Les Palestiniens s’insurgent contre la police israélienne

Par Majd Kayyal, le 8 avril 2021

Depuis le mois de janvier, le mouvement croissant de protestation d’Umm al-Faham a pris position contre la police israélienne face à leurs pratiques discriminatoires et à leur complicité vis-à-vis de la hausse du crime organisé dans la communauté.

Source : Hirak via Facebook

Ces 20 dernières années, plus de 1700 Palestiniens citoyens d’Israël, hommes et femmes, ont été tués, dont 113 l’année dernière, résultat de la violence et du crime à l’intérieur de la communauté. C’est dans ce contexte qu’un mouvement de protestation en expansion et en évolution est descendu dans la rue à Um Al-Fahem, troisième plus grande ville palestinienne d’Israël. Des milliers de manifestants ont protesté contre le chaos qui déchire le tissu social de 1,6 million de citoyens d’Israël.

Comme dans beaucoup de villes palestiniennes en Israël, les 36000 résidents d’Um Al-Fahem ont eu à subir depuis des années maintenant une terrible situation : usuriers, gangs, trafiquants d’armes, dealers de drogue, vols à main armée, meurtres et fusillades sont devenus la routine quotidienne, faisant de la vie de tous les jours un enfer. Malgré leur agenda social pacifique, le mouvement de protestation – Al-Hirak Al-Fahmawi – a inquiété l’État israélien.

Depuis la mi-janvier, lorsque les manifestations ont démarré, les autorités israéliennes ont essayé de réprimer le mouvement. Les manifestants ont fait face à une extrême brutalité : agressions sur des personnes âgées, hommes et femmes, qui participaient aux manifestations, blessures sur le maire de la ville, large utilisation de balles enrobées de caoutchouc, de grenades assourdissantes et de canons à eau contre des manifestants pacifiques, détention illégale de manifestants et pression exercée sur les organisateurs. En réponse à la brutalité policière, les organisateurs ont réussi à mobiliser nationalement des dizaines de milliers de manifestants du sud au nord du pays.

La coalition locale de mouvements de jeunes et d’organisations sociales et politiques prend solidement position contre les autorités de l’État d’Israël, les tenant pour responsables de cette situation critique. Le mouvement accuse également la politique sioniste coloniale sophistiquée de longue durée contre les Palestiniens. La confiscation historique et systématique de la terre, cause d’une grave crise du logement,  ajoutée à l’appauvrissement, à la fragmentation et à la marginalisation, entre autres méthodes coloniales, a constitué la colonne vertébrale de la violence et du désordre.

Les manifestants accusent par ailleurs les forces de police israéliennes d’avoir une responsabilité directe dans la crise. Les tracts officiels du mouvement, largement distribués dans les manifestations et intitulés « Police : l’Origine de la Crise », expliquent comment l’intervention excessive de la police est devenue la principale méthode d’oppression des Palestiniens, surtout après le soulèvement d’Octobre 2000 où les Palestiniens d’Israël ont activement soutenu la Deuxième Intifada. Le mouvement voit l’installation de postes de police au cœur des villes palestiniennes comme un emblème essentiel des efforts du colonisateur pour surveiller et contrôler. Cette présence policière accroît activement la friction avec la communauté, le taux d’incarcération et le meurtre de citoyens palestiniens par les forces de police.

La position du mouvement, qui représente les idées de la grande majorité des Palestiniens, suggère que les forces de police jouent un rôle central dans la hausse du crime organisé. La police israélienne – entité historiquement hostile à la communauté palestinienne – s’est systématiquement retenue de résoudre les affaires de meurtre ou de tarir les sources d’armes illégales.

D’après le journal israélien Haaretz, seuls 22 % des cas de meurtre qui ont eu lieu dans la communauté palestinienne en 2020 ont été résolus à dater de novembre de cette année, comparés aux 38 % des cas qui ont été résolus dans la communauté israélienne. Cependant, la source principale d’armes utilisées dans les activités criminelles à l’intérieur de la communauté palestinienne, c’est l’armée israélienne elle même ; d’après l’ancien ministre israélien de la sécurité publique, Gilad Erdan, 90 % des armes utilisées dans les crimes qui ont eu lieu dans les districts nord ont été volées à l’armée ou vendues au marché noir par des soldats.

L’intérêt majeur de ce mouvement réside dans sa capacité à redéfinir la lutte contre le crime et la violence à travers une conscience politique solide et sophistiquée. Pendant des années, Israël a essayé de faire passer la situation critique de la criminalité pour un problème issu de « la culture violente des Arabes », comme le formulaient habituellement les responsables israéliens. La principale réussite de ce mouvement consiste à récupérer le discours de la population colonisée en identifiant la politique coloniale d’Israël comme responsable de cette crise.

Cela ne représente pas qu’un simple succès politique contre la propagande d’État israélienne. Comprendre la violence comme un produit de la stratégie coloniale pour éliminer la société autochtone est, en soi, un indicateur de voies possibles vers le changement.

Tout d’abord, le mouvement souligne que l’excès de police, de surveillance ainsi que l’utilisation de la force brutale contre des communautés affaiblies ne seront jamais un outil efficace pour mettre fin à la crise, mais bien les ingrédients d’une recette qui fait gonfler la friction entre les forces de police et la communauté, avec accroissement de la violence policière et des incarcérations et de la criminalisation dans la société.

Encore plus important, comprendre l’infrastructure sociale, économique et politique de la crise de violence nous amène à la conclusion que ce n’est que via les organisations populaires, le bien-être social et la solidarité, et la reconstruction de programmes éducatifs indépendants qu’il sera possible de résister aux stratégies coloniales de fragmentation et d’appauvrissement. En construisant la communauté de l’intérieur, en réduisant les écarts dans cette communauté et en construisant des cadres sociaux alternatifs, les fondements de la criminalité pourront être attaqués. Ainsi, le mouvement de protestation constitue lui-même un organe social alternatif qui ouvre un espace à la population pour imaginer et construire l’avenir de ses rues, de ses villes et de son pays.

C’est un appel plein d’espoir venu de Um Al-Fahem, un appel courageusement lancé face aux barricades qui protègent le poste de police. Affrontant à la fois le crime organisé et les autorités de l’État colonial, une communauté endeuillée se soigne en s’organisant et en protestant.

Source : Huck

Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine

Retour haut de page