Un lynchage retrace l’histoire de la pyramide raciale d’Israël

Par Orly Noy, le 21 juillet 2020

L’acquittement de deux Israéliens dans le lynchage d’un demandeur d’asile érythréen révèle à quel point la suprématie blanche est profondément ancrée dans l’institution politique d’Israël.

Ils sont des centaines à assister à une cérémonie commémorative en l’honneur du demandeur d’asile érythréen Haftom Zarhum, dans le sud de Tel Aviv, le 21 octobre 2015. (Tomer Neuberg/Flash90)

« Pour des raisons qui restent peu claires, ils étaient de ceux qui soupçonnaient le défunt d’être le terroriste, et en raison de ce soupçon, il a été abattu par l’agent de sécurité de la gare routière centrale ».

Tels sont les mots écrits lundi par le juge Aharon Mishnayhot, du tribunal du district de Be’er Sheva, pour l’acquittement de deux des quatre Israéliens accusés dans le lynchage du demandeur d’asile Habtom Zarhum, en octobre 2015. Zarhum se trouvait à la gare routière centrale de Be’er Sheva quand Muhannad al-Okabi, de la ville bédouine de Hura, a ouvert le feu et tué un soldat israélien. Le prenant pour l’agresseur, un agent de sécurité a tiré sur Zarhum, après quoi un groupe de soldats s’est mis à le frapper alors qu’il gisait dans son sang à terre.

Il y a beaucoup à dire sur le jugement ignoble rendu par Mishnayhot, celui-ci était auparavant à la tête des tribunaux militaires en Cisjordanie occupée. Commençons par cette simulation d’innocence dans « pour des raisons qui restent peu claires ». En réalité, les raisons du meurtre sont très claires pour tous : si on a soupçonné Habtom Zarhum d’avoir commis l’agression, c’est parce qu’il était un Noir dans un État juif  suprémaciste blanc.

La documentation vidéo de l’évènement montre Zarhum en train de courir pour sa vie aux côtés de toutes les autres personnes présentes à ce moment dans la gare. Il n’y avait aucune raison de soupçonner que c’était lui le tireur, parmi tous les autres. S’il avait été blanc, alors le risque qu’il soit considéré comme un suspect et abattu par l’agent de sécurité aurait été nul.

Ils sont des centaines à assister à une cérémonie commémorative en l’honneur du demandeur d’asile érythréen Haftom Zarhum, dans le sud de Tel Aviv, le 21 octobre 2015. (Tomer Neuberg/Flash90)

L’acquittement des Israéliens qui ont participé au lynchage est intervenu juste le lendemain du jour où le ministre des Finances, Yisrael Katz, annonçait qu’il avait bloqué un ensemble d’aides destinées à des organisations à but non lucratif afin que l’argent du gouvernement n’aille pas à des organisations qui soutiennent les demandeurs d’asile africains. La proximité entre l’annonce de Katz et le jugement de Mishnayot peut être fortuite, mais les deux font partie de la même déshumanisation des demandeurs d’asile.

Quand le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour diffuser le message que les demandeurs d’asile en Israël ne sont pas considérés comme des êtres humains – que leur vie est donc quantité négligeable et qu’ils peuvent faire l’objet de toutes sortes d’injustices -, il n’y a aucune raison de supposer qu’un juge qui a affûté ses capacités professionnelles dans les territoires occupés soit celui qui imprégnera un sens à la vie et à la mort d’un homme lynché.

Quatre hommes ont été traduits devant le tribunal pour ce lynchage : deux en civil et deux en uniforme. Les deux en civils ont été condamnés dans le cadre d’une négociation de peine. L’un à cent jours de prison qui se sont terminés en travail d’intérêt public, et au versement de 2000 NIS à la famille des victimes. L’autre a été emprisonné pour quatre mois et a dû verser la même indemnisation. Lundi, Mishnayot a acquitté le soldat des FDI, Yaakov Shamba, et l’agent du service pénitentiaire, Ronen Cohen. Cela aussi est loin d’être une coïncidence. Les deux ont refusé de signer un accord sur la peine, prétendant qu’ils préféraient se rendre devant le tribunal, alors qu’en réalité, ils avaient une très bonne raison d’agir ainsi : ils savent qu’en Israël, les autorités non seulement légitiment, mais encouragent en fait l’instinct qui pousse à tuer chez ceux qui portent un uniforme.

Les statistiques derrière cette affirmation sont sans équivoque et inquiétantes. Il y a quatre ans, l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme, B’Tselem, annonçait qu’elle cessait de coopérer avec les FDI (Forces de défense israéliennes), y compris avec leur système d’enquête militaire, après être arrivée à la conclusion que cela n’était rien de plus qu’une feuille de vigne pour les crimes commis par les soldats. Entre 2000 et jusqu’à ce que cette décision soit rendue, B’Tselem a déposé 739 demandes d’ouverture d’enquête pour des dossiers où des Palestiniens ont été tués, mutilés ou agressés par des soldats. Seuls, 25 de ces dossiers ont abouti à une mise en accusation.

Ceci n’est pas seulement vrai pour l’armée mais encore pour la police : au cours de ces six dernières années, des policiers ont tué 16 citoyens israéliens. Pas un seul policier n’a été condamné. Ces statistiques ont joué assurément un rôle dans la décision de Shamba et Cohen pour aller devant le tribunal : il n’y a pratiquement personne dans l’institution israélienne qui souhaite voir les soldats ou les policiers réfléchir à deux fois avant de sortir leur arme et d’ouvrir le feu. Sur des personnes basanées, bien sûr.

Des membres de la famille et des sympathisants assistent à une cérémonie en l’honneur de Soloman Tekah, abattu et tué à Kiryat Haim par un policier mis en congé le 30 juin 2019, à Kiryat Haim, le 10 juillet 2019. (Flash90)

Il y a cinq ans, au cours de toute une série d’attaques au couteau et à la voiture bélier par des Palestiniens, Shlomo Haim Pinto a poignardé Uri Razkan ans la ville de Kiryat Ata, dans le nord d’Israël. Pinto soupçonnait Razkan, un juif Mizrahi à la peau noire, d’être palestinien – et il a décidé de le tuer (Pinto dira plus tard au tribunal qu’il avait une « vocation spirituelle » pour poignarder un Arabe). Pinto a été condamné à 11 ans de prison pour tentative de meurtre. S’il avait été en uniforme, peut-être que le juge l’aurait acquitté sur la base d’un « doute raisonnable ».

Maintenant, pensez à Yehuda Biadga, Solomon Tekah, Shirel Habura, Yacoub Abu al-Qi’an, Kheir Hamdan, Sami Al-Ja’ar, et à tant d’autres citoyens israéliens qui ont été abattus par la police, et vous verrez exactement comment la pyramide de la race fonctionne en Israël. Si vous êtes un homme à la peau basanée, vous faites partie déjà d’un groupe à haut risque. Les juifs qui sont tués par des hommes en uniforme pourraient peut-être recevoir plus d’attention de la part des médias, mais cela ne signifie pas qu’ils recevront justice. Les non-juifs tués par des hommes en uniforme devraient être reconnaissants s’ils ne sont pas déclarés « terroristes » après leur mort. Les civils juifs israéliens qui tuent des civils juifs israéliens peuvent payer un prix pour leur crime. Et les civils non juifs qui sont tués par des civils juifs israéliens ? Leurs familles recevront 2000 shekels une fois qu’elles auront mis leur proche en terre.

Orly Noy est rédactrice à « Local Call », militante politique, et traductrice de prose et de poésie du persan. Elle est membre du conseil exécutif de B’Tselem et une militante du parti politique Balad.  

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

Source : +972 Magazine

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