L’administration Trump sévit contre un mouvement mondial de boycott d’Israël. Voici ce que vous devez savoir sur BDS

Par Sanya Mansour, mis à jour le 7 décembre 2020

De gauche à droite, Pompeo, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le ministre des Affaires étrangères du Bahreïn Abdullatif bin Rashid Al Zayani arrivent à une conférence de presse après leur rencontre tripartite le 18 novembre à Jérusalem. Menahem Kahana – Pool/EPA-EFE/Shutterstock

Le jour où le Secrétaire d’État Mike Pompeo est devenu le premier diplomate américain de haut rang à aller dans une colonie israélienne de Cisjordanie occupée, il a également doublé l’opposition de l’administration Trump à un mouvement mondial pro-palestinien de boycott d’Israël.

Le mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) consiste à exercer une pression politique et économique sur Israël. Son but est de pousser Israël à reconnaître les droits des citoyens palestiniens qui vivent actuellement en Israël ; permettre aux réfugiés palestiniens, qui ont été poussés hors de leur pays dès 1948 lorsque Israël fut créé, à revenir chez eux ; et se retirer de toute terre qu’il a saisie après la guerre arabo-israélienne de 1967, dont la Cisjordanie occupée – revendiquée par les Palestiniens.

BDS a été officiellement lancé en 2005 par une coalition d’environ 170 associations populaires et de la société civile. Quinze ans plus tard, il a acquis de l’importance. Tandis qu’il n’a remporté que quelques victoires économiques, il a gagné une importante visibilité, des supporters et aussi des critiques internationalement, y compris sur les campus aux Etats Unis et dans les assemblées législatives des Etats et au Congrès.

Le 19 novembre, Pompeo a promis de couper le financement fédéral des organisations qui soutiennent la campagne BDS. « Nous prendrons immédiatement des mesures pour identifier les organisations qui s’engagent dans la conduite haineuse de BDS, et retirer le soutien du gouvernement américain à ces associations », a dit Pompeo. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui était à côté de lui, a répondu : « Cela me semble tout simplement magnifique. »

Voilà ce que vous devez savoir sur BDS.

Qu’est-ce que BDS ?

BDS a débuté en 2005 – exactement un an après que le Tribunal International de Justice ait émis un avis consultatif disant que « la construction par Israël d’une barrière dans le territoire palestinien occupé est illégale ».

Les stratégies de BDS s’inspirent du mouvement anti-apartheid sud africain et, quoique répandues, elles sont coordonnées en grande partie par le Comité national BDS palestinien situé dans les territoires palestiniens. Elles appellent à un boycott des « institutions sportives, culturelles et académiques » et « des sociétés israéliennes et internationales engagées dans les violations des droits fondamentaux des Palestiniens ». (HP, Puma et Caterpillar font partie des organisations ciblées.)

Le mouvement encourage aussi le désinvestissement d’Israël, et des sanctions de la part des gouvernements étrangers qui pourraient comprendre « l’interdiction de faire des affaires avec les colonies israéliennes illégales, l’arrêt du commerce des armes et des accords de libre échange, ainsi que la suspension de la participation d’Israël aux forums internationaux tels que les organes de l’ONU et la FIFA », organe dirigeant du football international.

Les boycotts, bien que forme courante de protestation non-violente et moyen efficace d’éveiller l’attention sur une question, sont souvent inefficaces pour créer une brèche économique significative ou immédiate ou un changement politique. A la fin des années 50, le Congrès National Africain d’Afrique du Sud a appelé les gouvernements étrangers à retirer leurs investissements, à cesser de commercer et mettre en place un large boycott des biens de consommation, des universités et des sports sud-africains. Dans les années 1790, les abolitionnistes anglais et américains ont boycotté le sucre produit par des esclaves. La Ligue Arabe – qui rassemble maintenant plus de deux dizaines de pays moyen-orientaux et africains – a maintenu un boycott économique des sociétés et des produits israéliens depuis la création du pays en 1948.

D’une certaine façon, BDS se poursuit et il est né du manque d’alternatives pour exprimer les griefs des Palestiniens. « Chaque autre forme de résistance des Palestiniens a été criminalisée et rendue inaccessible », dit Noura Erakat, avocate des droits de l’être humain et professeur assistant à l’université Rutgers. « Ce n’est pas que  BDS soit fondamental. Mais qu’avons nous à part lui ? » Le fait que l’administration Trump ait attaqué même BDS envoie un message « exigeant que les Palestiniens abandonnent », ajoute-t-elle.

Le comité national BDS dit qu’il ne plaide pour aucune solution particulière au conflit qu’il s’agisse d’une solution à « un Etat » ou « deux Etats », mais que leur objectif, ce sont les droits fondamentaux des Palestiniens et la récupération du contrôle des territoires occupés. « Selon le droit international, aucun régime politique, surtout s’il est colonial et oppressif, n’a « un droit à exister » inhérent, a dit Omar Barghouti, défenseur des droits de l’être humain et cofondateur du mouvement BDS, dans un courriel au TIME. Aucun Etat, que ce soit l’Afrique du Sud de l’apartheid dans le passé ou l’Israël d’apartheid aujourd’hui, n’a le droit d’être raciste ou suprémaciste, privilégiant une partie de sa population en se fondant sur son identité, et excluant une autre partie, qui se trouve être la nation autochtone.

BDS est-il antisémite ?

Les dirigeants et les supporters de BDS ont nié avec véhémence que le mouvement soit antisémite, disant qu’il « cible l’État d’Israël » pour « de graves violations du droit international » et ne poursuit « aucun individu ou groupe simplement parce qu’il est israélien ». Quand Pompeo a confondu le BDS avec l’antisémitisme, les Palestiniens, ainsi que les défenseurs internationaux des droits civiques, ont protesté.. (le sionisme fait référence au désir d’établir un Etat juif – Israël – et la croyance que les Juifs forment collectivement une nationalité et pas seulement une religion.)

Le comité national BDS palestinien a répondu dans une déclaration, pour dire que « l’alliance fanatique Trump-Netanyahou confond intentionnellement l’opposition au régime israélien d’occupation, de colonisation et d’apartheid contre les Palestiniens et les appels à une pression non-violente pour mettre fin à ce régime d’une part et au racisme anti-juif d’autre part, afin de réprimer la défense des droits des Palestiniens conformément au droit international ». Le comité a souligné son opposition à « toutes les formes de racisme, dont le racisme anti-juif.

« Si vous dites que l’antisionisme c’est de l’antisémitisme, alors vous condamnez fondamentalement tous les Palestiniens en tant qu’antisémites parce qu’ils décident d’exister », dit Erakat. La raison pour laquelle BDS a rencontré une opposition féroce, c’est parce que il « défie moralement le Sionisme en tant que projet politique », ajoute-t-elle.

Amnesty International, Human Rights Watch et l’ACLU (Union Américaine pour les Libertés Civiles) ont toutes dénoncé les implications pour la liberté d’expression et les dangers de confondre BDS et l’antisémitisme. « Plaider pour les boycotts, le désinvestissement et les sanctions, c’est une forme de défense non-violente et de liberté d’expression qu’il faut protéger », a dit Bob Goodfellow, directeur général par intérim d’Amnesty International USA, dans une déclaration. « L’administration américaine suit l’approche du gouvernement israélien en utilisant des accusations d’antisémitisme fausses et à but politique pour nuire à des militants pacifiques. » Human Rights Watch a accusé Pompeo de mettre à tort sur le même plan le soutien aux boycotts d’Israël et l’antisémitisme. » l’ACLU a souligné que « menacer d’arrêter le financement par le gouvernement d’associations qui critiquent Israël est de manière flagrante inconstitutionnel.

Les Juifs et les associations juives ne sont pas unis sur la question de savoir si BDS est antisémite. Tandis que de nombreuses associations juives conservatrices critiquent BDS parce qu’il singularise injustement Israël et craignent que son but ultime soit de délégitimer toute notion d’un Etat juif, des dizaines d’associations juives progressistes contestent la caractérisation de BDS comme antisémite, craignant qu’agir ainsi éclipse « les critiques légitimes de la politique israélienne ».

Le Comité des Affaires Publiques Américaines Israéliennes (AIPAC) – puissant lobby pro-israélien aux Etats Unis – caractérise BDS en tant que « discrimination anti-Israël » parce qu’il « cible le droit à exister d’Israël », « singularise l’État juif » et « cherche à couper Israël du reste du monde ».

Le rabbin David Wolpe, rabbin du Temple du Sinaï à Los Angeles, dit qu’il ne doute pas qu’il y ait des supporters de BDS qui ont « des intentions parfaitement bonnes », mais il craint que le degré de condamnation auquel fait face Israël soit « exagérément disproportionné par rapport à n’importe quel péché présumé qu’Israël ait commis ». Il pense que « de nombreuses expressions du mouvement BDS sont antisémites » et il conteste aussi l’antisionisme. « Dire que vous êtes antisioniste, c’est dire que vous vous opposez au seul pays juif qui ait jamais existé dans l’histoire (…) et dire que cela n’a rien à voir avec l’antisémitisme est une étrange crédulité », dit Wolpe.

Cependant, certaines associations juives se considèrent comme « fièrement » antisionistes et soutiennent BDS. Etouffer BDS n’a « rien à voir avec la sécurité des Juifs », dit Stefanie Fox, directrice générale de Voix Juive pour la Paix. « S’opposer au Sionisme, c’est s’opposer à un gouvernement spécifique qui n’a rien à voir avec le Judaïsme », dit Fox. Quant à la caractérisation de Pompeo, elle dit : « Nous ne laisserons pas les suprémacistes blancs dicter ce qui est ou n’est pas de l’antisémitisme. »

Presque un quart des Juifs américains de moins de 40 ans soutiennent le boycott des produits fabriqués en Israël, d’après un Sondage National sur les Juifs, de 8.000 votants juifs pendant l’élection de 2020, organisé par J Street, association « pour Israël, pour la paix » qui se considère comme progressiste – ils s’opposent à l’occupation israélienne, mais sont également opposés au mouvement mondial BDS.

Moins d’un tiers des Américains qui ont répondu à un sondage à propos d’un rapport de Washington sur les affaires moyen-orientales de mai 2020 disent qu’il s’alignent sur l’insistance de l’administration Trump pour dire que « l’antisionisme, c’est de l’antisémitisme ».

Quel effet a eu BDS ?

L’impact économique général des boycotts a été largement négligeable pour Israël alors que l’économie du pays continue de progresser, quoique les dirigeants du mouvement BDS disent que sa pression sur une poignée de sociétés – dont la société internationale de téléphonie Orange et la société française de construction Veolia – a contribué à leur décision de se retirer d’Israël.

Sur son site internet, le mouvement BDS a donné en détail ses instructions sur la façon de participer aux boycotts académique, culturel et économique, ainsi que sur les façons de rejoindre les campagnes contre les sociétés ciblées. Il fait circuler des pétitions et du matériel pour les réseaux sociaux ainsi que « des idées pour des actions ».

L’étendue relativement limitée de l’impact économique de BDS n’a pas empêché un puissant lobby pro-israélien des Etats Unis d’essayer d’écraser le mouvement. Le combat à propos de BDS se déroule au Congrès, dans les législatures des Etats et sur les campus universitaires à travers les Etats Unis depuis des années.

Une enquête de mai 2019 du Centre pour l’Intégrité Publique a révélé que 27 Etats ont mis en place en l’espace de quatre ans une politique « adoptée dans un langage virtuellement identique », pour limiter la démarche de BDS. En 2017, les gouverneurs des 50 Etats américains ainsi que le maire du district ont dit que les « buts du mouvement BDS sont contraires à nos valeurs » en isolant Israël dans une annonce de journal organisée par AJC, organisation mondiale de défense des Juifs.

Les organes étudiants de quelques dizaines de collèges américains ont voté pour se désinvestir ou pour boycotter les sociétés qui profitent de l’occupation israélienne et des violations des droits de la personne humaine, c’est ce que dit l’association Nationale des Etudiants pour la Justice en Palestine, dont des sections ont milité pour BDS.

Le mouvement BDS a conduit à une mauvaise publicité pour Israël sous la forme de perturbations d’événements publics à haute visibilité. Par exemple, la chanteuse Lorde a annulé son concert à Tel Aviv, qui était programmé en 2018 après la décision de Trump de reconnaître Jérusalem, après que des militants lui aient demandé de soutenir BDS. De nombreuses voix progressistes influentes, dont Angela Davis et l’archevêque Desmond Tutu, sont des supporters de BDS. Certaines grandes églises des Etats Unis ont également soutenu la démarche.

En juillet 2019, la Chambre américaine des Représentants a voté à une large majorité une résolution s’opposant au mouvement BDS mondial. En réponse, les députées Ilhan Omar et Rashida Tlaib ont coparrainé une résolution qui affirmait le droit pour les Américains de « participer à des boycotts pour obtenir les droits civiques et humains dans le pays et à l’étranger ». Après que Tlaib et Omar – toutes deux ayant franchement défendu les droits fondamentaux des Palestiniens et férocement critiqué Israël – aient exprimé leur soutien à BDS, Israël les a interdites d’entrée dans le pays. (Israël a dit plus tard qu’il autoriserait Tlaib à rendre visite en Cisjordanie à sa grand-mère âgée, en tant que citoyenne privée, mais elle a refusé, disant que « rendre visite à ma grand-mère dans ces conditions d’oppression destinée à m’humilier briserait le coeur de ma grand-mère ».)

Tlaib a tweeté le mois dernier pour dire qu’elle espérait qu’une future administration Biden « changerait de cap par rapport au Département d’État de Trump » sur la répression de BDS. La position sur BDS du président élu Joe Biden est moins claire et il n’a pas répondu à la demande du TIME de clarifier sa position. (Andrew Bates, porte-parole de Biden, avait dit auparavant que « Biden s’oppose à BDS, comme le fait le programme des Démocrates »).

Le soutien à BDS recoupe à peu près les lignes partisanes. Une étude nationale de septembre 2019 par l’université du Maryland a montré que, sur à peine moins de la moitié des répondants qui avaient entendu parler de BDS au moins « un petit peu », 47 % ont dit qu’ils étaient opposés au mouvement, 26 % ont dit qu’ils le soutenaient et les 26 % restants qu’ils ne se prononçaient pas sur la question. Parmi les Démocrates, 48 % ont dit qu’ils soutenaient le mouvement, tandis que 76 % des Républicains ont dit qu’il s’y opposaient.

Corrigé le 7 décembre

La version originale de cette histoire altérait l’histoire du boycott. De nombreux pays de la Ligue Arabe ont maintenu un boycott économique des sociétés et des marchandises israéliennes depuis la création du pays en 1948.

Source : TIME

Traduction : J. Ch. Pour l’Agence média Palestine

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