Israël utilise une combine juridique pour expulser un habitant de Jérusalem

En 2005, Salah Hamouri a eu le choix : quitter Israël pour 15 ans ou purger sept ans de prison. Il a choisi la prison plutôt que l’exil. Aujourd’hui, il risque à nouveau d’être expulsé

Par Amira Hass, le 15 septembre 2020

Ce mois-ci, le ministre de l’Intérieur Arye Dery a informé Salah Hamouri, un Palestinien de 35 ans né à Jérusalem, de son intention de révoquer son statut de résident. En d’autres termes, Dery a l’intention d’expulser Hamouri de son pays, de sa patrie et de sa maison.

« Le mercredi 2 septembre, quelqu’un de la police m’a appelé depuis le complexe russe », a déclaré Hamouri à Haaretz, en faisant référence au quartier général de la police dans le centre de Jérusalem, « se présentant comme Bahjat, qui est responsable des minorités [les Palestiniens dans la ville]. Il m’a dit : « Venez demain. Un ordre a été donné contre vous ». J’y suis allé. Il a lu l’ordre » – c’est-à-dire la lettre signée par Dery concernant l’intention de l’expulser.

Puis, raconte Hamouri, un officier du service de sécurité du Shin Bet est entré et s’est présenté comme le capitaine Gabi. « Lui avez-vous expliqué l’ordre ? » demanda Gabi à Bahjat, qui lui répondit que oui. Le capitaine Gabi a dit, selon Hamouri, « Vous nous avez forcés à faire ça. J’ai répondu : « C’est donc vous qui êtes derrière tout ça », et il a dit : « Vous vous êtes enfoncés dans les ennuis. Vous n’avez pas votre place ici ». Hamouri a compris les mots, mais ils ne les a pas complètement assimilés, même si l’intention d’Israël de l’expulser planait sur lui depuis un certain temps.

Hamouri, un avocat fraîchement diplômé de l’université d’Al-Quds, dans la banlieue de Jérusalem-Est, représente les Palestiniens au tribunal militaire israélien d’Ofer au nom de l’organisation palestinienne de défense des droits des prisonniers Addameer. Relativement récemment, a-t-il rappelé, « des jeunes de Jérusalem qui venaient d’être interrogés et libérés m’ont dit que quelqu’un du Shin Bet leur avait dit : ‘Dites à Hamouri que nous allons lui retirer sa carte d’identité' ».

Hamouri lui-même avait été jugé par un tribunal militaire israélien en 2005, lorsqu’il avait été reconnu coupable d’être membre du Front populaire de libération de la Palestine et d’avoir planifié de tuer le rabbin Ovadia Yosef, l’ancien grand rabbin d’Israël. Hamouri a déclaré qu’au cours de son procès, deux options lui ont été proposées : quitter le pays pendant 15 ans ou purger sept ans de prison. Il a préféré la prison dans son pays d’origine à l’exil.

Hamouri a également la citoyenneté française. Sa mère est française, et il parle français. Il y a environ huit ans, à Jérusalem, il a rencontré sa femme, Elsa, qui est également française. Son père était un député du parti communiste français. Ses grands-parents maternels étaient des Russes qui ont réussi à s’échapper d’un camp de concentration nazi.

« Je lui ai fait comprendre », a dit Hamouri, en parlant de sa femme, « que je ne quitterais pas la Palestine ». En avril 2016, alors qu’elle était enceinte de leur fils, Elsa est revenue d’une visite en France et à l’aéroport Ben-Gourion, elle a été arrêtée, détenue pendant trois jours puis expulsée. Elle a été informée qu’elle se verrait interdire l’entrée en Israël pendant 10 ans.

« Ce furent les jours les plus durs de ma vie », a déclaré Salah Hamouri, qui est devenu mari et père de famille par internet, en zoomant ou en faisant du Whatsapping le matin avant que son fils n’aille à la maternelle et une autre fois le soir, en plus de faire de petits voyages à Paris, dont le dernier s’est terminé en mars.

Parce que c’est le rêve de tant de jeunes Palestiniens d’immigrer dans un pays occidental, le refus de Hamouri de saisir l’opportunité de vivre en France est d’autant plus remarquable. « Ma place est ici », affirme-t-il. « Je suis lié à cet endroit. Et d’ailleurs, je ne supporte pas qu’on me force à faire quelque chose. Ni l’occupation ni aucune autre autorité ».

Hamouri a été libéré de prison environ trois mois avant la fin de son mandat, en 2011, dans le cadre de l’échange de prisonniers qui a suivi la libération du soldat israélien Gilad Shalit. Ce n’était ni la première ni la dernière fois qu’il était emprisonné. En 2001, à l’âge de 16 ans, il a purgé une peine de 5 mois pour « avoir fourni un service à une association non autorisée ». En 2004, il a passé cinq mois en détention administrative, c’est-à-dire sans subir de procès, sans droit à la défense et sans être accusé de quoi que ce soit.

En 2017, Hamouri a été interrogé pendant 10 jours jusqu’à ce que le parquet du district de Jérusalem passe un accord avec lui pour sa libération sous réserve du dépôt d’une caution de 30 000 shekels (8 800 dollars au taux actuel), à condition qu’il quitte Jérusalem et n’entre pas en Cisjordanie pendant trois mois.

Il a été ramené du tribunal à la prison du Russian Compound pour être libéré, mais, dit-il, « une heure après que nous ayons conclu l’accord, ils sont venus m’informer que le ministre de la défense Avigdor Lieberman avait émis un ordre de détention administrative contre moi », ce qui signifie qu’il serait de nouveau détenu sans procès, sans preuves et sans droit à un avocat. Il a été libéré en septembre 2018. Il y a deux mois et demi, fin juin, il a de nouveau été détenu pendant une semaine. Il a été interrogé à deux reprises par la police et a été libéré.

Le nouveau plan d’expulsion, selon la lettre du ministre de l’intérieur Dery, est basé sur ces mêmes arrestations et périodes de détention, l’appartenance au Front populaire de libération de la Palestine et le fait que « vous poursuivez votre activité hostile contre l’État d’Israël ».

La lettre s’appuie sur un amendement de 2018 à la loi sur l’entrée en Israël, qui permet la révocation du statut de résident des Palestiniens qui ont commis des actes « impliquant un abus de confiance vis-à-vis de l’État d’Israël ».

Cet article modifié a été rendu possible dès le départ parce qu’Israël a appliqué de manière scandaleuse et injuste la loi sur l’entrée en Israël aux Palestiniens qui sont natifs de Jérusalem et résident dans la ville.

La loi s’applique aux ressortissants étrangers non juifs qui ont choisi de vivre en Israël et qui sont devenus résidents permanents – un statut qui est conditionnel et sujet à révocation. Toutefois, contrairement à ces ressortissants étrangers, les Palestiniens de Jérusalem-Est n’ont pas choisi d' »entrer » en Israël et d’y devenir résidents. C’est plutôt Israël qui a décidé, lors de la guerre de juin 1967, d’occuper et d’annexer Jérusalem-Est, et d’adopter des lois et des règlements qui abusent et dégradent ses résidents palestiniens.

Ils ne vivent pas à Jérusalem parce qu’ils ont prêté serment d’allégeance à Israël. Ils vivent dans la ville tout simplement parce qu’ils y sont nés et que leurs familles y vivent, ainsi que sur la terre située entre la Méditerranée et le Jourdain depuis de nombreuses générations.

Parallèlement, le ministère français des affaires étrangères a demandé des éclaircissements à Israël (c’est-à-dire, dans un langage moins diplomatique, qu’il a exprimé son opposition à l’expulsion de Hamouri). « M. Hamouri doit pouvoir mener une vie normale à Jérusalem, où il est né et où il réside », a déclaré le ministère dans un communiqué le 4 septembre. « Sa femme et son fils doivent également avoir le droit de lui rendre visite à Jérusalem ».

Le ministre Dery a donné 30 jours à Hamouri pour présenter ses raisons de ne pas procéder à l’expulsion.

Traduction : GD pour l’Agence Media Palestine

Source: Haaretz

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