Par Michael Sappir, le 4 mars 2021
Le Fonds national juif (Keren Kayemeth LeIsrael, KKL, en anglais JNF, Jewish National Fund) se présente en Allemagne comme une organisation « verte » au service de tous les résidents d’Israël. Ce n’est pas ce que ses dirigeants disent en Israël.
Des Israéliens tenant des fanions du Fonds national juif (Keren Kayemeth LeIsrael) participent à la traditionnelle Tu Bishvat de plantation d’arbres, dans la colonie juive cisjordanienne de Michmash, district Binyamin, le 15 janvier 2014. (Yossi Zamir/Flash90)
Début février, la direction du Fonds national juif a approuvé un projet consistant à commencer à acheter des terres pour l’extension des colonies en Cisjordanie occupée. Le tapage autour du plan, qui sera soumis à une décision finale en avril, a conduit à d’importantes clarifications sur la mission du KKL/JNF.
Dans une récente interview télévisée sur Kan, le président du KKL/JNF Avraham Duvdevani a soutenu que la nouvelle politique ne s’écartait pas dans les faits des principes fondamentaux de l’organisation. « Racheter » les terres, a-t-il déclaré, a toujours été le rôle du KKL/JNF des deux côtés de la Ligne verte, comme cela est stipulé dans son protocole d’association de 1954 qui l’autorise à opérer « dans toute région à l’intérieur de la juridiction du gouvernement d’Israël ».
Pour illustrer son propos, Duvdevani a fièrement raconté comment le KKL/JNP intervient chaque fois que les résidents juifs de Galilée les appellent pour les avertir qu’un voisin pourrait vendre ses terres à des Arabes ; le KKL/JNF surenchérit alors afin de « racheter », sauver, la terre.
Davidi Ben Zion, un membre du conseil du KKL/JNF et habitant dans une colonie de Cisjordanie, a récemment contextualisé succinctement la nouvelle politique : « Le seul changement est [que] nous en avons fini avec l’Isra-bluff ». En d’autres termes, les efforts de l’organisation pour s’emparer de terres palestiniennes, qui étaient auparavant menés discrètement ou via des intermédiaires, auront maintenant lieu à découvert.
Rien de cela n’est particulièrement surprenant pour ceux d’entre nous qui ont suivi la judaïsation croissante de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie occupées depuis 1967. Et pourtant, beaucoup de gens ne devineraient jamais que le KKL/JNF ait quoi que ce soit à voir avec la colonisation et l’expropriation de terre, s’ils s’en tenaient à la façon dont l’organisation présente son travail à l’étranger — y compris en Allemagne, d’où j’écris.
Le chef du personnel des forces de défense israéliennes d’alors, Benny Gantz, reçoit un certificat du président du Fonds national juif, Effy Shtenzler, après avoir planté un arbre au nouveau Forum général des salariés et dans la forêt des forces de défense, dans la région de Sataf près de Jérusalem, 27 janvier 2014. (Flash90)
Le site web de KKL/JNF Allemagne présente le Fonds comme une « organisation verte politiquement indépendante », tout en soulignant à plusieurs reprises comment ses forêts, ses parcs et infrastructures aquatiques sont au service « de tous les résidents d’Israël ». Une section entière sur le site est dédiée à la manière dont le KKL/JNF coopère avec — et même est au service de — la population bédouine indigène dans le désert du Néguev.
A peine pourrait-on y trouver trace des valeurs du KKL/JNF quant à la « rédemption » de la terre ou la judaïsation — ce que Duvdevani considère comme le « rôle » de l’organisation. La direction israélienne du KKL/JNF a peut-être arrêté de bluffer, mais la branche allemande maintient sa propre mascarade.
« Pour le peuple juif seulement »
Si toute organisation qui sollicite des dons ajuste toujours sa communication à différents publics, le site web allemand du KKL/JNF va au-delà du récit sélectif et déforme son portrait du travail du Fonds jusqu’à le rendre presque méconnaissable. Une confrontation avec la réalité s’impose.
Loin de se rendre utile à tous les résidents d’Israël de manière égale, le KKL/JNF apparaît comme un vecteur de la discrimination systématique contre la société palestinienne à l’intérieur de la Ligne verte (les personnes ayant la citoyenneté israélienne) et de la dépossession des Palestiniens des deux côtés de cette ligne.
Le Fonds a été établi lors du cinquième congrès sioniste en 1901 à Bâle, en Suisse. Son objectif originel était, surtout, d’acquérir des terres et des biens « dans le but d’y installer des juifs ». Le site web en hébreu du KKL/JNF rappelle comment Theodor Herzl, le père du sionisme politique moderne, a argumenté avec passion lors du congrès pour que de l’argent juif soit utilisé afin d’acheter des terres dans ce que le protocole originel appelait « la Palestine, la Syrie et d’autres parties de la Turquie en Asie et dans la péninsule du Sinaï ».
Un Israélien déguisé en David Ben-Gourion se tient près d’un panneau KKL-JNF pendant les célébrations du 61e Jour de l’indépendance d’Israël, à Tel Aviv, le 28 avril 2009. (Roni Schutzer/Flash90)
Le lien entre cet effort et le déplacement des populations indigènes était clair pour les leaders sionistes d’avant la création de l’Etat. Au vingtième congrès sioniste de 1937, David Ben-Gourion, qui devait devenir le premier Premier ministre d’Israël dix ans plus tard, affirmait : « Vous êtes sans aucun doute conscients de l’activité du KKL/JNF dans ce domaine. Maintenant, un transfert d’une portée complètement différente, devra être mené à bien. »
Yosef Weitz, directeur du département des terres du KKL/JNF entre 1932 et 1972, a été un éminent avocat du nettoyage ethnique. En décembre 1940, il écrivit dans son journal : « Il n’y a aucune voie sauf celle consistant à transférer les Arabes d’ici aux pays voisins et de les transférer tous, sauf peut-être [les Arabes de] Bethléem, Nazareth et de la vieille ville de Jérusalem. Pas un village ni une tribu [bédouine] ne doivent être épargnés. Et, seulement après ce transfert, le pays sera capable d’absorber des millions de nos frères et le problème juif cessera d’exister. Il n’y a pas d’autre solution. »
Après la Nakba et la fondation de l’Etat d’Israël, cette vision a été pour l’essentiel réalisée : la terre avait été mise sous contrôle juif, une grande partie de la population arabe avait été déplacée et le nouvel Etat avait commencé à absorber l’immigration juive en masse. Le KKL/JNF était devenu un organisation quasi-gouvernementale, son rôle étant inscrit dans la législation israélienne depuis 1953.
Depuis 1948, les gouvernements israéliens ont transféré de larges pans de terres de l’Etat au KKL/JNF — pour la plupart des terres confisquées aux Palestiniens après la Nakba. Des 2, 5 millions environ de dounams que le KKL/JNF possède — 13% de la surface totale de l’état d’Israël — quelque 2 millions de dounams lui ont simplement été donnés par l’Etat entre 1948 et 1953.
Du linge est pendu devant les décombres de plusieurs maisons et étables démolies par les autorités israéliennes dans le village non reconnu d’Atir, 21 mai 2013. Le Fonds national juif prévoit d’étendre une forêt appelée « Yatir », qu’on voit à l’arrière-plan, sur les terres du village. (Activestills.org)
Le mandat du KKL/JNF, cependant, n’a pas changé. Jusqu’à ce jour, ses statuts n’autorisent l’organisation à louer et à développer des terrains que pour le seul usage des juifs.
Les terres du KKL/JNF sont en théorie devenues disponibles pour tous les citoyens à la suite d’un jugement de la Cour suprême en 2009, mais seulement de manière indirecte : parce que les règles du KKL/JNF lui interdisent de louer des terres aux non-juifs, de telles locations ne sont rendues possibles que grâce à un arrangement d’échange de terrains au cours duquel le KKL/JNF transfère la terre d’abord sous le contrôle de l’Etat. En retour, Israël indemnise le KKL/JNF pour la terre « perdue » en lui accordant des terres inutilisées ailleurs.
Au tribunal, le KKL/JNF s’est dressé contre l’application du droit public à ses locations, et particulièrement contre le principe d’égalité, affirmant ouvertement que le KKL/JNF « n’est pas et ne peut être loyal au public israélien dans son entièreté. La loyauté du KKL/JNF est réservée au peuple juif seul — pour qui il a été établi et pour qui il opère. »
Une moquerie cruelle
Le prétendu « environnementalisme » du KKL/JNF a toujours été subordonné à sa mission nationaliste. En conséquence, même ses efforts « verts » vont souvent à l’encontre des exigences de base de la préservation de la nature et de la protection environnementale. Un rapport de 2013 de la Société israélienne pour la protection de la nature critiquait ainsi vivement les actions de reforestation du Fonds parce qu’elles ruinaient les écosystèmes locaux et dévastaient leur unique biodiversité.
Après la Nakba, le KKL/JNF a planté des forêts sur les ruines des communautés palestiniennes, non seulement pour écraser les rêves des réfugiés d’y retourner mais également – et en premier lieu, pour recouvrir les témoignages de leur existence. A ce jour, les mêmes projets de reforestation du KKL/JNF qui détruisent et supplantent la flore et la faune locales sont aussi un moyen de détruire et de supplanter la société indigène.
Des résidents du village bédouin d’Al-Araqib et des militants juifs protestant contre les démolitions devant le bureau du KKL/JNF à Jérusalem le 16 octobre 2016. (Flash90)
En particulier, les communautés bédouines du Néguev — la même population marginalisée que le site web allemand prétend soutenir — sont encore régulièrement déplacées pour faire place aux forêts du KKL/JNF. Un des exemples les plus marquants est le village non reconnu d’Al-Araqib, qu’Israël a démoli sans relâche depuis 2010 pour faire place à une forêt du KKL/JNF. Il y a quelques semaines seulement, au milieu d’une monstrueuse tempête hivernale, les forces israéliennes ont jeté dehors les résidents d’Al-Araqib pour la 183e fois.
Le KKL/JNF a vu naître des vagues des protestation contre ses plans pour Al-Araqib et contre d’autres plans de déplacement au cours des années. Cependant, l’organisation « pro-bédouine » et « verte » reste fidèle à son cap et continue à se consacrer à la « rédemption » de la terre par la suppression des habitats non juifs.
Malgré cette réalité, le KKL/JNF continue à jouir de son statut d’organisation caritative en Allemagne. Quels sont les objectifs caritatifs poursuivis officiellement et légalement par le KKL/JNF Allemagne ? La « promotion des soins pour les vieux et les jeunes » ; la « promotion de la coopération pour le développement » ; et, le plus intéressant, la « promotion de l’esprit international, de la tolérance dans tous les domaines de la culture, et l’idée de la compréhension entre les nations ».
En connaissant la vérité derrière la mission réelle du KKL/JNF, il est clair que tant la façade verte, égalitaire, de son site web allemand que ses objectifs caritatifs officiels en Allemagne, sont plus qu’un simple bluff. Ce sont de cruelles moqueries.
Michael Sappir est un écrivain et un responsable de gauche israélien, basé à Leipzig, en Allemagne. Il étudie la philosophie et écrit une rubrique régulière sur Local Call. Twitter: @msappir.
Source : +972
Traduction CG pour l’Agence média Palestine