Le jeu déloyal d’Israël contre le football à Gaza

Par Abdallah al-Naami, le 24 février 2021

Des trous béants dans les murs font partie des dégâts causés par l’attaque israélienne sur le stade al-Tuffah. (Abdallah al-Naami)

Le footballeur Sadiq Lulu a été réveillé par une grosse explosion. Les maisons du voisinage étaient ébranlées il le sentait.

C’était le 26 décembre et, à cette heure matinale, Gaza était sous un couvre-feu instauré pour faire face à la pandémie de COVID-19. Malgré le couvre-feu, Lulu décida d’aller vérifier le stade al-Tuffah, quartier général de son club.

Lulu – capitaine de 30 ans de l’équipe – fut choqué de constater la destruction provoquée par Israël, qui avait attaqué les terrains.

« Cela m’a brisé le cœur de voir les dégâts infligés à notre stade », a-t-il dit. « Le stade al-Tuffah est comme ma deuxième maison. Malheureusement, le bombardement de notre stade montre qu’aucun endroit n’est à l’abri à Gaza. »

Ashraf Humeid, gardien de but de l’équipe, est lui aussi allé voir le stade après l’attaque. Humeid a été décontenancé quand il a découvert que son terrain était couvert de shrapnels et autres débris.

« Il y avait des trous béants dans les murs du vestiaire », a-t-il dit. « Il y avait comme une sensation d’abandon tout autour. Nous n’avons rien à voir avec la politique, alors pourquoi faudrait-il nous cibler ? »

Ashraf Humeid, gardien de but d’al-Tuffah, ne comprend pas pourquoi le stade a été ciblé.

Le stade est d’une grande importance pour la population d’al-Tuffah, zone à l’est de la ville de Gaza. En plus d’accueillir les parties de football, c’est un lieu populaire pour les mariages. Sa salle des mariages avait été fermée à cause de la pandémie, mais on espérait sa réouverture.

Ces espoirs sont maintenant anéantis. La salle des mariages a été gravement endommagée par l’attaque israélienne.

Cibles terroristes ?

Israël a présenté ses frappes aériennes du 26 décembre comme une réponse aux roquettes tirées depuis Gaza. Son armée a prétendu qu’elle avait frappé « les cibles terroristes du Hamas ».

L’armée n’a pas fait mention des trois civils palestiniens – dont une petite fille de six ans – qui ont été blessés dans l’offensive.

Et ils n’ont pas fait état non plus des dégâts sur le stade de football et autres infrastructures civiles – dont une mosquée, un hôpital pour enfants et une école gérée par les Nations Unies.

L’attaque sur le stade al-Tuffah a eu pour conséquence que le club local a dû annuler ses séances d’entraînement. Le terrain n’était plus en état pour les quelques semaines suivantes.

L’équipe a pourtant continué à jouer des matchs ayant déjà été programmés, en jouant sur d’autres terrains.

« Nous n’étions pas préparés physiquement pour jouer, aussi avons-nous sévèrement perdu deux matchs », a déclaré Hassan Marzouq, membre de l’équipe d’al-Tuffah. « C’était triste et gênant pour nous et pour nos fans. »

Il ne faudrait pas considérer le bombardement d’al-Tuffah comme un événemente isolé. A de nombreuses occasions, Israël s’est comporté agressivement envers les joueurs de football palestiniens et les équipements qu’ils utilisent.

La salle des mariages du stade al-Tuffah a été frappée pendant l’attaque israélienne. (Abdallah al-Naami)

Israël a récemment bombardé nombre d’autres stades de football à Gaza.

En 2019, le stade de la zone de Beit Hanoun a été ciblé dans le cadre d’une attaque aérienne. Et pendant l’important bombardement de Gaza par Israël en novembre 2012, les deux stades, Palestine et Yarmouk, de la ville de Gaza ont été gravement endommagés.

De nombreux joueurs de football de Gaza ont été blessés pendant la Grande Marche du Retour – manifestations hebdomadaires tenues en 2018 et 2019.

Les associations des droits de l’homme ont documenté la façon dont les snipers israéliens ont tiré sur les manifestants en-dessous du genou avec des fusils à grande vitesse et des balles qui s’épandent à l’impact. Ceux qui étaient atteints ont souvent dû subir une amputation.

Épreuve

Le blocus de Gaza par Israël a affecté le déroulement des compétitions de football, mais pas seulement. Il a notamment obligé l’Association Palestinienne de Football à organiser des ligues séparées pour la Cisjordanie et Gaza occupées.

Depuis 2015, les vainqueurs de chaque ligue sont en concurrence pour la Coupe de Palestine. Le titre est attribué à l’équipe qui totalise le plus grand nombre de buts sur deux matchs, l’un à domicile, l’autre à l’extérieur.

Parce qu’Israël dénie aux Palestiniens la liberté de circulation, tenir ce championnat annuel s’est avéré être une épreuve pour les joueurs aussi bien que pour les administrateurs.

Muhammad Abu Musa a été directement touché par cette épreuve.

En 2016, son club Shahab Khan Younis s’est qualifié pour les étapes finales de la Coupe de Palestine. « J’étais très excité à l’idée de quitter Gaza pour la première fois et d’aller en Cisjordanie », a-t-il dit.

Son excitation s’est rapidement transformée en frustration. Avec cinq coéquipiers, Abu Musa s’est vu refuser un permis de voyage pour la Cisjordanie et n’a donc pas pu prendre part à la finale.

« J’ai été choqué d’avoir été refusé », a-t-il dit. « Je ne comprenais pas pourquoi. Je suis juste un joueur de football. »

Deux ans plus tard, Shahab KhanYounis s’est à nouveau qualifié pour les étapes finales de la Coupe de Palestine.

Abu Musa a été un peu plus heureux cette fois-là.

Il a reçu un permis de voyage pour la Cisjordanie. Mais avant de pouvoir réellement entamer son voyage, il a été obligé d’attendre 11 heures à Erez, le checkpoint militaire qui sépare Gaza et Israël.

« Nous avons dû passer par des inspections, des interrogatoires et des checkpoints », a-t-il dit. « C’était extrêmement épuisant. »

Pendant qu’il était en Cisjordanie, Abu Musa a signé un contrat pour jouer avec le club Ahli al Khalil, situé à Hébron.

« C’était la chance que j’avais toujours attendue », a-t-il dit. « C’était comme un rêve devenu réalité. Ç’aurait été une véritable chance pour moi d’être sélectionné pour l’équipe nationale [palestinienne] ». Abu Musa est revenu à Gaza après la Coupe de Palestine de 2018. De là, il a fait une demande de permis pour aller en Cisjordanie afin de rejoindre son nouveau club.

Après trois mois d’attente, sa demande a été rejetée. Il n’a pas pu jouer ne serait-ce qu’un seul match pour Ahli al-Khalil.

« Le football a toujours été ma passion », affirme Abu Musa, maintenant âgé de 28 ans. « Perdre cette opportunité m’a fait me sentir comme si tous mes rêves s’étaient évanouis. Je me suis retrouvé très déprimé. »

La Coupe de Palestine a effectivement été à l’arrêt ces quelques dernières années.

En 2019, Israël a empêché la plupart des joueurs de l’équipe de Khadamat Rafah de quitter Gaza pour la Cisjordanie. La finale – entre Khadamat Rafah et Markaz Balata – n’a pas pu avoir lieu à cause de l’intransigeance d’Israël.

La COVID-19 a également eu des effets défavorables pour le football.

A l’intérieur de Gaza, de nombreux joueurs ont été infectés par le virus et beaucoup de séances d’entraînement ont été annulées. La ligue locale a été longuement suspendue.

Et, quand les matchs ont eu lieu, c’était généralement sans spectateurs.

« Le football met du bonheur dans ma vie », a confié Sadiq Lulu d’al-Tufah. « Pendant les 15 dernières années, j’ai passé la plupart de mon temps dans les stades, jouant moi-même au football ou entraînant de jeunes joueurs. »

Il a ajouté : « Rester loin des stades et des entraînements m’a rendu triste et solitaire. »

Abdallah al-Naami est un journaliste et photographe qui vit à Gaza.

Source : The Electronic Intifada

Traduction : J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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