisation complète et d’un État démocratique où tous les êtres humains ont des droits égaux sur cette terre, et de développer de nouvelles stratégies pour atteindre cet objectif. D’ici là, la communauté internationale n’a pas le droit de regretter l’annexion prochaine. Celle-ci est simplement le fruit de l’oeuvre coloniale d’Israël, que la communauté internationale elle-même n’a jamais pris de mesures pour arrêter.

Traduction : SF pour l’Agence Media Palestine

Source : +972 Magazine

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