Sheikh Jarrah met en lumière le cynisme et la violence du projet colonialiste d’Israël

Par Noura Erakat et Mariam Barghouti, le 11 mai 2021

Des policiers israéliens arrêtent un Palestinien lors d’affrontements sur l’esplanade où se dresse la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, lundi 10 mai. (Ammar Awad/Reuters)

Noura Erakat est juriste spécialisée dans les droits humains et professeur associée à l’université Rutgers. Elle est l’auteur de “Justice for Some: Law and the Question of Palestine”. Mariam Barghouti est une écrivaine et chercheuse palestinienne basée à Ramallah.

Assis tranquillement devant son ordinateur, le sourire aux lèvres, le jeune écrivain palestinien Mohammed El-Kurd se prépare au lancement de son manuscrit le plus récent, “Rifqa”. Il semble à la fois heureux, inquiet et effrayé, tandis qu’il relit ses poèmes et les paragraphes consacrés à sa grand-mère. Elle est morte à 103 ans en défendant sa maison contre des colons israéliens qui s’étaient déjà installés dans une partie de cette maison. El-Kurd semble serrer ses mots au plus près dans sa volonté de voir le souvenir de sa grand-mère, de lui-même, de son ascendance, rester avec lui.

Certains croient qu’on ne perd pas ce dont les traces ont été préservées, mais le calme d’El-Kurd se brise quand nous parlons de son quartier de Jérusalem, Sheikh Jarrah : sa sœur Muna et lui tentent de mettre en lumière les graves violations qui se produisent dans ce lieu où ils risquent une expulsion forcée.

Sheikh Jarrah est pratiquement devenu une zone de guerre où des colons israéliens armés, sous la protection de la police israélienne, terrorisent les résidents palestiniens. Ce sont  précisément ces colons qui ont entrepris de chasser des familles, y compris celle de El-Kurd.

Sheikh Jarrah est le point chaud le plus récent du projet expansionniste d’Israël. Les menaces d’expulsion font partie de ce que les Palestiniens appellent la “Nakba permanente” parce que le départ forcé et l’exil contraint de 80 pour cent de la population indigène de la Palestine historique entre 1947 et 1949 n’ont pas été un événement isolé. C’est la même réalité que nous avons vue à Khan al-Ahmar, et auparavant à Araqib, et c’est ainsi que chaque colonie a été consolidée, de Tel Aviv en 1948 aux colonies plus récentes de Maali Adumim et de Givat Hamatos en Cisjordanie.

La colonisation sioniste est un processus toujours en cours qui a pour but de faire partir les indigènes palestiniens et de leur substituer des sionistes-Juifs. Les expulsions forcées de Jérusalem ont un écho dans toute la Cisjordanie, à Gaza et parmi les Palestiniens qui ont subi un exil forcé dans la diaspora mondiale.

Les colons israéliens, forts du soutien qu’ils reçoivent de la part des États-Unis et du quasi-silence de la communauté mondiale, sont d’une impudence incroyable dans leur campagne de nettoyage ethnique. Un colon a déclaré tranquillement à Muna El-Kurd qui protestait contre le vol de sa maison : « Si je ne la vole pas, quelqu’un d’autre le fera » . Arieh King, maire adjoint de Jérusalem, a été filmé par inadvertance en train de regretter qu’un Palestinien qui avait reçu une balle dans la jambe lors d’une manifestation n’ait pas été touché à la tête. Lundi, la police israélienne a mené une action de commando sur la mosquée al-Aqsa, un des lieux les plus sacrés de l’islam, blessant des centaines de Palestiniens qui avaient essayé de s’abriter à l’intérieur avec des balles à embout caoutchouté et des grenades assourdissantes.

Actuellement une nouvelle génération a recours aux réseaux sociaux, utilisant le hashtag #SaveSheikhJarrah, pour faire de nouveau apparaître au reste du monde la violence sioniste coloniale. Mais quand ce hashtag a commencé à se répandre ces derniers jours sur les plateformes des réseaux sociaux, de nombreux militants ont signalé que leurs posts étaient supprimés ; de plus, des comptes ont été suspendus en masse. La censure manifeste de l’expression protestataire des Palestiniens sur les réseaux sociaux s’insère dans la campagne qui dure déjà depuis des mois pour enjoindre à Facebook  de ne pas répertorier la critique du sionisme comme discours haineux antisémite. De nombreux groupes favorables à Israël essaient d’utiliser des accusations d’antisémitisme sans fondement pour empêcher tout débat sur la Palestine.

À l’occasion de la journée du 15 mai, qui commémore les 73 ans de l’expulsion massive des Palestiniens de villes telles que Haïfa, Tarshiha et Safad en 1948, que le monde soit témoin de ce qui se passe aujourd’hui à Jérusalem. C’est ainsi que l’on crée des réfugiés, c’est notre Nakba permanente. Notre lutte pour la liberté n’est pas une lutte pour un État mais pour notre appartenance à une terre, pour y rester, pour conserver nos maisons, pour résister à l’effacement. Étrangement, le fait de l’appeler par son nom sur les réseaux sociaux, de révéler au monde ce qui se déroule depuis des décennies, semble plus agressif que le déplacement que nous subissons dans la durée, sous la menace d’armes à feu.

On ne peut pas dénier la réalité : c’est du colonialisme de peuplement sioniste, ce processus où un colon s’emparera de notre maison au cas où un autre colon ne le ferait pas. Quand le monde ouvrira-t-il les yeux devant cette injustice et réagira-t-il de façon appropriée ? Nous n’avons pas besoin de nouveaux discours creux sur les deux camps, nous avons besoin de solidarité pour vaincre l’apartheid.

Source : The Washington Post

Traduction SM pour l’Agence média Palestine

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