Israël cherche l’aide des Européens pour faire échouer l’enquête sur les crimes de guerre

Par Maureen Clare Murphy, le 19 mars 2021

Le président israélien Reuven Rivlin et son homologue français Emmanuel Macron à Paris le 18 mars. (Jacques Will / SIPA)

Si les dirigeants israéliens manquent d’autorité morale, cela ne les a jamais empêché d’accuser les autres du même défaut. 

C’est ainsi que le président d’Israël, Reuven Rivlin, a été envoyé à travers l’Europe où il essaie de faire valoir que l’enquête de la Cour Pénale Internationale sur des crimes de guerre supposés en Cisjordanie et à Gaza « est moralement et juridiquement en faillite ».

De même, l’incohérence morale et logique n’a pas empêché Michal Cotler-Wunsh, législateur israélien qui a cherché à conditionner le transfert de doses de vaccin anti COVID-19 à Gaza à des concessions de la part du Hamas, d’accuser la CPI de « politisation ».

Cotler-Wunsh a invoqué une définition discréditée de l’antisémitisme mise en avant par les lobbys qui cherchent à étouffer la critique d’Israël, expliquant que le tribunal cherchait à singulariser l’État juif et à appliquer contre lui un double standard.

Peu importe que la CPI veuille examiner de supposés crimes de guerre perpétrés par les groupes armés palestiniens, comme l’a clairement dit fin 2019 la procureure générale de la Cour en conclusion de son enquête préliminaire de cinq ans.

Une issue tout à fait envisageable de l’enquête de la CPI serait que le tribunal n’inculpe que des individus dans les groupes armés palestiniens.

La CPI s’en remet à des enquêtes internes du pays, là où elles existent, en vertu du principe de complémentarité qui dispose que « les Etats ont la responsabilité première et le droit de poursuivre des crimes internationaux ».

Israël dispose d’un système d’auto-investigation – même s’il est décrit par B’Tselem, association majeure du pays pour la défense des droits humains, comme un mécanisme de blanchiment qui éloigne la direction militaire et politique de toute responsabilité.

La procureure générale de la CPI a déclaré fin 2019 que l’estimation par son bureau « de la portée et de l’authenticité » des procédures nationales d’Israël « reste en cours à ce stade ».

Elle avait cependant « conclu que les cas potentiels concernant des crimes possiblement commis par des membres du Hamas et des GAP [Groupes Armés Palestiniens] seraient actuellement recevables ».

Mais les responsables israéliens n’ont pas laissé des faits ou une analyse sensée se mettre en travers de leur réaction impulsive contre la Cour.

A propos de faits gênants, le père de Cotler-Wunsh est Irwin Cotler, le lobbyiste pro-Israël pris au piège par Justin Trudeau pour avoir voulu réprimer le mouvement de solidarité avec la Palestine au Canada.

« Deux poids, deux mesures »

En rapport avec l’argument du « deux poids, deux mesures », également appelé “double standard”, mis en avant par Cotler-Wunsh et d’autres contre la crédibilité de la Cour, il apparaît qu’elle n’aurait pas enquêté sur les supposés crimes de guerre en Syrie.

Cet argument, lui aussi, découle de l’ignorance des faits.

Alors que la Syrie est signataire du Statut de Rome qui a fondé la Cour, elle n’a pas ratifié le statut ni adhéré à la Cour, et le tribunal international de justice ne peut donc exercer sa compétence territoriale sur ce pays.

Israël n’est pas non plus membre de la CPI, mais la Palestine l’est, et la Cour a lancé son enquête à la demande de cette dernière.

L’année dernière, un panel de juges a affirmé que la Cour avait la compétence territoriale en Cisjordanie et à Gaza.

Benjamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, a immédiatement condamné cette décision, la qualifiant de « pur antisémitisme ».

La CPI peut également exercer une compétence personnelle dans les cas où le ressortissant d’un État membre de la CPI commet des crimes de guerre dans le territoire d’un État non partie.

Le Conseil de Sécurité de l’ONU peut lui aussi éventuellement déroger à sa compétence personnelle et territoriale en soumettant les affaires à la CPI.

Les Etats membres du Conseil de Sécurité ont essayé de le faire pour la Syrie, mais se sont vu opposer le veto de la Russie et de la Chine.

Mercredi, le ministre russe des Affaires étrangères a assuré à son homologue israélien que Moscou, comme Tel Aviv, était « plutôt réfractaire à la CPI ».

Un autre argument avancé par les responsables israéliens, comme par les défenseurs de l’État, est que l’enquête de la CPI ferait du tort au processus de paix, déclaré mort par tout le monde depuis longtemps, excepté ceux dont le salaire dépend du maintien de cette farce.

Malgré cet intérêt supposé pour des négociations avec les Palestiniens, une nouvelle initiative multilatérale pour raviver le processus de paix a été immédiatement stoppée par Israël, a rapporté le mois dernier Axios.

Offensive diplomatique

Au lieu de cela, Israël concentre ses efforts diplomatiques sur les menaces ressenties du Hezbollah, de l’Iran et de la CPI, alors que son président, son ministre des affaires étrangères et son chef de l’armée font une tournée en Europe.

La question de la coopération entre Israël et le tribunal est débattue au sein du gouvernement après l’annonce officielle au début du mois d’une enquête de la CPI.

La lettre de la CPI identifie les trois questions principales sur lesquelles le tribunal a l’intention d’enquêter : l’attaque de 2014 d’Israël sur Gaza ; son entreprise coloniale en Cisjordanie ; et l’utilisation d’une force létale contre les manifestants de la Grande Marche du Retour.

Les médias israéliens ont rapporté que les responsables étaient « inquiets de ce que la CPI puisse déjà commencer à émettre des mandats d’arrêt » dans les mois qui viennent contre d’anciens officiers.

Les responsables israéliens déclarent que certains États membres de la CPI « ont accepté de donner un préavis à Israël sur toute intention d’arrêter » ses citoyens à leur arrivée dans leur pays.

Fournir des informations qui pourraient permettre à des suspects d’échapper à une enquête ou à une arrestation violerait vraisemblablement les obligations qu’ont les États membres selon le statut de Rome de coopérer aux travaux de la Cour.

Cette semaine, des centaines d’associations de défense des droits humains ont exhorté les États membres de la CPI « à soutenir publiquement et à coopérer entièrement » à l’enquête.

Les associations ont exhorté les États « à assurer l’arrestation et le transfert à La Haye des personnes accusées de crimes internationaux ».

Source : The Electronic Intifada

Traduction  J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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