« Nous manquons à notre devoir » : des journalistes demandent une meilleure couverture de l’occupation israélienne

Par Sheren Khalel, le 11 juin 2021

Plus de 250 journalistes, dont des reporters du Washington Post, du Wall Street Journal et du Los Angeles Times, ont signé une lettre demandant aux médias de cesser d’occulter l’oppression des Palestiniens par Israël.

Une lettre ouverte « écrite par des journalistes et pour les journalistes » demande à l’industrie de l’information de cesser « d’occulter l’occupation israélienne et l’oppression systémique des Palestiniens » dans les médias. 

Publiée mercredi et signée par 250 journalistes travaillant pour certains des plus grands médias du monde, la lettre accuse les médias grand public de « manquer à leur devoir » envers leurs lecteurs et téléspectateurs en raison d’une « faute professionnelle journalistique commise depuis plusieurs décennies », à l’origine d’une désinformation du public sur la réalité de l’occupation israélienne. 

« La quête de vérité et le fait de responsabiliser les puissants sont des principes fondamentaux du journalisme », indique la lettre.

« Pourtant, depuis plusieurs décennies, notre industrie de l’information renonce à ces valeurs dans la couverture d’Israël et de la Palestine. Nous manquons à notre devoir envers notre public avec un discours qui occulte les aspects les plus fondamentaux de l’histoire : l’occupation militaire d’Israël et son système d’apartheid. »

Traduction : « À lire : “Nous manquons à notre devoir envers notre public avec un discours qui occulte […] l’occupation militaire d’Israël et son système d’apartheid. Au nom de nos lecteurs et de nos téléspectateurs – et de la vérité –, nous avons le devoir de […] mettre fin à cette faute professionnelle journalistique commise depuis plusieurs décennies.” »

La lettre appelle les journalistes et les médias d’information à honorer leur « devoir » et à « changer de cap immédiatement » dans leur couverture d’Israël et de la Palestine. 

« Les preuves de l’oppression systémique des Palestiniens par Israël sont accablantes et ne doivent plus être aseptisées », peut-on lire. 

La lettre a été signée par des journalistes d’organes médiatiques tels que le Washington Post, le Wall Street Journal, le Daily Beast, le Texas Observer, Vice News, The Intercept, Jewish Currents, le Los Angeles Times ou encore Condé Nast, groupe américain d’édition détenant des titres majeurs de la presse américaine ou mondiale tels que The New Yorker, Vogue ou Vanity Fair.

Des journalistes dans la tourmente

Tous les signataires n’étaient cependant pas disposés à s’engager publiquement, puisqu’une trentaine de journalistes ont choisi de signer la lettre en indiquant uniquement le nom de leur entreprise, et non le leur. Les organisateurs assurent néanmoins que toutes les signatures ont été vérifiées et sont celles de journalistes ou d’anciens journalistes. 

Selon Sana Saeed, animatrice pour AJ+, ceux qui ont signé sous couvert d’anonymat continuent probablement de faire le « travail difficile en interne dans leur salle de rédaction », tout en respectant les limites de leur contrat et des attentes placées en eux. 

Traduction : « Un événement sans précédent dans l’histoire des médias américains ? Je suis fière de faire partie des plus de 200 journalistes travaillant pour des médias américains qui ont signé cette lettre appelant notre industrie à mieux couvrir la Palestine, l’occupation et le système d’apartheid, en commençant par le vocabulaire employé et les tribunes accordées. »

« En tant que journalistes, avec des contrats, des protections éditoriales, des environnements et une sécurité de l’emploi variables, la lutte contre la complicité des médias dans l’apartheid est un travail constant », a indiqué Sana Saeed sur Twitter. 

Leur décision de signer de manière anonyme est probablement liée au retour de flamme auquel certains membres des médias et d’autres industries ont été confrontés ces dernières semaines pour s’être exprimés au sujet des politiques d’occupation israéliennes. 

Emily Wilder, l’une des signataires de la lettre publiée mercredi, a été publiquement licenciée par l’agence américaine Associated Press (AP) – seize jours seulement après avoir été embauchée comme collaboratrice – en raison de messages pro-palestiniens qu’elle avait publiés sur les réseaux sociaux. Son licenciement n’a pas plu à de nombreux anciens collègues : ainsi, plus de 100 journalistes d’AP ont signé une autre lettre exigeant des réponses de la part de leur employeur. 

Des journalistes australiens se sont également exposés à un retour de flamme après avoir demandé à leurs rédactions d’améliorer leur couverture d’Israël et de la Palestine. 

Publiée fin mai sous le hashtag #DoBetterOnPalestine (« Faites mieux dans votre couverture de la Palestine »), la lettre a recueilli plus de 739 signatures de journalistes, de travailleurs des médias, d’auteurs et de commentateurs.

La direction de deux des plus grandes sociétés publiques australiennes de radiodiffusion – le Special Broadcasting Service (SBS) et l’Australian Broadcasting Corporation (ABC) – a demandé à plus d’une vingtaine d’employés de retirer leur signature de la lettre, selon The Intercept, qui cite les organisateurs de la lettre et la Media, Entertainment & Arts Alliance, un syndicat australien des médias. 

Plusieurs employés des deux groupes ont déclaré s’être vu signifier que leur contrat pourrait ne pas être renouvelé.

Au Canada, une autre lettre a fait des vagues après avoir récolté plus de 2 000 signatures en faveur d’une meilleure couverture médiatique d’Israël et de la Palestine. 

Adressée aux rédactions et aux journalistes, auteurs et étudiants des États-Unis et du Canada, la lettre accuse les médias grand public d’ignorer les voix palestiniennes et le discours palestinien. 

La lettre relève que certains guides de style canadiens « interdisent toujours l’utilisation du mot “Palestine” dans les reportages », mais aussi que seules deux publications canadiennes ont couvert un rapport publié le mois dernier par Human Rights Watch, dénonçant les politiques d’apartheid adoptées par Israël. 

Peu après la publication de cette lettre, les organisateurs ont déclaré à The Intercept qu’ils avaient commencé à recevoir des témoignages de journalistes convoqués par la direction de leur rédaction pour discuter des raisons de leur signature. Selon les organisateurs, au moins trois personnes ont été complètement écartées de la couverture de la région.

Source : Middle East Eye

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