La COVID-19 en Palestine : Une pandémie face à l’«effacement par la colonisation »

Par Yara Hawari

Dès le début de septembre 2020, plus de 27 millions de cas de COVID-19 ont été répertoriés dans le monde entier, assortis d’environ 890.000 décès. Après de nombreux mois de confinement, les pays doivent rouvrir malgré les taux croissants d’infection et la peur d’une deuxième vague tandis que les gens s’adaptent à une « nouvelle normalité » qui comprend restrictions, distanciation sociale et limitation des déplacements.

An début des confinements, de nombreux Palestiniens ont fait la réflexion qu’ainsi, le monde comprenait à quoi ressemblait leur vie. Particulièrement en Cisjordanie et à Gaza, les couvre-feux, la fermeture des espaces publics, l’impossibilité ou la difficulté de voyager, l’angoisse persistante et la perpétuelle incertitude sont des traits communs à la vie des Palestiniens. Pourtant, cette nouvelle réalité mondiale ne reflète qu’une fraction de ce qu’ont vécu les Palestiniens à cause de presque un siècle de colonialisme de peuplement continu.

Le savant australien, Patrick Wolfe, a décrit le colonialisme de peuplement comme « une structure, pas un événement »[1] et sa logique conductrice comme l’élimination du peuple autochtone. Les Palestiniens font souvent référence à ce processus continu de colonisation de peuplement comme à al-nakba al-mustarnira (la catastrophe continue), qui se manifeste en outre par des expulsions, la confiscation de la terre, les incarcérations, les bombardements par l’armée et les processus de ghettoïsation à travers la Palestine historique.

Une partie de ce système de contrôle a consisté à diviser les Palestiniens en catégories sociales et politiques spécifiques fondées sur leur localisation géographique et essentiellement imposées par les cartes d’identité : citoyens palestiniens d’Israël, Palestiniens de Jérusalem Est, Palestiniens de Cisjordanie, de la Bande de Gaza, et Palestiniens réfugiés dans la diaspora. C’est un contexte important qu’il faut garder à l’esprit quand on évalue la pandémie de COVID-19 et les capacités qu’ont les Palestiniens pour l’affronter.

La pandémie

Les premières mesures prises contre la COVID-19 en Cisjordanie l’ont été début mars 2020 après la découverte de sept cas à Bethléem en lien avec un groupe de touristes venus de Grèce. L’Autorité Palestinienne (AP) a déclaré un état d’urgence, a imposé un confinement à la ville et un couvre-feu aux résidents.[2] Ces mesures ont été graduellement étendues dans les mois qui ont suivi, tandis que les taux d’infection augmentaient.[3]

Cependant, entre mars et juin, la Cisjordanie et Gaza ainsi que les communautés de Palestiniens de Jérusalem et d’Israël ont traversé une vague relativement peu sévère de COVID-19. A la mi-juin, on n’avait enregistré que 665 cas de COVID-19 en Cisjordanie et à Gaza (pour une population de 5 millions de personnes) – dont 180 cas parmi les Palestiniens de Jérusalem (pour une population de 800.000 personnes) – et un nombre limité de cas parmi les Palestiniens d’Israël (pour une population de 2 millions de personnes).

Cela a drastiquement changé en juillet avec le surgissement d’une deuxième vague. On n’en a pas encore bien exploré les raisons, mais il est vraisemblable que le relâchement du confinement, ainsi que l’inobservation des restrictions sur les rassemblements tels que les mariages, ont joué un rôle majeur. A la fin du mois, les cas ont grimpé à des milliers. Début septembre, le nombre total de cas en cours en Cisjordanie et à Gaza s’élevait à plus de 11.000.[5]

Tandis qu’il y a des parallèles entre la situation en Palestine et celle d’autres pays, le contexte d’un sévère régime colonial représente un défi particulièrement redoutable.[6] Et il a eu un effet direct et nuisible, non seulement sur l’accès des Palestiniens aux soins de santé, mais aussi sur la qualité même des soins.

Conformément au droit international, en tant que puissance occupante reconnue, Israël a la responsabilité de s’assurer que les Palestiniens jouissent de la totalité absolue des soins médicaux. Non seulement il ne le fait pas, mais il fait en sorte que les Palestiniens aient beaucoup de difficultés à y arriver par eux mêmes. Ce qui suit présentera un aperçu des défis qu’affrontent les Palestiniens dans leurs différentes composantes géographiques de la Palestine historique lorsqu’il s’agit de s’attaquer au COVID-19.

La Cisjordanie et Gaza

La Cisjordanie et la Bande de Gaza sont confrontées au COVID-19 depuis une réalité d’occupation militaire israélienne, qui affaiblit la possibilité des autorités palestiniennes et la population palestinienne de répondre efficacement au virus mortel. En fait, les 53 ans d’occupation ont sérieusement affaibli les capacités médicales en Cisjordanie et à Gaza. Le système dépendant des donateurs souffre de pénuries d’équipement, de médicaments et de personnel dues à des questions comme les raids de l’armée et les restrictions sur les importations.

Le déni et les restrictions de fourniture de médicaments et d’équipements affectent des traitements comme la chimiothérapie et la radiothérapie, rendant impossible le traitement des malades du cancer à Gaza, tout en limitant gravement sa possibilité en Cisjordanie. Là, les Palestiniens sont à la merci des autorités israéliennes qui décideront s’ils peuvent obtenir un permis pour le traitement dont ils ont besoin.

Ces pratiques comportent également des attaques sur les installations et les équipes médicales et sur les patients ; par exemple, entre 2008 et 2014, les bombardements israéliens successifs sur Gaza ont vu 147 hôpitaux et cliniques de premiers soins et 80 ambulances endommagées ou détruites, et 145 travailleurs médicaux blessés ou tués.[7] Des patients palestiniens ont aussi été arrachés à leurs lits d’hôpital par l’armée israélienne.[8]

En l’état actuel des choses, il n’y a que 255 lits pour soins intensifs en Cisjordanie pour une population de 3 millions de personnes et seulement 120 à Gaza pour une population de 2 millions de personnes.[9] Au total, il y a 6.440 lits d’hôpital entre les deux territoires.[10]

Ces défis n’ont fait qu’être aggravés par le dé-développement systématique du secteur de santé palestinien, le rendant presque totalement dépendant de la communauté des donateurs et d’Israël pour les fournitures et équipements.

Ces tendances ont été pertinemment démontrées dès le début de l’épidémie, quand on a applaudi Israël pour « autoriser » un minimum de fournitures médicales accordées par les donateurs internationaux à arriver en Cisjordanie. Un exemple fut l’expédition en mars vers l’AP de 3.000 tests et 50.000 masques par l’Organisation Mondiale de la Santé,[11] quantités tout à fait inférieures aux besoins réels.

En plus de cette violence, faible mais constante, contre le système de santé en Cisjordanie et à Gaza, le régime israélien s’est par ailleurs engagé dans des attaques plus insidieuses contre les tentatives des Palestiniens pour affronter le virus. Des cliniques ont été totalement détruites, une par exemple dans la Vallée du Jourdain en mars dernier et, en juillet dernier, une autre à Hébron [12] – gouvernorat de Cisjordanie le plus touché.

Aujourd’hui, les autorités palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza semblent être en possession d’une stratégie limitée pour s’occuper du virus, consistant principalement à imposer divers degrés de confinement dans les zones sous leur contrôle. Leur manque de souveraineté et de capacité pour contrôler les déplacements à cause de l’occupation militaire israélienne aggrave cette limitation.

Jérusalem Est

Jérusalem Est et ses résidents palestiniens ont été soumis à une négligence systématique depuis qu’ils ont été occupés (1967) et illégalement annexés (1980) par Israël, faisant qu’ils sont mal équipés pour faire face à la COVID-19. Le ministère israélien de la Santé n’est pas autorisé à accéder à Jérusalem Est et les Palestiniens doivent donc se fier aux autorités israéliennes pour obtenir les services et les financements. Et il le fait de manière inadéquate, Israël détournant la majeure partie de ses ressources vers les citoyens juifs israéliens de la ville.

Ces pratiques ont conduit à un sous-financement chronique qui résulte en une grave pénurie de lits, d’équipements et de personnel. Entre les trois principaux hôpitaux, Al-Makassed, Augusta Victoria et Saint Joseph, il n’y a que 22 respirateurs et 62 lits pour les Patients du COVID-19.[13] Cette situation a été exacerbée par la décision de l’administration Trump de couper 25 millions de dollars américains du financement des hôpitaux de Jérusalem Est en 2018. Dans l’état actuel des choses, ces hôpitaux ont 75 millions de dollars américains de dette envers leurs fournisseurs médicaux,[14] les laissant vaciller au bord de l’effondrement.

On rapporte aussi qu’il y a eu de grands retards dans l’ouverture de centres de testage et d’installations de quarantaine à l’arrivée de la pandémie.[15] En fait, ce n’est pas avant avril que les autorités ont installé un centre de testage à Jérusalem Est, tandis que la principale installation de quarantaine a été ouverte par les Palestiniens eux mêmes et est toujours gérée par des bénévoles.

Ces efforts des Palestiniens ont régulièrement été perturbés par Israël. A la mi-avril par exemple, la police israélienne a attaqué et fermé une clinique gérée par des bénévoles dans le quartier de Jérusalem Est de Silwan et arrêté le personnel de la clinique parce qu’ils utilisaient des tests du COVID-19 donnés par l’AP.[16]

Plus tôt dans l’année, les autorités israéliennes ont également arrêté des bénévoles palestiniens qui essayaient de distribuer des fournitures aux communautés appauvries de Jérusalem Est.[17] Ces attaques et l’effondrement mentionné plus haut des services de santé signifient que les Palestiniens de Jérusalem Est sont dans l’incapacité d’affronter la pandémie de manière efficace.

Les citoyens palestiniens d’Israël

Les citoyens palestiniens d’Israël sont négligés et marginalisés de la même façon. Ils vivent majoritairement dans des localités surpeuplées et des enclaves isolées de la population juive israélienne, permettant à Israël de priver la population palestinienne des services suffisants, y compris les services de santé.

Avec une population de 2 millions de personnes (20 pour cent de la population d’Israël), 47 pour cent de la communauté palestinienne vivent sous le seuil de pauvreté et sont ainsi confrontés à plus de précarité et d’insécurité. Ce positionnement dans la société israélienne est le résultat d’une politique délibérée d’exclusion.

C’est devenu encore plus visible avec la politique du régime israélien face au COVID-19. Au début de la pandémie, le ministère israélien de la Santé n’a pas publié de directives en Arabe sur le virus.[18] Ce n’est qu’après l’indignation de la société civile palestinienne et des associations des droits de la personne humaine que le ministère a commencé à publier une documentation réduite dans cette langue.

Il y a aussi eu un repérage et un dépistage limités dans les localités palestiniennes, ce qui veut dire qu’on ne connaît pas les véritables taux d’infection. Pendant ce temps, ces localités luttent pour garder à flot le service de santé, si bien que les conseils palestiniens locaux se sont mis en grève au mois de mai, pour protester contre le fait qu’Israël avait manqué à transmettre les allocations d’urgence promises pour s’occuper du virus.[19]

Conclusion

Il est clair que la pandémie ne sert pas de grand égalisateur à travers le monde ; il met plutôt en lumière les structures de pouvoir et d’oppression qui privilégient la santé de certains sur d’autres. C’est certainement le cas pour les Palestiniens, pour lesquels le régime colonial de peuplement d’Israël a eu un impact direct sur leur santé et leur accès aux soins de santé.

Cette façon de traiter les Palestiniens est un exemple des relations entre les colons et la population autochtone, là où la vie des premiers est prioritaire sur celle des derniers. La systématisation de cette priorisation pendant de nombreuses décennies a rendu les Palestiniens vulnérables et plus sensibles au virus.

En réalité, la pandémie ajoute encore une autre couche de précarité sur leurs vies déjà fragiles, conséquence de la violence continue du régime israélien. On peut donc en conclure qu’Israël ne fait pas qu’exacerber les conditions qui rendent les Palestiniens plus susceptibles d’être infectés, mais qu’il en est aussi directement responsable, faisant du régime israélien un régime de comorbidité. [20]

Il est par conséquent fallacieux de prétendre qu’on est parvenu au temps de la coopération et du dialogue entre Israël et les autorités palestiniennes pour affronter la pandémie. C’est plutôt le temps maintenant, comme toujours, d’appeler résolument à la fin de ce système d’effacement du peuple palestinien.

Yara Hawari est Analyste Politique Principal à Al-Shabaka, le Réseau Politique Palestinien.

Cet article est publié dans le cadre d’un projet en cours géré par le Programme Moyen-Oriental et Méditerranéen d’IAI avec le Département des Etudes Historiques et le Département de la Culture, de la Politique et de la Société de l’université de Turin avec le soutien de la Fondation de la Compagnia di San Paolo, qui comporte une série de six commentaires qui étudient l’impact du COVID-19 sur les conflits au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Les idées exprimées dans l’article sont seulement celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles des autres partenaires et parrains du projet.

[1] Patrick Wolfe, “Settler Colonialism and the Elimination of the Native”, in Journal of Genocide Research, Vol. 8, No. 4 (2006), p. 388, https://doi.org/10.1080/14623520601056240.

[2] Yara Hawari, “In Palestine, COVID-19 Meets the Israeli Occupation”, in Al-Shabaka Policy Memos, 14 April 2020, https://al-shabaka.org/memos/in-palestine-covid-19-meets-the-occupation.

[3] Alaa Tartir and Yara Hawari, “Palestine and COVID-19: Global Standards, Local Constraints”, in Mideast Policy Briefs, No. 7 (2020), https://www.prio.org/Publications/Publication/?x=12390.

[4] World Health Organization, Coronavirus Disease 2019 (COVID-19): Situation Report 32. Occupied Palestinian Territory, 11 June 2020, https://reliefweb.int/node/3643460.

[5] UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs – occupied Palestinian territory (OCHA oPt), COVID-19 Emergency Situation Report 17 (29 August–8 September 2020), https://www.ochaopt.org/node/10838; Coronavirus (COVID-19) in Palestine (website in Arabic), https://corona.ps.

[6] Yara Hawari, “COVID-19 in the West Bank and Gaza: A Second Wave Under Military Occupation and Siege”, in MEI Publications, 29 July 2020, https://www.mei.edu/publications/covid-19-west-bank-and-gaza-second-wave-under-military-occupation-and-siege.

[7] Medical Aid for Palestinians (MAP), “Health under Occupation”, in MAP Briefing Series, September 2017, p. 13, https://www.map.org.uk/campaigns/health-under-occupation-briefing-papers. See also Al Mezan Center for Human Rights (Al Mezan), Lawyers for Palestinian Human Rights (LPHR) and MAP, Chronic Impunity: Gaza’s Health Sector Under Repeated Attack, March 2020, https://www.map.org.uk/news/archive/post/1103.

[8] Al-Haq, Undercover Israeli Military Forces Raid Hospital in Hebron, Kill One Palestinian and Arrest Another, 18 November 2015, http://www.alhaq.org/advocacy/6466.html.

[9] State of Palestine, State of Emergency: Palestine’s COVID-19 Response Plan, 26 March 2020, p. 3, http://www.palgov.ps/en/article/210/Palestine’s-COVID-19-Response-Plan; Alaa Tartir and Yara Hawari, “Palestine and COVID-19…”, cit.

[10] Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS) website: Number of Hospitals, Hospital’s Beds and Beds Per 1000 Inhabitant in Palestine by Region, 2018, http://www.pcbs.gov.ps/Portals/_Rainbow/Documents/health-2018-02E.html.

[11] “COGAT Delivers 3,000 Coronavirus Test Kits, 50,000 Masks to PA”, in The Jerusalem Post, 25 March 2020, https://www.jpost.com/middle-east/cogat-delivers-3000-coronavirus-test-kits-50000-masks-to-pa-622371.

[12] B’Tselem, During the Coronavirus Crisis, Israel Confiscates Tents Designated for Clinic in the Northern West Bank, 26 March 2020, http://www.btselem.org/node/212841; Yumna Patel, “Landowner Says Israeli Authorities Demolished COVID-19 Testing Site on Donated Plot”, in Mondoweiss, 23 July 2020, https://mondoweiss.net/2020/07/israel-destroys-covid-19-testing-clinic-in-hebron-as-cases-soar.

[13] Judith Sudilovsky, “East Jerusalem Scrambles to Prevent COVID-19 Outbreak before Ramadan”, in +972 Magazine, 22 April 2020, https://www.972mag.com/east-jerusalem-coronavirus-ramadan.

[14] Ibid.

[15] Al-Haq, Jerusalem Legal Aid and Human Rights Center (JLAC) and MAP, COVID-19 and the Systematic Neglect of Palestinians in East Jerusalem, July 2020, p. 7, https://www.map.org.uk/campaigns/-3.

[16] Nir Hasson, “Israel Shuts Palestinian Coronavirus Testing Clinic in East Jerusalem”, in Haaretz, 15 April 2020, https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-israeli-police-raid-palestinian-coronavirus-testing-clinic-in-east-jerusalem-1.8767788.

[17] Yumna Patel, “After Weeks of Ignoring Its Palestinian Citizens, Israel to Step Up Testing in Arab Towns”, in Mondoweiss, 3 April 2020, https://mondoweiss.net/2020/04/after-weeks-of-ignoring-its-palestinian-citizens-israel-to-step-up-testing-in-arab-towns.

[18] Suha Arraf, “Israel Didn’t Publish Coronavirus Guidance in Arabic – So Palestinians Stepped In”, in +972 Magazine, 17 March 2020, https://www.972mag.com/coronavirus-guidance-arabic-israel.

[19] Jack Khoury and Noa Shpigel, “Israeli Arab Councils Strike in Protest of Inadequate Coronavirus Aid Package”, in Haaretz, 5 May 2020, https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-israeli-arab-councils-strike-in-protest-of-inadequate-coronavirus-aid-package-1.8821694.

[20] Yara Hawari, “In Palestine, COVID-19 Meets the Israeli Occupation”, cit.

Source : IAI Istituto Affari Internazionali (Institut des Affaires Internationales)

Traduction : J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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