Les Palestiniens descendent dans la rue à Umm al-Fahm pour manifester contre la police israélienne

Par Yoav Haifawi, le 5 mars 2021

Le vendredi 5 mars, entre 10 000 et 20 000 citoyens palestiniens d’Israël ont manifesté dans Umm al-Fahm contre les abus et négligences de la police, alors que des mois de violence atteignaient leur point culminant.

Une banderole accrochée à Umm al-Fahm par al-Herak qui dit : « Je n’attendrai pas que mon fils soit le prochain». (Photo : Yoav Haifawi)

Le double problème d’un gouvernement raciste hostile et d’une prévalence croissante du crime organisé hante la société arabe palestinienne à l’intérieur de la Ligne verte. Le manque de sécurité pour les personnes est décuplé par le sentiment qu’il n’y a personne vers qui se tourner pour vous protéger quand votre vie est en danger. Ces dernières années, il y a eu de nombreuses luttes contre le crime organisé, et contre la police israélienne qui laisse les mains libres aux bandes criminelles pour terroriser la population arabe, alors que dans le même temps, la police agit avec une violence excessive contre celles et ceux qui luttent pour leurs droits, ou même contre les citoyens arabes ordinaires.

Le vendredi 5 mars, j’ai participé à l’une des plus importantes manifestations du genre. Elle avait lieu à Umm al-Fahm, la principale ville palestinienne dans la zone nord du Triangle. Cette manifestation était le point culminant d’une longue lutte des habitants de la région, conduite par « al-Herak al-Fawmawi al-Muwahad » – « Le mouvement Fahmawi uni ». Ce mouvement a commencé à la suite de la violence répétée de bandes armées contre les citoyens locaux et de la tentative de meurtre contre le Dr Suleiman Aghbaria, ancien maire et l’un des dirigeants du Mouvement islamique, en janvier 2021.

Dans les zones qui ont été occupées par Israël en 1948, les Palestiniens sont officiellement des citoyens d’Israël, mais l’État les considère toujours comme un « ennemi interne ». Beaucoup de ces citoyens palestiniens d’Israël, voulant mettre l’accent sur leur identité palestinienne parallèlement à leurs frères dans le territoire occupé en 1967, s’identifient comme des Palestiniens de 1948.

Vendredi dernier, le 26 février, des manifestants du Herak ont tenté de bloquer la principale route d’Umm-al-Fahm et ont été violemment agressés par la police. L’un d’eux a été blessé dangereusement. Le maire de la ville, le Dr Sami Sobhi Mahamid, et le Dr Yousef Jabareen, un membre de la Knesset (lui aussi un Fahmawi), qui tentaient tous deux de calmer la confrontation, ont été physiquement agressés par la police, devant les caméras. Quatre des manifestants ont été arrêtés. En réponse, « le Haut Comité de suivi », la direction unie des Palestiniens de 1948, s’est réuni à Umm al-Fahm et a annoncé une manifestation nationale pour ce vendredi.

Des jeunes manifestantes à la manifestation d’Umm al-Fahm tiennent une pancarte sur laquelle est écrit : « Nous ne négocions pas avec la police – c’est elle le problème ». (Photo : Yoav Haifawi)

Quelques heures avant le début prévu de la manifestation, la police avait déjà fermé la principale autoroute qui conduit à Umm al-Fahm, sur plusieurs kilomètres et des deux côtés. Comme des milliers d’autres qui venaient de l’extérieur de la ville, nous avons dû nous frayer un chemin sur des routes de montagne ne figurant pas sur la carte, à travers les cantons voisins. Quand la foule, estimée entre 10 000 et 20 000 personnes, s’est finalement mise en marche vers la rue principale, celle-ci était déjà fermée et déserte. Des drapeaux palestiniens et des drapeaux noirs étaient accrochés sur les feux de signalisation et les masses s’écoulaient librement dans le carrefour central, le même carrefour d’où elles avaient été chassées par la violence la semaine passée.

Al-Herak

Une foule de manifestants bloque la rue principale d’Umm al-Fahm. (Photo : Yoav Haifawi)

Officiellement, c’est le Comité de suivi qui a appelé à la manifestation, celui-ci étant composé de tous les partis et mouvements des « Palestiniens de 48 ». Mais sur le terrain, il est clair que la manifestation était organisée et conduite par al-Herak.

Sur un mur central dans le premier cercle de la ville, devant la municipalité, un grand panneau d’affichage signé par Herak attendait les manifestants. Il y était écrit, « Je n’attendrai pas que mon fils soit le prochain… Umm al-Fahm a commencé à descendre dans la rue ». Et d’ajouter un court message en anglais et en hébreu : « Qui est le prochain ? ». Les militants du Herak, portant des gilets jaunes spécialement imprimés, ont pris le contrôle des rues, détourné la circulation et ont tout organisé, y compris la distribution d’eau et de halvas aux manifestants.

Le rôle des femmes dans la manifestation a été très important. Beaucoup d’entre elles défilaient dans un groupe spécial, mais la plupart des groupes de la manifestation étaient mixtes. Les femmes portaient des drapeaux palestiniens, dirigeaient et scandaient des slogans et bloquaient les rues.

Des femmes ouvrent la voie. (Photo : Yoav Haifawi)

Al-Herak a distribué aux participants une brochure spéciale de 8 pages, joliment éditée, expliquant le contexte de la lutte. Son titre était : « La police est le problème ». Elle commençait par évoquer les manifestations de la Deuxième Intifada en 2000 et avec le meurtre de trois manifestants à Umm al-Fahm par des tirs de la police. Elle reliait ces meurtres à l’approche colonialiste du gouvernement israélien envers les citoyens arabes palestiniens et à la « justification » du gouvernement selon laquelle la violence interne fait partie de la « culture arabe ». La brochure poursuit en mettant en contraste la prévalence du crime organisé violent en « Palestine de 48 avec le niveau relativement faible de la violence interne dans la société cisjordanienne », et montre par des graphiques, des statistiques, et des précisions sur les activités de la police, comment la police échoue systématiquement, ou, plutôt, n’essaie même pas, à défendre les victimes arabes des crimes.

La brochure du Herak se termine par un slogan qui, lui aussi, fut repris à de nombreuses reprises dans la manifestation : « Révolutionnaires, peuple libre, nous manifesterons ».

Un conflit politique interne

La manifestation avait lieu deux semaines et demie avant les élections à la Knesset – la quatrième en deux ans. Cette fois-ci, l’élection ne soulevait que peu d’intérêts dans la société palestinienne. Ce manque d’intérêt provenait d’une double déception : d’un côté, la société israélienne semble devenir de plus en plus à droite, et anti-palestinienne, et presque personne ne nourrit l’illusion que quelque chose de bon puisse découler d’une nouvelle élection. De l’autre côté, les dirigeants palestiniens traditionnels qui prennent part aux élections de la Knesset ont déçu leurs électeurs en soutenant Benny Gantz à la tête du gouvernement israélien (et en n’obtenant rien pour cela) et ensuite, en provoquant une scission dans la « Liste commune ». 

Des centaines de personnes dans une rue latérale qui conduit au poste de police. (Photo : Yoav Haifawi)

Près de l’entrée d’Umm al-Fahm, au carrefour qui a été envahi par les manifestants, se trouve un grand panneau avec une annonce électorale naïve. Cette annonce dit : « La Liste arabe unie : une voix réaliste, influente et conservatrice ». La Liste « unie » est l’alternative conservatrice à la liste « commune » – conduite par un membre de la Knesset, le Dr Mansour Abbas, de la branche (légale) « Sud » du Mouvement islamique. Ses slogans sur le « réalisme » et l’« influence » sont compris comme montrant la volonté du groupe de soutenir Netanyahu, dans sa tentative de rester au gouvernement malgré sa mise en accusation pour corruption, en échange de certains avantages matériels. La référence aux « conservateurs » pourrait impliquer la tentative d’utiliser des préjugés homophobes pour discréditer les autres partis arabes, relativement progressistes.

Le mur parle – le dernier slogan contre le meurtre d’innocents avec les clés du retour de 1948. (Photo : Yoav Haifawi)

Dans la manifestation, la politique « réaliste » du Dr Abbas n’a pas été la bienvenue. Il a été entouré de manifestants en colère qui lui demandaient de rentrer chez lui. Des militants du Herak et d’autres partis l’ont sorti de cette situation en toute sécurité afin d’empêcher toute autre confusion.

Source : Mondoweiss

Traduction BP pour l’Agence média Palestine


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