Les malades chroniques de Gaza n’aperçoivent aucune lumière au bout du tunnel

Par Ruwaida Amer, le 30 Octobre 2020

En raison des mesures de confinement imposées pour empêcher la propagation de la Covid-19, les malades chroniques de Gaza n’ont pas pu, en certains cas, recevoir un traitement de dialyse régulier. Ashraf Amra APA Images

La bande de Gaza émerge lentement et avec précaution d’un autre confinement complet de la pandémie. Mais le mal est loin d’être éradiqué, spécialement pour ceux qui souffrent de maladies chroniques dans une région où le secteur santé a été systématiquement mis à mal par 13 années de blocus israélien et en prend maintenant un sérieux coup sous le poids de la pandémie de coronavirus.

Au cours des dernières semaines, certaines parties de la bande de Gaza ont été complètement fermées par des couvre-feux qui ont entraîné des interdictions de déplacements et la fermeture des centres de santé afin d’empêcher la propagation de la Covid-19.

Mais cela a privé les patients atteints de maladies chroniques de l’accès à des examens et à des traitements réguliers.

En 2017, la dernière année pour laquelle des statistiques sont disponibles, il y avait plus de 147 000 patients atteints de maladies chroniques dans la bande de Gaza.

Samira Salem, 45 ans, est diabétique. Résidente du camp de réfugiés de Maghazi, dans le centre de la bande de Gaza, elle reçoit régulièrement des médicaments au centre de santé du camp.

Mais quand des cas de coronavirus ont été découverts dans le camp – les premiers à Gaza ont été détectés en dehors des centres de quarantaine -, le ministère de la Santé à Gaza a classé le secteur comme étant un épicentre du virus, il a fermé le camp, empêchant les résidents de partir, et il a fermé le centre de santé.

« J’ai vraiment été inquiète quand j’ai entendu parler de confinement » dit Samira. « Je sais, bien sûr, ce qu’est le virus, mais je n’ai jamais pensé que je serais privée d’accès à mon traitement ».

Son mari et ses enfants ne pouvaient pas non plus quitter la maison pour lui apporter ses médicaments.

« J’ai toujours eu peur que son état ne se détériore et que je ne puisse pas l’emmener à l’hôpital » dit son mari, Muhammad Salem, 54 ans.

Les confinements et les fermetures prévalent toujours dans de nombreuses zones de la bande de Gaza. La situation dans certaines est devenue encore plus grave avec plus de 100 nouveaux cas signalés par jour. Le nord de la bande de Gaza est l’une des plus touchées, avec le plus grand nombre de cas quotidiennement.

Les couvre-feux font très mal

Suad al-Amoudi, 47 ans, du camp de réfugiés de Jabaliya dans le nord de la bande de Gaza, est atteinte d’un cancer qui nécessite des traitements réguliers à l’hôpital al-Rantisi. Mais avec les mesures mises en place à la suite du coronavirus, elle n’est plus en mesure de quitter son domicile.

« Il y a eu un arrêt de la coordination de la sécurité, ce qui fait qu’il est encore plus difficile de se rendre dans les hôpitaux de Cisjordanie pour y être soigné » dit-elle, se référant à une décision du mois de mai prise par l’Autorité palestinienne (AP) de Cisjordanie visant à mettre fin à la coordination avec l’armée israélienne en réaction au projet du gouvernement israélien d’annexer de larges portions du territoire de la Cisjordanie.

« Et maintenant, ils ferment des endroits à l’intérieur de Gaza, nous empêchant même d’aller dans les hôpitaux pour des traitements réguliers ».

La fin de la coordination de la sécurité a rendu encore plus difficile pour les Palestiniens de sortir de la bande de Gaza, une question perpétuellement difficile.

Même avec la coordination sécuritaire, les patients de Gaza devaient faire face à un processus onéreux pour obtenir une autorisation de l’armée israélienne pour pouvoir quitter Gaza. En 2017, selon l’OMS, 54 personnes de Gaza sont décédées après qu’il leur a été refusé, par l’armée israélienne, l’autorisation de voyager afin d’être soignées.

De graves complications

La mère d’Ali Jadallah a besoin d’une dialyse rénale tous les trois jours à l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza. Um Ali, 51 ans – qui ne serait identifiée que comme telle – a toujours été profondément préoccupée par les risques de contracter le coronavirus dans ses visites à l’hôpital, mais elle n’a guère le choix en la matière : l’absence de traitement peut entraîner de graves complications.

Et le pire est arrivé. Quand elle est allée se faire soigner au début du mois dernier, elle a non seulement contracter le coronavirus (avec trois autres patients), mais elle l’a aussi transmis à son mari, à sa fille et à son fils.

« J’ai été choquée quand j’ai appris que ma mère avait contracté la Covid-19 » a dit Ali. Sa mère s’est stabilisée, mais son expérience de la Covid-19 l’a laissée profondément anxieuse.

« Même si les médecins disent que son état est stable, je suis inquiète pour elle ».

Usama Jamal, 36 ans, de Khan Yunis dans le sud de Gaza, attendait de se rendre en Cisjordanie occupée pour y être opéré du cœur.

Mais avec l’arrêt de la coopération sécuritaire entre l’AP et Israël depuis mai, il ne lui a pas été possible de voyager.

Son opération a été reprogrammée pour Gaza, mais l’apparition du coronavirus dans le territoire côtier fait que le rendez-vous a été reporté. Il n’a même pas pu aller à l’hôpital pour un examen depuis fin août.

« Ma santé n’est pas bonne » a-t-il dit à The Electronic Intifada. « Je ne sais pas comment je vais survivre aux conditions que nous impose la pandémie ».

Un pic dramatique

Depuis que la transmission communautaire a été confirmée à la fin du mois d’août, le nombre de cas de coronavirus a augmenté radicalement, tout comme le nombre de décès.

Le nombre d’infections vérifiées est passé d’un peu plus de 200 fin août, à près de 5800 vers fin d’octobre.

Le nombre de décès a augmenté de trois à plus de 30 dans la même période.

Ashraf al-Qedra, un porte-parole du ministère de la Santé à Gaza, a affirmé que les 13 années de blocus israélien sur Gaza y avait considérablement affaibli le service de santé et réduit la capacité du secteur santé à faire face à la pandémie.

« Nous nous attendions à une propagation communautaire du coronavirus. Mais nous sommes handicapés par le siège en cours sur Gaza et par le manque de soutien pour nous permettre de surmonter ces crises » a dit al-Qedra à The Electronic Intifada.

Le ministère de la Santé à Gaza estime que les hôpitaux de la région disposent d’un peu moins de la moitié des médicaments essentiels dont ils ont besoin, une conséquence directe d’un siège qui n’a vu que des fournitures d’urgence arriver dans la région.

« Nous n’avons reçu que très peu de soutien et nous travaillons avec très peu de moyens pour surmonter cette crise » dit al-Qedra, qui souligne que, chaque Palestinien dans Gaza a le droit de recevoir des soins médicaux décents.

Un financement par le Qatar est disponible pour Gaza, mais qui dépend beaucoup d’un accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël.

Des mises en garde qui restent vaines

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a longtemps mis en garde qu’une pandémie déclarée pouvait frapper Gaza de manière particulièrement dure étant donné le blocus par Israël, sa petite superficie, et sa forte densité de population avec plus 2 millions de personnes vivant dans 365 kilomètres carrés.

L’OMS est intervenue pour faciliter l’autorisation pour les patients de recevoir un traitement à l’extérieur de la bande de Gaza.

En septembre, l’envoyé spécial de l’ONU, Nickolay Mladenov, a annoncé qu’un accord avait été conclu pour que l’OMS aide à coordonner avec Israël pour de tels déplacements.

Mais de telles mesures d’urgence ne s’attaquent pas aux obstacles fondamentaux à la fourniture de soins à Gaza. Les organisations de défense des droits humains à Gaza, qui ont tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises, sont frustrées.

Samir Zaqout, d’Al-Mezan, un groupe de défense des droits humains de Gaza, a déclaré que son organisation, avec d’autres, avaient demandé de l’aide à plusieurs reprises, mais avec « peu de réponse ».

« Nous lançons de nombreux appels à l’aide pour Gaza mais il n’y a que peu de réponses… Nous constatons un silence clair envers la bande de Gaza, spécialement de la part du monde arabe ».

Pendant ce temps, les patients de Gaza continuent de se battre, craintifs en ces temps incertains.

« J’espère que ce cauchemar cessera bientôt » dit Suad al-Amoudi. « Ceux qui souffrent de la maladie chronique, dit-elle, sont très préoccupés pour leur santé durant la pandémie ».

« Je ne vois pas la fin du virus de sitôt ».

Ruwaida Amer est un journaliste basé à Gaza

Source: The Electronic Intifada

Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine

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