Les logiciels israéliens NSO et Pegasus représentent un danger actuel clair pour la démocratie dans le monde

Par Eitay Mack, le 21 juillet 2021

Le logiciel espion Pegasus de NSO, une cyber-arme permettant le terrorisme d’État contre la société civile, a indigné le monde entier. En Israël, c’est la complicité – ou l’indifférence totale – qui prévaut.

« La violation du droit des colons israéliens à la crème glacée » : L’ »outrage » de Ben & Jerry’s est ce qui obsède la plupart des médias, du gouvernement et du public israélien depuis 24 heures, tandis que dans le reste du monde, les journaux font leurs gros titres sur la complicité de la société de surveillance israélienne NSO dans la persécution politique de journalistes, d’avocats, de politiciens et de militants des droits Humains.

Depuis 2017, lorsque l’implication du groupe NSO dans la persécution politique au Mexique a été exposée, il y a eu un flux constant d’enquêtes dans le monde entier sur ses autres violations des droits humains, et tous les quelques mois, de nouvelles conclusions ont été publiées.

Et en Israël, il y avait, et il y a toujours, une indifférence générale, tant sur la place publique que dans la sphère politique.

Une explication charitable de cette indifférence en Israël serait fondée sur la croyance (erronée) qu’il s’agissait de cas isolés, exceptionnels, ou que les publications qui ont révélé les méfaits étaient intrinsèquement « anti-israéliennes ».

Mais même aujourd’hui, alors que le flux d’informations sur le logiciel de NSO s’est transformé en tsunami, en particulier son logiciel espion Pegasus (dont on pense qu’il a été acquis par de nombreux gouvernements autoritaires comme arme espionne pour cibler les opposants politiques, les journalistes et les militants des droits de l’Homme), la décision de Ben & Jerry de cesser de vendre ses produits dans les territoires occupés reste le sujet le plus discuté en Israël – et celui qui déclenche la plus forte indignation.

Peut-être n’y a-t-il jamais eu de raison d’attendre autre chose d’un État qui se définit comme démocratique mais qui, depuis 54 ans, tient des millions de Palestiniens en otage de ses caprices.

Après 12 ans de mandat de Benjamin Netanyahu en tant que Premier ministre, au cours desquels les militants des droits de l’Homme et les membres de la Knesset ont été traités de partisans du terrorisme, les journalistes critiques considérés comme des ennemis du peuple et les électeurs de gauche comme des traîtres, pourquoi le public israélien, qui s’est habitué à considérer les voix dissidentes comme des ennemis, se soucierait-il de ce qui arrive aux journalistes en Azerbaïdjan, en Inde ou en Hongrie ?

Si Israël maintient des centaines de Palestiniens en détention administrative, sans procès tout le temps, pourquoi y aurait-il un tollé si les nouveaux amis saoudiens et rwandais utilisent un système du groupe NSO, né et élevé en Israël, pour incriminer des militants de l’opposition afin qu’ils pourrissent ensuite en prison ?

Le Premier ministre israélien Naftali Bennett, son ministre des Affaires étrangères et d’autres ministres ont décidé qu’il était urgent et essentiel de condamner dans une vague démagogique unifiée la décision de la marque de crème glacée et ont même affirmé, implicitement ou explicitement, qu’elle alimentait l’antisémitisme et le terrorisme.

Mais ils conservent tous le droit de garder le silence sur l’octroi par le ministère de la Défense de licences à NSO, qui servent en pratique de licences pour le terrorisme d’État contre la société civile dans le monde entier.

Même le Meretz, le parti qui a traditionnellement défendu les droits de l’Homme, a perdu sa voix. Aujourd’hui installé au gouvernement après 20 ans d’exil dans l’opposition, avec deux portefeuilles gouvernementaux importants et une représentation au sein du cabinet des affaires étrangères et de la sécurité nationale, le parti feint désormais l’innocence, ou l’ignorance, et préfère rester muet plutôt que de s’inquiéter d’une question « mineure » telle que les droits de l’Homme.

Le Meretz a adopté le pragmatisme machiavélique du ministère de la Défense, qui, en accordant des licences au groupe NSO, donne la priorité au soutien d’alliés douteux afin d’annuler les résolutions défavorables à Israël dans les forums mondiaux – au mépris des droits de l’Homme et du droit international.

C’est un déclin lamentable pour un parti qui a un jour amené la Knesset à réfléchir à sa conscience morale, en proposant de modifier la loi de 2007 sur le contrôle des exportations de défense pour y inclure une interdiction d’exporter des biens ou des services qui pourraient être utilisés pour violer les droits de l’Homme. L’actuelle ministre Tamar Zandberg avait jadis déposé une requête visant à révoquer la licence d’exportation du groupe NSO vers le Mexique.

Mais maintenant, le Meretz se contente d’une demande de « clarification » de la part du ministre de la Défense Benny Gantz. Pourquoi ne pas exiger que Gantz gèle immédiatement toutes les licences d’exportation de NSO ? De quelles autres clarifications Meretz a-t-il besoin ? Le Meretz irait-il demander au ministre des sciences des « clarifications » quant à savoir si la Terre est ronde ?

Deux requêtes ont été déposées devant les tribunaux concernant les licences d’exportation de NSO. Une ordonnance de bâillonnement a été émise dans la décision du tribunal du 20 mars 2018 sur l’exportation du système de l’entreprise au Mexique. La présidente de la Cour suprême israélienne, la juge Esther Hayut, et les juges Yosef Elron et Menachem Mazuz, qui ont entendu la requête, ont approuvé la publication du seul fait qu’ils avaient rejeté la requête visant à bloquer les ventes au Mexique.

La juge Rachel Barkai, qui a entendu une autre requête suite à la révélation par Amnesty International d’une tentative d’attaque de l’un de ses membres avec le logiciel espion Pegasus, ne s’est pas contentée de la rejeter, mais a choisi, dans son jugement du 12 juillet 2020, de rendre un hommage gratuit au ministère de la Défense pour son respect des normes en matière de droits de l’Homme lors de l’octroi de licences d’exportation de matériel de défense.

Le système judiciaire israélien a ainsi manqué plusieurs occasions d’empêcher le NSO et le ministère israélien de la Défense de devenir un danger réel et actuel pour la démocratie dans le monde entier.

Il y a deux semaines, les juges de la Haute Cour Alex Stein, David Mintz et Anat Baron ont rejeté une requête visant à révoquer une licence d’exportation vers la Russie accordée par le ministère de la Défense au système Cellebrite, qui a été utilisé pour pirater les téléphones portables des militants de l’organisation anti-Poutine et anti-corruption d’Alexei Navalny.

Les juges sont allés encore plus loin, bloquant toute nouvelle requête sur la question, en décidant que la politique d’exportation de la défense, en tant que prérogative de l’État, n’est pas soumise à un contrôle judiciaire – sauf dans des cas extrêmes « impliquant un abus d’autorité, un conflit d’intérêts ou une conduite extrêmement déraisonnable. » Il n’est plus clair qu’il existe une voie passant par les tribunaux israéliens pour lutter contre la vente de cybertechnologies à des régimes répressifs.

Seul l’avenir nous dira si l’escalade de la pression internationale parviendra à modifier la politique d’exportation de défense de l’État d’Israël pour l’armement des logiciels espions, pas plus que la pression internationale ne contribue à mettre fin à l’occupation. Il est clair que l’expérience passée n’incite pas à l’optimisme, quel que soit le contrecoup généré par les révélations de Pegasus.

Source : Haaretz

Traduction AFPS

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