Par Philip Weiss, le 26 juillet 2021
La semaine dernière, un consortium d’enquêteurs dans lequel se trouvaient des journaux et Amnesty International a révélé que les téléphones portables de militants des droits de l’homme, de journalistes et de dissidents avaient été piratés par des gouvernements autoritaires et autres mauvais joueurs qui utilisaient des logiciels espions du commerce. La couverture initiale a minoré le fait que le fabricant du logiciel espion, NSO Group, est situé en Israël. (J’ai cité les rapports de PBS et NPR qui ont à peine évoqué ce fait.)
Bon, maintenant, l’angle israélien est une grande nouvelle. Le logiciel espion s’avère être un embarras international pour le pays. Ou, comme nous l’a dit aujourd’hui Omar Barghouti, à la tête de la campagne de boycott : « Au yeux de la majorité de l’humanité aujourd’hui, au lieu de son image absurde et autoproclamée de ‘Start-up Nation’ (championne du démarrage), Israël est perçu comme une Spy-up Nation (championne de l’espionnage), comme l’a appelé le mouvement BDS. »
Le Washington Post rapporte que le ministre israélien de la Défense a approuvé les ventes du logiciel espion, et le scandale a mis un « coup de projecteur » sur l’industrie de surveillance israélienne hors de contrôle :
« Le pays est le siège de NSO Group ainsi que d’autres sociétés de logiciels espions, dont Candiru, que Microsoft a accusée la semaine dernière de vendre des outils pour pirater chez Windows », ont écrit David Kaye et Marietje Schaake dans un article du Washington Post. « Il est essentiel qu’Israël maîtrise son secteur de logiciel espion et rejoigne les nations démocratiques en repoussant la prolifération de technologies qui fonctionnent comme des services de renseignements commerciaux. »
Et il met un coup de projecteur sur le dossier israélien de violation des droits de l’homme, poursuit Ishaan Tharoor du Post :
Pour certains défenseurs, ce n’est pas une coïncidence si la technologie israélienne s’est répandue dans des pays dotés de gouvernements peu libéraux. « Si Israël détient des centaines de Palestiniens en détention administrative, toujours sans procès, pourquoi y aurait-il la moindre protestation si ses nouveaux amis l’Arabie Saoudite et le Rwanda utilisent un système NSO, né et développé en Israël, pour incriminer les militants de l’opposition afin qu’ils pourrissent alors en prison ? », a écrit l’avocat des droits de l’homme Eitay Mack dans le quotidien de gauche Haaretz.
Il ne s’agit pas que d’articles critiques. Le président français Emmanuel Macron a demandé au nouveau premier ministre d’Israël d’enquêter sur les allégations « comme quoi son téléphone et ceux de la plupart des membres de son cabinet auraient pu être infectés par [le logiciel espion] Pegasus ».
« La pression diplomatique sur Israël s’accentue », rapporte le Guardian (qui faisait partie du consortium qui a révélé l’histoire). Il dit que le ministère israélien de la Défense a « nommé une commission d’étude » pour examiner les ventes.
Il fait peu de doute que, comme le dit Barghouti, le scandale NSO ajouté au boycott des crèmes glacées dans les colonies par Ben & Jerry soient des signes d’une nouvelle image d’Israël à l’international. Non pas la Startup Nation, mais la nation d’apartheid militarisée. C’est un glissement qui inquiète beaucoup d’amis d’Israël et de dirigeants. Et que la campagne non-violente BDS a fait connaître. Et même le Washington Post s’engage dans cette action !
Ce qui nous conduit à la réaction de colère et de victimisation du maître du logiciel espion. Shalev Hulio, PDG de NSO Group, dit que BDS a animé le consortium qui a enquêté sur NSO et que BDS est également le moteur du boycott de Ben & Jerry.
« Quelqu’un a décidé de nous marcher sur la tête », a dit Hulio dans une interview en hébreu pour le journal de Sheldon Adelson, Israel Hayom. Vice News a une traduction. Hulio :
« On dirait que quelqu’un a décidé de nous marcher sur la tête… Il y a une attaque générale sur [l’industrie cybernétique d’Israël]. Après tout, il existe tellement de sociétés de renseignement cybernétique dans le monde, mais tout le monde ne se focalise que sur les israéliennes. Pour constituer un consortium de journalistes venus du monde entier comme celui-ci et y faire entrer Amnesty – il semblerait qu’il y ait une main délibérée là derrière. »
Interrogé sur quelle main exactement, Hulio a précisé :
« Je pense qu’il s’agit finalement soit du Qatar, soit de BDS, soit des deux », a-t-il dit. « Finalement, c’est toujours les mêmes entités. Je ne veux pas sembler cynique maintenant, mais il y a ceux qui ne veulent pas [qu’Israël] importe des crèmes glacées ou exporte des technologies. »
Hulio a dit que ce n’est pas une coïncidence si deux autres sociétés israéliennes de surveillance font l’objet d’une enquête ou sont ciblées par des associations de défense des droits de l’homme. « C’est juste illogique que tout cela arrive en même temps », a-t-il dit.
Le rapport de Vice montre combien il est absurde de dire qu’Israël est pointé du doigt par une conspiration – quand il y a eu des scandales liés aux logiciels espions impliquant plein d’autres pays.
Là où Hulio semble juste, à mon avis, c’est en disant qu’Israël fait finalement face à un contrôle pour sa conduite. Le « cycle d’impunité » d’Israël doit prendre fin, a dit plus tôt cette année Amnesty International quand elle a soutenu l’enquête de la Cour Pénale Internationale sur les crimes de guerre israéliens dans les territoires occupés, y compris les colonies.
Barghouti sent aussi que l’ère de la responsabilité s’est ouverte. Il a partagé cette déclaration avec Vice, ainsi qu’avec nous :
« NSO Group d’Israël est maintenant révélé au monde comme profondément impliqué dans de très graves crimes et de sévères violations des droits de l’homme dans le monde entier, dont il est, comme on pouvait s’y attendre, désespérément engagé à détourner l’attention en fabriquant de pathétiques théories de conspiration.Les technologies des logiciels espions et de l’armée sont testées sur le terrain sur les autochtones palestiniens sous occupation et apartheid israéliens, puis exportées dans le monde en tant qu’outils de répression de crimes de guerre. Il est temps que le monde tienne l’Israël d’apartheid pour responsable, comme l’a été autrefois l’Afrique du Sud, et pas uniquement pour le bien des Palestiniens, mais aussi pour le bien de la paix et de la justice mondiales. »
Dans encore un autre signe du paysage en mutation pour BDS, un politique de New York ne veut pas participer aux efforts d’Israël pour punir ses critiques à l’étranger. Brad Lander, probablement le prochain contrôleur de NYC, dit que le boycott de Ben & Jerry n’est officiellement l’affaire de personne à New York, malgré les efforts du lobby israélien pour sanctionner la société mère Unilever par des initiatives de désinvestissement de divers financements d’État selon la législation anti-BDS. Lander :
Les sociétés qui décident de ne pas travailler dans les colonies ne présentent pas de risques pour les fonds de pension de New York. Par contre, la poursuite de l’occupation présente de sérieux risques pour les Israéliens, les Palestiniens et ceux qui s’intéressent à eux.
Rebecca Vilkomerson dit que les temps changent :
Très heureuse de voir @bradlander, prochain contrôleur de NYC (et mon représentant au Conseil Municipal jusqu’en janvier !) prendre cette position. Peut-être la première fois qu’un élu à l’échelle de la ville de NYC a pris publiquement une position anti-occupation ? Les temps changent.
Source : Mondoweiss
Traduction J. Ch. pour l’Agence média Palestine