Ce que les soldats israéliens ne démolissent pas le jour, les colons le brûlent la nuit

Par Ali Awad, le 20 juillet 2021

La violence des colons rend impossible de vivre de la terre, comme ma famille le faisait depuis des générations. Cela fait partie de la stratégie d’Israël pour nous forcer à partir.

Des Palestiniens dans le village de Tuba, dans les collines au sud d’Hébron devant leurs bottes de foin qui brûlent, incendiées par des colons, le 1er juin 2021. (avec la gracieuse permission de Jaber Awad)

Le 1er juin, des colons israéliens ont attaqué le village de Tuba, en Cisjordanie occupée, et ils ont brûlé tout le foin que ma famille avait acheté pour nourrir nos moutons. Cette nourriture, qui était censée durer une année pleine, a été brûlée en seulement deux heures.  

La violence des colons n’est qu’une partie de la stratégie coloniale de l’occupation pour s’emparer de notre terre. L’armée israélienne démolit nos maisons pendant la journée, et les colons détruisent nos moyens d’existence pendant la nuit.

Alors que j’étais là, à regarder le feu, je me suis senti isolé, impuissant, et opprimé. Si j’étais soulagé que ma famille soit sauve physiquement, émotionnellement nous étions anéantis. Nous étions terrifiés. Nous nous étions précipités pour empêcher le feu de se propager à davantage de foin, pour nous assurer que nos enfants et nos moutons étaient en sécurité, et pour essayer de sauver ce que nous pouvions.

Il a fallu deux heures et demie aux pompiers palestiniens pour arriver, alors que la caserne de pompiers la plus proche n’est qu’à quelques kilomètres. Le camion de pompiers a eu du mal à rouler sur le chemin délabré qui conduit à Tuba, où nous vivons, car l’armée israélienne ne nous autorise pas à entretenir les routes qui mènent à notre communauté dans les collines au sud d’Hébron.

Ce matin, nous avions peur pour notre avenir. Nous n’avons plus de nourriture pour nos moutons, et pas d’argent non plus pour en acheter d’autre. Le feu a détruit 41 balles de foin, d’une valeur d’environ 7000 dollars (environ 6000 euros).

Les moutons constituent notre moyen de subsistance et notre seule source de survie dans la Zone C en Cisjordanie, qui se trouve entièrement sous le contrôle de l’armée israélienne et se situe dans le secteur qui a été désigné par l’armée comme « zone de tir 918 ». À mesure que les colonies de peuplement s’étendent et se rapprochent de nos communautés, il devient pour nous impossible de conserver nos modes traditionnels de vie à partir de la terre. Cependant, sous occupation, Israël nous empêche également de développer toute autre forme d’économie.

Des colons juifs israéliens ont installé Ma’on au début des années 1980, et c’est au début des années 2000 que cette colonie de peuplement s’est étendue, quand l’avant-poste de Havat Ma’on a été construit à seulement un kilomètre de Tuba. Depuis lors, les colons se sont emparés de la majorité de nos pâturages qui appartiennent à des villages palestiniens de la région.

L’armée et les colons semblent travailler en tandem pour nous voler nos ressources. Les soldats prennent nos terres sous le couvert de la sécurité, pour ensuite les donner aux colons afin qu’ils établissent des avant-postes agricoles. Ce n’est pas un hasard. L’expansion et la violence des colons ont lieu sous la protection de l’armée et avec un soutien juridique. Qu’il s’agisse d’une zone de tir, ou de se servir des lois ottomanes obsolètes pour prendre le contrôle de vastes étendues de terre qui sont ensuite déclarées terres d’État, la coopération entre colons et armée est totale.

Des soldats israéliens retiennent un Palestinien alors qu’ils démolissent des hangars appartenant à des Palestiniens, dans les collines au sud d’Hébron, le 12 juin 2019. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

Depuis l’implantation de Havat Ma’on, la zone entre Tuba et l’avant-poste est le lieu habituel de harcèlements par les colons et les militaires. Nous avons continué à y faire paître, malgré le harcèlement et la violence, et le risque de se faire arrêter et blesser. Pourtant, au début de l’année, Ma’aon s’est à nouveau étendue avec un nouvel avant-poste, ce qui nous empêche d’accéder aux villages voisins de Kharuba et Sarura, où nous avons des pâturages réguliers.

Du fait de ne plus avoir accès à ces zones de pâturage, la seule façon pour nous de rester en vie et dans nos maisons, c’est d’acheter des aliments pour animaux à la ville et de les transporter au village. Au cours des dix années passées, nous avons dû acheter des balles de foin pour compléter nos pâturages. Mais en raison de l’expansion de Havat Ma’on sur notre terre, c’est la première année où nous devons acheter des balles de foin si tôt dans la saison.

Mon grand-père et mon père se souviennent qu’ils emmenaient leurs moutons paître librement avant que les colonies de peuplement ne soient construites ici. Ils m’ont raconté qu’ils n’avaient jamais eu besoin d’acheter la moindre nourriture sur les marchés, et que la terre subvenait suffisamment aux besoins de la famille pour qu’elle y vive. Mais maintenant que nous avons perdu l’une de nos dernières zones de pâturage, les bénéfices sur les produits que nous fabriquons à partir du lait de brebis, et qui sont censés être notre gagne-pain, seront dépensés simplement pour garder nos moutons en vie.

Ce qui s’est passé cette nuit de juin n’est pas un incident isolé ; la violence des colons n’est qu’une partie de la stratégie coloniale d’Israël pour nous forcer à quitter notre terre. Si ce n’est pas du nettoyage ethnique, qu’est-ce que c’est ?

Ali Awad est un militant du village de Tuba dans les collines du sud d’Hébron.

Source : +972 magazine

Traduction BP pour l’Agence média Palestine

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