La police israélienne a géré une « salle de torture » à Nazareth, dit une association de défense des droits

Par Dima Abumaria, le 16 juin 2021

Des témoignages récoltés par Adalah révèlent que des policiers ont frappé des détenus et les ont privés de soins médicaux au cours de la répression policière sur les citoyens palestiniens.

Un policier israélien arrête un Palestinien dans la ville de Lydd, au centre d’Israël. (Oren Ziv)

Omaiyer Lawabne retirait de l’argent à une caisse automatique à Nazareth le 11 mai, veille de l’Aïd al-Fitr, la fête célébrant la fin du saint mois du Ramadan, quand les forces de police sont descendues dans cette zone. Non loin de là, des citoyens palestiniens manifestaient contre l’expulsion forcée de familles du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem.

« J’ai immédiatement commencé à m’éloigner, lentement, afin de me mettre à distance, puisque je ne faisais même pas partie de la manifestation », a dit Lawabne, âgé de 21 ans. Il s’est souvenu que certains de ces policiers se sont révélés faire partie des unités spéciales et étaient lourdement armés. « A un moment, j’ai regardé vers la droite et j’ai vu un policier en tenue anti-émeute courir vers moi le poing levé en l’air pour me frapper. » 

Lawabne a voulu s’arrêter et expliquer à la police qu’il n’avait rien fait. Mais avant même qu’il ait pu discuter avec eux, les policiers lui ont lancé des grenades assourdissantes.

« J’ai commencé à courir pour m’échapper, mais un policier m’a frappé à l’œil gauche et je suis tombé par terre »,     dit Lawabne. Plusieurs policiers se sont alors rassemblés autour de lui et ont commencé à le frapper, lui envoyer des coups de pieds et à le tabasser à coups de bottes. Quelques minutes plus tard, deux flics ont traîné Lawabne jusqu’au poste de police de Nazareth où il a à nouveau essayé de les raisonner, sans résultat. Ils l’ont accusé d’avoir jeté des pierres et provoqué des incendies – alors même qu’il n’avait pas pris part à la manifestation.

Au poste, Lawabne a été emmené dans une salle où il a vu d’autres détenus. On les obligeait à s’asseoir par terre, les jambes repliées sous eux et la tête penchée, a-t-il dit. Un policier masqué allait et venait dans la pièce, frappant les détenus qui relevaient la tête avec un objet que Lawabne n’a pas pu identifier – « Je ne pourrais dire si c’était un club ou quelque chose d’autre », a-t-il dit.

Quand les policiers ont poussé Lawabne dans un coin, il a baissé la tête et s’est replié sur lui. « Malgré tout, le même policier m’a frappé rudement la tête avec ce même objet », a-t-il dit.

Lawabne a alors ressenti des vertiges et sa tête a commencé à saigner. Les policiers l’ont obligé à mettre sa tête sous le robinet d’eau. Comme il refusait, et à la place des soins médicaux requis, l’un des policiers lui a dit de la fermer et lui a donné un coup dans l’estomac.

Un policier cloue au sol un Palestinien de Sheikh Jarrah le 4 mai 2021 pendant une veillée contre les expulsions imminentes dans ce quartier. (Oren Ziv)

Quelques minutes plus tard, deux ambulanciers ont examiné la blessure à la tête de Lawabne et ont décidé de l’emmener à l’hôpital. Lorsque l’ambulance est arrivée, le policier qui l’avait frappé à la tête a menti aux ambulanciers sur ce qui s’était passé, déclarant que Lawabne avait été atteint par une pierre lancée pendant la manifestation. A l’hôpital, on a dû recoudre sa blessure à la tête.

Lawabne n’est pas le seul cas : les témoignages d’anciens détenus palestiniens enfermés en mai au poste de police de Nazareth révèlent des agressions endémiques et systémiques de la police israélienne sur des citoyens palestiniens d’Israël, dont des manifestants, des mineurs, des passants innocents, et même des avocats. Les déclarations explicites, recueillies par le centre juridique palestinien Adalah, parmi lesquelles on trouve des maltraitances physiques, verbales et psychologiques, révèlent que des policiers israéliens ont géré une « salle de torture » à l’intérieur du poste de police de Nazareth.

+972 Magazine s’est adressé à l’Unité des Porte-paroles de la Police, les questionnant pour savoir s’ils étaient au courant des maltraitances pratiquées au poste de police de Nazareth et s’ils allaient mener une enquête sur ces allégations, mais ils n’avaient pas répondu au moment de publier ce texte.

Des coups qui s’apparentent à de la torture

Tout au long du mois de mai, la police israélienne a arrêté plus de 1.900 citoyens palestiniens d’Israël à la suite d’un soulèvement des Palestiniens contre la violence de l’État d’Israël à Jérusalem et des attaques collectives dans les villes côtières telles Jaffa, Haïfa et Lydd. Au 24 mai, un porte-parole de la police a dit au New York Times qu’au moins 70 % des personnes arrêtées étaient des citoyens palestiniens.

Adalah a reçu de nombreuses plaintes contre la violence policière exercée entre le 9 et le 14 mai, d’après l’avocat d’Adalah Wesam Sharaf qui a dit que l’organisation avait également noté des contusions, conséquences de coups et de torture, visibles sut les détenus présentés aux tribunaux ces dernières semaines.

Des policiers israéliens bandent les yeux d’un citoyen palestinien d’Israël pendant les manifestations à Lydd, au centre d’Israël. (Oren Ziv)

« Après que beaucoup de ces détenus aient été libérés, nous avons commencé à récolter des témoignages et nous avons rencontré huit personnes qui ont été agressées et détenues au poste de police de Nazareth », a dit Sharaf. « Trois d’entre elles étaient des avocats et une autre était un ambulancier qui a essayé de soigner les détenus malgré l’obstruction de la police. »

Adalah a déposé le 7 juin une plainte officielle auprès de hauts fonctionnaires israéliens pour « graves manquements de la part de la police et des enquêteurs israéliens de Nazareth qui s’apparentaient à de graves infractions pénales », a ajouté Sharaf.

« Les personnes enfermées dans la salle d’interrogatoire sont déconnectées du monde extérieur et ne peuvent contacter personne d’autre que l’enquêteur – ce qui, en soi, est terrifiant », a dit Sharaf. On rapporte qu’au poste de police, les policiers battaient les détenus, les obligeaient à signer des documents et les privaient de tout traitement médical nécessaire – tous actes dont Adalah pense qu’ils s’apparentent à de la torture.

Il y avait aussi des traces visibles de torture sur le corps de citoyens palestiniens présentés au tribunal dans d’autres villes, a fait remarquer Sharaf.

« Ceci nous fait penser que les détenus ont subi des choses similaires dans d’autres postes de police, tels ceux de Haïfa et dans le Neguev », a-t-il ajouté, disant qu’Adalah enquêtera également sur ces cas. « Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau ; ce n’est que la continuation du harcèlement par Israël des citoyens palestiniens d’Israël depuis la Nakba en 1948 », a fait remarquer Sharaf.

Des citoyens palestiniens d’Israël peignent une fresque où est écrit « Palestine » en arabe sur un mur de Nazareth pendant la grève générale des Palestiniens le 18 mai 2021. (Maria Zreik/Activestills)

D’après Itamar Mann, professeur associé  à la Faculté de Droit de l’Université de Haïfa et conseiller juridique au Global Legal Action Network (GLAN) [Réseau Mondial d’Action Juridique], certains des actes décrits dans les affidavits collectés par Adalah peuvent s’apparenter à des traitements inhumains et dégradants, tandis que d’autres atteignent le niveau de la torture – tous en violation de la Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques, qu’Israël a ratifiée en 1991. La Haute Cour d’Israël a officiellement interdit l’utilisation de la torture dans un arrêt historique de 1999.

Cependant, les juges sur l’affaire ont fourni des échappatoires à cette interdiction, autorisant les enquêteurs à continuer d’utiliser la torture en invoquant une « défense de nécessité » vaguement définie. Le système juridique israélien a développé certaines exemptions de responsabilité pour les fonctionnaires qui infligent des traitements inhumains et dégradants aux détenus « quand ceci se passe dans des conditions de ‘bombe à retardement’ », lorsque les informations peuvent empêcher des attaques imminentes, a expliqué Mann. « Supposant que les faits rapportés par Adalah étaient exacts, il est plus que vraisemblable qu’on ne puisse évoquer ce genre de justification dans cette affaire », a-t-il dit.

La torture de Palestiniens par des agents de l’État israélien n’est pas du tout une nouveauté, a dit Mann, et ses racines résident dans le fait qu’Israël a toujours fait preuve d’une certaine suspicion envers ses population non-juives. 

‘Un système incapable de rendre la justice’

L’utilisation par Israël de la torture contre les Palestiniens dans les territoires occupés est « très courante », a dit Tal Steiner, directrice générale du Comité Public Contre la Torture en Israël (CPCTI).

Sous prétexte de prévenir le terrorisme, le Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure d’Israël, utilise des pratiques de torture contre les détenus pour obtenir des informations et prétendument empêcher de futurs actes de terrorisme, a ajouté Steiner. « Mais nous le voyons aussi comme un moyen d’amener des gens devant la justice, avec des confessions forcées, et certaines affaires montrent qu’on utilise la torture en tant qu’outil politique », a-t-elle dit.

Au moins 1.300 plaintes pour torture ont été enregistrées ces 20 dernières années, a dit Steiner, bien que le Shin Bet refuse de donner les chiffres exacts. Cependant, on n’a enquêté que sur deux affaires et pas un seul fonctionnaire du ShinBet n’a jamais été inculpé. « C’est la révélation d’un système incapable de rendre la justice », a-t-elle dit.

« Quand des représentants du CPCTI visitent les centres de détention et rencontrent des détenus palestiniens, nous entendons tous les ans des dizaines d’accusations de torture », a dit Steiner. L’année dernière, le CPCTI a remarqué une forte augmentation de témoignages de torture, a-t-elle ajouté.

Photo illustrative d’un soldat israélien voilant les yeux d’un prisonnier palestinien. (Nati Shohat/Flash90)

D’après Steiner, l’activité du Shin Bet ciblant des citoyens palestiniens d’Israël se limite à des incidents isolés, tandis que le CPCTI a identifié un usage extensif de la torture par la police en Israël. « Nous avons constaté une maltraitance systématique généralisée de la part des policiers contre les personnes arrêtées pendant les manifestations légitimes, ce qui est quelque chose de très inquiétant sur quoi le CPCTI enquête », a-t-elle dit.

‘Je craignais pour ma vie’

Shadi Banna, résident palestinien de Nazareth âgé de 19 ans, participait le 9 mai à une manifestation dans la ville quand la police israélienne est arrivée pour disperser le rassemblement. « Nous nous tenions pacifiquement dans cette marche, clamant et chantant pour exprimer ce que nous ressentions et pour mettre l’accent sur l’injustice mise en place à Sheikh Jarrah, quand soudain, la police israélienne a fait irruption sur place », a dit Banna. « Quand la police a tiré une grenade assourdissante à côté de moi, j’ai du m’enfuir. »

Alors qu’il cherchait à se mettre à l’abri des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes derrière une porte, Banna a été agressé et arrêté par un policier de l’unité mista’arvim, nom des agents israéliens infiltrés déguisés en Palestiniens. « J’ai pensé que c’était un manifestant qui cherchait à s’abriter, et j’ai voulu l’aider, jusqu’à ce qu’il essaie de m’arrêter », s’est souvenu Banna. « Quand j’ai résisté, il m’a cogné la tête contre la poignée de la porte. »

Après que l’agent infiltré l’ait remis à la police, Banna a dit qu’il avait été frappé dans la rue par quatre policiers israéliens. Avec un groupe d’autres manifestants, il a été transféré au poste de police de Nazareth.

« Ma tête a saigné pendant tout le trajet jusqu’au poste de police et il n’y avait aucune assistance médicale », a-t-il dit. Banna ne savait pas de quoi on l’accusait. « Ils arrêtaient les gens au hasard, juste pour interrompre l’activité », a dit Banna.

Au poste de police, Banna a été à nouveau maltraité, verbalement et psychologiquement. « Nous étions retenus dans une pièce avec deux policiers qui nous empêchaient de parler entre nous et n’arrêtaient pas de nous harceler et de nous agresser, malgré ma blessure à la tête », a raconté Banna. « Ils nous ont humiliés et nous ont traités de mouches chaque fois qu’on essayait de dire quelque chose. »

Dans la salle d’interrogatoire, on n’a même pas posé des questions à Banna. Par contre, l’enquêteur israélien a marchandé avec lui pour qu’il signe un document d’assignation à résidence ou qu’il retourne dans la même cellule avec les autres détenus jusqu’à nouvel ordre, sans recevoir le moindre traitement médical.

« J’ai été indirectement obligé de signer le document, sinon je n’aurais pas pu aller à l’hôpital pour faire soigner ma blessure », a dit Banna. « J’ai dit à l’enquêteur que je n’arrivais pas à me concentrer ni à lire ce qui était écrit, mais à la fin, j’ai dû signer, parce que je craignais pour ma vie. »

« En tant que citoyen palestinien d’Israël, on ne me garantit pas les mêmes droits qu’aux citoyens juifs ; je ne me sens pas en sécurité », a raconté Banna. « J’ai le sentiment que la police israélienne n’est pas là pour nous protéger et nous sauver, mais pour nous détruire, nous opprimer et nous réduire au silence. »

Dima Abumaria est une journaliste palestinienne qui a plus de six ans d’expérience dans le journalisme et la communication. Mme. Abumaria est diplômée en Sciences Politiques et en Journalisme de l’université de Birzeit à Ramallah. Ces quatre dernières années, Mme. Abumaria a travaillé comme correspondante pour les Affaires Arabes depuis la Cisjordanie et Israël pour une agence de presse américaine. En plus, elle a participé à la coordination et à l’organisation de visites de délégations de personnalités en Cisjordanie et en Israël, afin de les informer sur le conflit sur le terrain. Mme. Abumaria a travaillé auparavant dans le département de presse de Sky News Arabia, où elle était responsable du téléscripteur des nouvelles et des dernières nouvelles. Elle a également participé à la production de nouvelles et de matériel pour la télévision.

Source : +972 Magazine

Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine

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