Par Salena Fay Tramel, le 24 juin 2020
La violente invasion et annexion de la terre palestinienne par Israël met la Cisjordanie et ses résidents dans une situation extrêmement vulnérable.
Ce ne fut pas une année facile pour les Palestiniens, si tant est que rien de tel ait jamais existé. Au tournant de la nouvelle décennie en janvier, l’administration américaine a révélé le plan paradoxalement qualifié de « deal du siècle » – appelant Israël à annexer unilatéralement environ un tiers de la Cisjordanie. Puis le coronavirus s’est introduit en mars à Bethléem par les checkpoints, mettant des millions de Palestiniens en confinement. Et en avril, Israël a formé un gouvernement d’union avec en vue l’annexion immédiate de la Vallée du Jourdain, en violation directe du droit international.
Aujourd’hui, quelques semaines seulement avant que ce vol de terre soit prévu pour être imposé en juillet, beaucoup de Palestiniens craignent qu’il passe presque inaperçu, l’attention mondiale étant carrément concentrée sur le besoin de vaincre le virus et de freiner ses répercussions économiques.
La Palestine est souvent présentée comme une anomalie dans la politique mondiale. Les apologues de l’occupation des territoires palestiniens par Israël ont su efficacement présenter un récit sur son caractère exceptionnel en insistant sur la taille relativement petite de ce coin de Méditerranée passionnément disputé et en déclarant qu’il y existe des divisions religieuses irréconciliables. Le combat contre la COVID-19 a fait la démonstration d’une dynamique similaire, tandis que le gouvernement israélien a bénéficié de somptueuses louanges pour sa réponse à la pandémie à l’intérieur de ses propres frontières, tout en la laissant se répandre dans les territoires occupés essentiellement sans contrôle.
Les mouvements de justice sociale du secteur agricole ont élevé leurs combats à de nouveaux sommets
Dans le contexte de crise récemment provoqué par la menace du plan d’annexion et les menaces sanitaires présentées par la pandémie, les mouvements de justice sociale du secteur agricole ont élevé leurs combats à de nouveaux sommets. Et dans ces tentatives, sont essentielles la protection des ressources naturelles telles que la terre, l’eau, les semences, et la reconnaissance des multiples formes de souveraineté palestinienne.
« Notre réponse à la pandémie du coronavirus a été d’exhorter notre peuple à revenir sur ses terres et à le cultiver », a dit Amal Abbas* du Syndicat des Comités d’Entreprises Agricoles (UAWC), petit mouvement de producteurs de nourriture qui représente quelque 20.000 paysans et pêcheurs de Cisjordanie et de Gaza. Cette version palestinienne de mise à l’abri sur place copie la stratégie à plus grande échelle de l’UAWC de résistance à l’occupation et à l’annexion, entreprise depuis 1986.
Le colonialisme de peuplement, processus invasif qui cherche à remplacer une population indigène par une autre extérieure, possède son propre ensemble de règles kafkaïennes qui le maintiennent dans le régime juridique d’Israël. Un exemple important en est une loi qui stipule que, si la terre n’est pas travaillée pendant trois ans, elle devient automatiquement terre de l’État [israélien]. L’armée israélienne s’est donné beaucoup de mal pour incorporer autant de terre palestinienne « oisive » que possible dans l’architecture de l’État. La loi sert en partie à justifier l’installation et l’expansion des colonies israéliennes illégales au moyen d’évictions violentes, de démolition de maisons, de confiscation de terres agricoles cultivées et grâce au mur de séparation.
« L’armée israélienne à tiré profit de notre actuelle situation d’urgence et a accéléré ses actions »
Les défenseurs des droits fondamentaux des Palestiniens travaillent à renverser cul par-dessus tête ce récit et le projet politique primordial qu’il soutient. Les paysans et les travailleurs agricoles de Cisjordanie et de Gaza – exactement comme partout ailleurs – sont depuis très longtemps des agents du changement social et, pour cette raison, font partie des secteurs les plus ciblés de la société palestinienne.
Cette forme lente de violente invasion, assortie à celle accélérée de l’annexion qui est sur la table du parlement israélien fortement soutenue par les Etats Unis, met l’avenir de la Cisjordanie et de ses résidents dans une position extrêmement vulnérable. « L’armée israélienne a tiré avantage de notre situation actuelle d’urgence et a accéléré ses actions », a tenté Amal.
Certaines des actions les plus énormes entreprises par les autorités israéliennes dans le contexte actuel de pandémie ont eu lieu dans la Vallée du Jourdain, qui est précisément la zone qu’ils cherchent à annexer. Cette zone tombe déjà sous la classification de Zone C, ce qui veut dire qu’elle fait partie des plus de 60 % de la Cisjordanie qui est déjà sous contrôle total civil et militaire d’Israël. Peut-être pas étonnant, la Zone C est riche en ressources naturelles telles que les nappes phréatiques et la terre fertile. La Vallée du Jourdain est non seulement sans équivoque le joyau agricole de la Zone C, mais elle est également une frontière stratégique avec la Jordanie et un portail vers les pays arabes du grand Levant.
Les services publics sont maigrement fournis à la population à majorité bédouine de la Vallée du Jourdain. C’est pourquoi des mouvements de paysans et d’ouvriers comme l’UAWC comblent ce manque, fournissant des services basiques tels que l’eau, les soins de santé, l’éducation, les semences, et les besoins alimentaires et nutritifs. Même ces servicesfont face à une opposition incessante et agressive. Par exemple, fin mars, l’armée israélienne a détruit une clinique de campagne d’urgence contre le coronavirus que les Palestiniens étaient en train de construire au nord de la Vallée du Jourdain.
Malgré ces menaces, l’UAWC et d’autres organisations populaires palestiniennes reçoivent les personnes âgées et les femmes enceintes dans des dispensaires mobiles, distribuent des fournitures d’éducation et de protection et construisent des jardins urbains et sur les toits dans les diverses communautés. Ce travail de réponse à la crise du coronavirus a été une vraie réussite parce qu’il reflète le genre de travail dans lequel s’engagent continuellement les mouvements sociaux palestiniens pour traverser les crises continuelles qui naissent sous occupation armée.
« Parmi les meilleures actions que nous entreprenons pour nous débarrasser du virus et résister à l’annexion, il y a notre banque de semences », a dit Amal. L’UAWC entretient une banque de semences depuis 2003 ; il y sauvegarde les rares semences de l’héritage palestinien qui ont été soigneusement transmises d’une génération à l’autre. Ces semences et les sources d’alimentation qu’elles fournissent ont de multiples objets. « Non seulement nos semences indigènes facilitent le retour à notre terre et la protègent grâce à leur culture », a expliqué Amal, « mais elles n’ont pratiquement pas besoin d’eau et nous protègent conte le changement climatique ». Et elle a ajouté : « Avec tant de gens encore confinés à cause de la COVID-19, l’accès continu aux semences permet aux gens de nourrir leur famille et leurs voisins alors qu’il n’est pas sûr de trouver de la nourriture en allant sur les marchés. »
Fin mars, l’armée israélienne a détruit un dispensaire de campagne d’urgence contre le coronavirus que les Palestiniens étaient en train de construire au nord de la Vallée du Jourdain
L’UAWC insiste sur l’importance de l’internationalisme et de la solidarité dans la normalisation du sort des petits producteurs palestiniens d’alimentation qu’il représente. Il est membre du mouvement international des paysans La Via Campesina, qui a pris une ferme position contre le colonialisme et le contrôle de l’agriculture et qui est actif dans 81 pays. Maintenir cette importante relation politique a permis aux militants palestiniens de pouvoir accueillir des échanges éducatifs sur leurs territoires, mais aussi de participer à ceux qui se sont tenus à l’étranger.
« Ensemble avec La Via Campesina, nous utilisons cette opportunité pour prouver au monde entier que les systèmes mondiaux de santé et d’alimentation ne fonctionnent pas et pour promouvoir notre solution agroécologique comme une alternative au modèle néolibéral », a expliqué Amal. « Nos contributions en tant que Palestiniens au mouvement de souveraineté alimentaire peuvent aider les gens à comprendre que l’occupation concerne le contrôle des ressources naturelles comme la plupart des autres vols de terre », a-t-elle dit en résumé.
C’est sûr, la conquête militaire israélienne du territoire palestinien a sa propre histoire, mais elle est aussi un indicateur du processus colonial de peuplement qui a existé ailleurs, comme dans les Amériques, en Australie et en Afrique du Sud. Tandis que cette nouvelle phase d’annexion se joue en Cisjordanie, sur fond d’une pandémie qui détourne l’attention, ces connexions sont essentielles. Loin d’être une anomalie dans la politique mondiale sur les ressources naturelles, la Palestine les a réunies dans un microcosme.
* Le nom a été changé pour préserver la confidentialité.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : Open Democracy