Il est impossible de réaliser la paix en Palestine au milieu de démolitions illégales

Par Alaa Tartir et Jeremy Wildeman, le 20 novembre 2020

Les tentatives de normalisation régionale seront vaines tant qu’Israël poursuivra ses mesures de “déplacement et remplacement” contre les Palestiniens.

Le 22 juillet 2019, les forces israéliennes patrouillent pendant que des engins démolissent un bâtiment palestinien à Sur Baher, village divisé par la barrière israélienne qui passe dans Jérusalem-Est et dans la Cisjordanie occupée par les Israéliens. [Mussa Qawasma/Reuters]

Theodor Herzl, père du sionisme, fondement idéologique d’Israël, a déclaré : “Si je veux substituer un nouveau bâtiment à un ancien, je dois démolir avant de construire”.

Parmi les exemples récents du paradigme colonial de déplacement et remplacement prôné par Herzl, on peut citer la poursuite de démolitions massives d’habitations à Wadi Hummus, quartier au sud-est de Jérusalem censé relever de la compétence de l’Autorité palestinienne (AP), et les menaces de démolition de 52 écoles de Cisjordanie, par exemple l’école primaire de Ras al-Tin, près de Ramallah. Tout récemment, les bulldozers et les pelleteuses de l’armée israélienne ont détruit le village palestinien de Khirbet Humsa, privant de tout logement 74 personnes, dont 41 mineurs.

Ces actes enfreignent les dispositions des Accords d’Oslo signés entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1993 et 1995. Ils constituent également une violation d’un système différant fortement de l’ère rapace de l’impérialisme européen au cours de laquelle Herzl a vécu, celui du droit international développé dans la période de décolonisation, qui prohibe les démolitions dans les territoires occupés.

“Déplacer et remplacer”, c’est la logique d’exclusion à laquelle Israël a recouru depuis le début. Les tentatives de déplacement des Palestiniens visant à dégager le terrain pour des colons israéliens s’associent au projet israélien bien établi de réaliser et de maintenir la pureté ethnique. De ce fait, malgré les espoirs de certaines personnes qui croyaient que les prétendus “accords d’Abraham” du président étasunien Donald Trump pourraient mettre un terme à l’annexion israélienne annoncée de parties importantes de la Cisjordanie, il y a eu récemment une escalade alarmante des démolitions de maisons à Jérusalem-Est et dans toute la Cisjordanie illégalement occupée.

Israël prévoit même de forcer les dépossédés de Wadi Hummus à payer la facture de la démolition de leur maison, faisant en sorte que cet acte soit profitable sur le plan financier comme sur le plan territorial. Les démolitions accroissent encore la charge imposée aux maigres ressources financières publiques des Palestiniens, car la direction de l’AP a promis d’indemniser toutes les familles qui ont perdu leur maison de cette façon. Globalement, ces actes représentent une triple perte pour les Palestiniens, dans une économie pandémique en contraction recevant moins d’aide qui pourrait lui donner un peu d’oxygène.

Les déclarations énergiques par lesquelles la communauté internationale a exhorté Israël à mettre un terme à ses projets d’annexion n’ont débouché sur aucun acte. Les menaces des dirigeants palestiniens annonçant qu’ils mettraient fin à leur coopération sécuritaire avec Israël, et s’adresseraient à des instances judiciaires internationales pour répondre aux actes commis par Israël à Wadi Hummus, sont restées lettre morte. Pendant ce temps, les destructions continuent.

Mesurer les effets

Les démolitions incessantes de Wadi Hummus, et tout récemment le cas de Khirbet Humsa, soulignent la nécessité de créer des outils supplémentaires à mettre à la disposition des Palestiniens afin qu’ils enregistrent mieux et puissent ensuite dénoncer les dommages qui leur sont infligés. Ces situations renforcent la nécessité de recueillir des éléments sur les coûts de la colonisation et de les présenter sur la scène internationale. Cela doit aller plus loin qu’une simple mesure des coûts économiques de l’occupation israélienne au niveau du produit intérieur brut (PIB) et du produit national brut (PNB), mesure déjà effectuée par la Banque mondiale : en effet, ces démarches centrées sur l’économie ignorent le contexte humain.

La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (CESAO) ont pris récemment des mesures importantes pour documenter et mettre au jour les coûts réels de l’occupation et du colonialisme israéliens. Mais ces efforts demandent à être amplifiés. Il est notamment nécessaire de se tourner de façon accrue vers les très nombreux analystes palestiniens qui sont mieux équipés pour mesurer ces coûts que des experts extérieurs. Les efforts de documentation et de mise au jour de tous les coûts du colonialisme israélien doivent également comporter l’enregistrement et le partage des expériences personnelles de ses victimes. Tout relevé comptable qui ignore les cicatrices psychologiques et émotionnelles, simplement parce qu’il est difficile de les traduire en chiffres ou  désagréable de les reconnaître, restera à courte vue et inefficace.

Ces informations peuvent être utilisées pour ralentir l’impact du colonialisme et préparer un redressement futur. Il est absolument nécessaire de souligner que ce travail doit être accompagné d’actions de la communauté internationale visant à mettre fin à tout déplacement et remplacement ultérieurs. Cette démarche est également la seule façon possible d’établir enfin les conditions permettant aux Palestiniens de mettre sur pied des institutions, de construire une économie stable et d’améliorer leur bien-être social. Elle a aussi un caractère impératif parce que la colonisation ne devrait pas être normalisée, parrainée ou préservée dans un monde régi par le droit international. Il est également crucial de mettre fin au paradigme israélien de déplacement et remplacement dans l’intérêt de la paix et de la stabilité régionales.

Loin d’exiger qu’Israël réponde de ses pratiques prolongées de colonisation de la Palestine, les acteurs les plus puissants de la communauté internationale font le choix de justifier et de rationaliser ses crimes contre les Palestiniens. En résultat, les politiques israéliennes qui violent manifestement les droits humains et le droit international commencent à être perçues comme “normales” et même “vertueuses”. La colonisation est une des formes d’oppression les plus facilement identifiées dans le monde. Cependant, à ce jour, la communauté internationale n’a jamais véritablement reconnu la nature coloniale de l’occupation israélienne, et elle a laissé Israël violer impunément le droit international. Israël continue donc son expansion dans ce qu’il reste de la Palestine, portant atteinte à un principe fondamental du droit international qui interdit aux États de s’emparer de terres par la force.

Les plans de normalisation régionale tels que les Accords d’Abraham ne servent qu’à encourager un développement de l’annexion coloniale, et une multiplication de Wadi Hummus et de Khirbet Humsa. Les initiatives de normalisation qui ne sont pas précédées par des mesures déterminées amenant Israël à répondre de ses politiques de colonisation et d’occupation illégale ne conduiront pas à la paix régionale, assurément pas pour des millions de Palestiniens.

Les positions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de la rédaction d’Al Jazeera.

Source: Al Jazeera

Traduction SM pour Agence Média Palestine

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