Le retard dans l’enquête de la CPI prive les Palestiniens de justice

Par Maureen Clare Murphy, le 23 décembre 2020

Plus de 750 Palestiniens ont été tués par les forces d’occupation israéliennes, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, depuis octobre 2015. (Shadi Jarar’ah APA Images)

Les incidents récents en Cisjordanie soulignent le besoin urgent de rendre des comptes devant la Cour pénale internationale alors que les consignes israéliennes pour ouvrir le feu violent le droit à la vie le plus fondamental des Palestiniens.

Tôt mardi, un policier du Shin Bet, l’agence de la police secrète israélienne, a ouvert le feu sur un véhicule près de Ramallah, en Cisjordanie, touchant le pare-brise de la voiture.

Le policier dit avoir pensé tirer sur un automobiliste palestinien qui tentait une attaque avec sa voiture.

C’est un scénario qui s’est répété des dizaines de fois déjà, entraînant fréquemment la mort du conducteur palestinien.

Mais mardi, la personne qui était au volant n’était pas un Palestinien. C’était un Israélien, qui vit dans une colonie de peuplement voisine.

Lorsqu’il a essuyé le tir, le conducteur serait sorti de sa voiture et, selon le quotidien Haaretz de Tel Aviv, il « aurait crié aux forces de sécurité (sic) qu’il était juif ».

Il n’y avait eu aucune tentative d’attaquer les forces d’occupation. Le conducteur israélien a heurté une voiture palestinienne à un check-point « et il a continué à rouler, à grande vitesse » déclare le Haaretz.

Le Conseil de la colonie où réside le conducteur israélien a déclaré que, « miraculeusement, le conducteur n’avait pas été touché ».

« Une approche avec la gâchette facile »

En effet, l’homme israélien a de la chance d’avoir survécu. Les automobilistes palestiniens qui se trouvent dans le même scénario n’y survivent pas bien souvent.

Rien que cette année, cinq Palestiniens ont été tués par balle dans ce qu’Israël prétend être des attaques à la « voiture bélier » sur les check-points militaires en Cisjordanie – des sites de violence déshumanisante et mortelle contre les Palestiniens.

B’Tselem, groupe israélien de défense des droits de l’homme, a estimé que rien ne justifiait le recours à un tir mortel dans le cas d’un Palestinien qui a été tué le mois dernier, lors d’une prétendue attaque à la voiture.

Nour Shqeir « ne représentait clairement aucun danger » quand il a été tué, déclare B’Tselem. Faire périr cet homme est « un exemple de plus de l’approche des Palestiniens par les forces israéliennes à la gâchette facile » ajoute le groupe.

Il est peu probable que le fait qu’un colon israélien ait failli subir la violence mortelle utilisée par réflexe contre les Palestiniens fasse réfléchir les forces d’occupation à deux fois avant qu’elles n’appuient sur la gâchette.

« Neutraliser le terroriste »

Pas après qu’un soldat israélien ait été puni pour ne pas avoir réussi à « neutraliser » un Palestinien qui avait lancé, samedi, un cocktail Molotov dans sa direction, à un poste militaire proche de la colonie de peuplement de Kedumin en Cisjordanie.

« Neutraliser », c’est le mot que l’armée et la police israéliennes utilisent fréquemment dans le contexte de tuer ou blesser gravement des Palestiniens au cours d’attaques présumées.

C’est le mot qui, en mai, a été utilisé par l’armée quand des soldats ont tué Fadi Samara Qaad lors d’une prétendue attaque à la voiture bélier dans le centre de la Cisjordanie.

La famille de Qaad a nié qu’il tentait une attaque au moment où il a été tué. Aucun soldat israélien n’a été blessé dans l’incident, comme c’est si souvent le cas quand un présumé assaillant palestinien est abattu.

Parce qu’il avait raté son tir sur le Palestinien à proximité de Kedumim samedi, le soldat israélien s’est fait exclure de son unité. Le protocole militaire lui imposait d’ouvrir le feu.

« On attendait du soldat qu’il aille au bout du protocole d’arrestation et qu’il tire à nouveau pour neutraliser le terroriste – comme l’exigent les consignes d’ouverture du feu » déclare l’armée israélienne.

Les Palestiniens qui vivent des deux côtés de la Ligne verte, entre Israël et les territoires qu’il occupe, sont soumis à une « politique du tirer pour tuer, généralisée et systématique, » affirment les groupes de défense des droits de l’homme.

En juin, à cause de cette politique, Ahmad Erakat a été exécuté à un check-point en Cisjordanie, quelques heures avant le mariage de sa sœur

Israël a prétendu que le jeune homme avait tenté d’attaquer des soldats avec sa voiture. Une vidéo de l’incident montre qu’Erakat a été abattu alors qu’il était non armé, et qu’il avait les mains en l’air.

L’enquête de la CPI piétine

Plus de 750 Palestiniens ont été tués par les forces d’occupation israéliennes, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, depuis octobre 2015.

En janvier de cette année-là, Fatou Bensouda, procureure générale de la Cour pénale internationale, a entamé son examen préliminaire de la situation en Palestine. L’examen préliminaire s’est terminé en décembre 2019.

Bensouda a déterminé que les conditions pour lancer une enquête totale avaient été remplies.

Le rapport sur son enquête préliminaire a identifié l’usage systématique, par Israël, du tir réel contre des Palestiniens désarmés – particulièrement lors des manifestations de la Grande Marche du Retour à Gaza – comme un cas de crime de guerre présumé qui pourrait ressortir d’une enquête.

Elle s’est également concentrée sur le transfert par Israël de sa population civile vers les colonies de peuplement en Cisjordanie – ce qu’un expert des Nations Unies décrit comme un « dossier transparent ».

Mais avant le lancement d’une enquête, Bensouda a demandé qu’un panel de juges confirme la compétence du tribunal pour enquêter sur les crimes de guerres présumés en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza.

Le procureur a exigé une décision rapide sur la compétence. Mais à ce stade, « on ne sait pas clairement, ni avec certitude, quand cette décision sera rendue, et même si elle le sera » a déclaré ce mois-ci le groupe palestinien de défense des droits de l’homme, Al-Haq.

Des procédures interminables

Les procédures interminables de la CPI ne répondent pas à l’urgence de la situation des droits de l’homme, pour les Palestiniens qui vivent sous le régime militaire d’Israël.

« Un problème se pose car la Palestine reste exclue de la protection promise par la CPI tandis que s’y poursuivent les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, notamment ceux liés à l’expansion et à l’établissement des colonies de peuplement illégales » déclare Al-Haq.

La probabilité d’une enquête en Palestine est remise en question alors même que la CPI, sous-financée, se bat pour trouver un successeur à Bensouda, le mandat de celle-ci arrivant à son terme.

L’un des points de désaccord concerne les sanctions économiques de l’Administration Trump à l’encontre de Bensouda – mise, aux côtés de « terroristes et narcotrafiquants », sur la liste noire du Département US du Trésor.

La procureure est sanctionnée pour avoir recommandé d’enquêter sur les crimes de guerre suspectés d’avoir été commis par les forces US en Afghanistan, et sur ceux commis par leur allié Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Et ainsi, le champ des possibilités pour les Palestiniens d’accéder à un processus de responsabilisation au niveau international pourrait bien se fermer.

Sans aucune pression sur Israël pour qu’il mette fin à ses violations, les Palestiniens continueront de se faire tuer aux check-points et aux postes militaires montés afin de faciliter la colonisation de la Cisjordanie.

Les crimes de guerre d’Israël sont commis au vu et au su de puissances qui sont en mesure de les faire cesser, mais qui font le choix de ne pas le faire.

Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef adjointe de The Electronic Intifada, elle vit à Chicago.

Source: The electronic intifada

Traduction : BP pour l’Agence média Palestine

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