Les tentatives israéliennes pour réprimer l’action en faveur des droits humains doivent échouer

Par Amjad Alqasis, le 20 août 2021 

Israël n’argumente plus concernant le contenu des rapports ou allégations sur les droits humains. Désormais il attaque les organisations de défense des droits humains elles-mêmes.

Dans le monde entier, les restrictions contre les organisations de la société civile s’accroissent et les contrecoups sur leur action deviennent en bien des lieux de plus en plus évidents. Ces restrictions peuvent prendre la forme de lois, de politiques, de pratiques étatiques, de décisions administratives, d’arrestations, de jugements, ou d’incitations. En dernière instance, leur but est de réduire au silence l’expression de toute critique et ceux qui les formulent. On parle au sujet de ces tentatives de Rétrécissement des espaces : il s’agit d’entraver ou d’éliminer la liberté ou la marge d’action de la société civile. Dans certaines régions, cette stratégie a pour effet qu’aucune société civile indépendante n’existe plus et qu’il ne subsiste que des porte-voix de l’État prenant la forme d’organisations non-gouvernementales. 

Les organisations de la société civile (OSC) palestiniennes font face à des difficultés croissantes dans leur travail en raison d’un climat de contraintes, de restrictions et d’obstacles. Pendant que l’Autorité palestinienne adopte des lois et politiques visant à contrôler ces organisations et à fragiliser leur indépendance, Israël continue à attaquer les OSC, en particulier les organisations de défense des droits humains, à saper leur crédibilité et à assécher leurs sources de financement. Les restrictions subies ont un caractère différent en fonction du contexte géographique, du type d’organisation et de la nature de leur travail. Israël ne tolère aucune objection à son système de contrôle et s’efforce de réduire au silence les OSC qui défendent le droit international et les droits des Palestiniens.

Les mesures imposées par Israël aux Palestiniens, notamment les restrictions de la liberté de circulation, le mur de ségrégation et le régime de permis qui lui est associé, le siège de la Bande de Gaza, la restriction de l’accès à la Zone C et à Jérusalem-Est, limitent l’action et la capacité opérationnelle des ONG palestiniennes. 

Autorités palestiniennes

L’Autorité palestinienne (AP), elle aussi, menace la liberté d’expression en Cisjordanie par ses pratiques et sa législation. Par exemple, la loi de 2017 sur la cybercriminalité restreint considérablement l’espace civil, politique et social sur les réseaux sociaux et sur l’internet. Les arrestations de journalistes, d’activistes et de membres de l’opposition continuent à avoir lieu. Selon un rapport de Human Rights Watch (HRW), des manifestations pacifiques sont dispersées violemment. L’augmentation récente des violences et de la répression contre les protestataires dans toute la Cisjordanie au printemps 2021, y compris l’homicide illégal d’activistes par les forces de sécurité de l’AP, constitue selon Al Haq une grave régression sur le plan des libertés et des droits publics. De plus, l’action législative de l’AP prend la forme de décrets présidentiels qui sont promulgués sans le moindre débat et sans la moindre transparence. L’indépendance de la justice a elle aussi été limitée par des décrets durs [1] qui ont forcé les 35 juges de la Cour suprême palestinienne à se retirer [2]. En l’absence d’un Conseil législatif palestinien opérationnel, une telle décision a un grave impact sur les principes démocratiques et la séparation des pouvoirs. À Gaza, le Centre palestinien pour le développement et les libertés des médias a recueilli des éléments sur 113 violations du fait des autorités palestiniennes en 2019, y compris des cas d’arrestation ou de placement en détention de journalistes, ce qui a créé une atmosphère d’intimidation et de restriction de l’opinion publique.

Campagnes israéliennes de diffamation et d’intimidation 

L’Institut pour les affaires internationales et de sécurité, un groupe de réflexion allemand, a mis en garde dès 2017 contre “les lois restrictives et les campagnes massives de calomnie et d’intimidation” contre les individus et les institutions qui critiquent les politiques d’Israël dans les TPO. Ces dernières années, il y a eu des campagnes agressives contre des organisations de défense de droits humains orchestrées par des politiciens ainsi que par des groupes de réflexion et des ONG situées politiquement à droite. Les organisations correspondantes en Israël ont été qualifiées de traîtres, de collaborateurs, de terroristes et d’agents de l’étranger, et dans certains cas elles ont fait l’objet de lourdes menaces.

Le Policy Working Group (Groupe de travail sur les politiques), composé d’anciens diplomates et d’universitaires israéliens, écrit dans une analyse publiée en septembre 2018 que ces ONG de droite ont pour “objectif  principal  […] de  défendre et soutenir les politiques gouvernementales qui contribuent au maintien de l’occupation et du contrôle israélien des Territoires palestiniens […] en fournissant  aux  ministères et  missions diplomatiques israéliens des informations tendancieuses qui portent préjudice aux ONG israéliennes et palestiniennes, et incitent le gouvernement à faire pression sur ses homologues européens pour suspendre leurs financements.”*

Deux stratégies se dégagent : premièrement, la diabolisation des ONG qui soutiennent le mouvement Boycott – Désinvestissement – Sanctions (BDS) et la volonté d’influencer les gouvernements et parlements européens pour qu’ils retirent totalement leur soutien financier. Deuxièmement, diffamer les ONG palestiniennes en mettant en avant des accusations relatives aux liens de ces organisations avec le terrorisme, sans fournir d’éléments de preuve substantiels étayant ces affirmations. Ces accusations sont en fait fondées essentiellement sur des informations répétitives et trompeuses, des recherches sélectives, et la culpabilité par association. Les rapports du Rapporteur spécial des Nations unies “sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967” évoquent de façon alarmante “une atmosphère d’intimidation, de menaces et d’arrestations de défenseurs des droits de l’homme et d’acteurs de la société civile par Israël.”

Dans plusieurs cas, l’armée israélienne a lancé des raids et s’est livrée au vandalisme au siège d’ONG palestiniennes, confisquant des ordinateurs, des documents et de l’argent liquide, les exemples les plus récents ayant eu lieu en juin et en juillet 2021. Amnesty International avait déjà indiqué en 2019 que les actes d’intimidation perpétrés par les autorités israéliennes contre des organisations de la société civile en Israël et dans les TPO s’étaient intensifiés spectaculairement au cours des années précédentes. La société civile, selon Amnesty, subit des attaques incessantes au moyen de lois restrictives et de pratiques étatiques, accompagnées de campagnes de calomnies visant à délégitimer l’action en faveur des droits humains.

Législation israélienne anti-démocratique 

Des opérations d’utilisation de la législation pour restreindre le champ d’action des organisations qui critiquent le gouvernement et l’occupation en Israël sont menées depuis plusieurs années. Dès 2016, la prétendue “Loi pour la transparence” a été promulguée, ce texte étant essentiellement dirigé contre les critiques de l’occupation israélienne. Cette loi impose aux associations israéliennes sans but lucratif dont les fonds proviennent à plus de 50% d’“entités politiques étrangères” de déclarer ce fait dans tous les documents publiés et toutes les communications publiques. Cette loi est considérée comme un élément clé de la campagne de calomnies contre les organisations qui œuvrent en faveur des droits humains, présentant celles-ci comme des agents de gouvernements étrangers, au service d’intérêts étrangers. En supplément de la longue histoire israélienne de refus d’entrée aux délégations internationales pour les droits humains, aux défenseurs des droits humains et aux experts de l’ONU en matière de droits humains, la loi de 2017 sur l’Entrée en Israël, suite directe de la loi israélienne sur le boycott, habilite le ministre de l’Intérieur à refuser un visa d’entrée à tout ressortissant étranger qui  a appelé publiquement à un boycott contre l’État d’Israël (y compris les TPO), ou qui a l’intention de participer à une activité de cet ordre. Sur la base de ce texte, la secrétaire générale adjointe du Conseil œcuménique des Églises (COE), entre autres, s’est vu refuser l’entrée. La décision prise en 2019 par la Cour suprême israélienne de confirmer l’expulsion d’Omar Shakir, directeur de Human Rights Watch, invoquait également des liens supposés avec le mouvement BDS.

Depuis 2000, Israël a imposé la fermeture de plus de 42 institutions palestiniennes à Jérusalem-Est, sous des prétextes variés allant d’une affiliation politique “illégale” au non-paiement de factures. Depuis l’adoption de la loi “ antiterrorisme” par la Knesset en 2016, les autorités israéliennes ont mis en œuvre une répression plus sévère et plus ample envers les institutions et organisations de la société civile palestiniennes. La loi contient des dispositions de la loi d’urgence et, comme le souligne Adalah, a pour but de “réprimer la lutte des citoyens palestiniens d’Israël et de Jérusalem-Est, et de réprimer leurs activités politiques en soutien aux Palestiniens vivant sous l’occupation en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.” Cette loi autorise l’État à utiliser des “preuves secrètes” à grande échelle lors d’un procès et rend difficile de répondre pleinement à ces chefs d’inculpation. De plus, la loi élargit la définition des “activités terroristes” pour y inclure “l’expression publique d’un soutien ou d’une sympathie à l’égard d’organisations terroristes”. En d’autres termes, elle interdit toute expression politique palestinienne à l’intérieur d’Israël puisqu’elle considère les partis politiques palestiniens comme des organisations terroristes.

La société civile doit être protégée

Le rétrécissement systématique de l’espace de la société civile israélienne par le gouvernement israélien est mis en lumière par le rapport de 2019 publié par le Fonds israélien des défenseurs des droits humains. Cette étude cite en tant qu’éléments clés “les campagnes d’incitation et de calomnie, la législation, la pénalisation, l’isolement imposé aux organisations locales de défense des droits humains, la réduction de l’espace public, la violence, et la restriction de l’indépendance de la justice”. En 2021, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains a publié son rapport, Target Locked, qui décrit les diverses campagnes menées par Israël pour réduire au silence les organisations de la société civile ayant un point de vue critique.

La restriction délibérée de la marge de manœuvre accordée à la société civile, les menaces de violence physique, la diffamation orchestrée par les organes de l’État israélien, les organisations liées au gouvernement et les acteurs anonymes, tout cela a été étudié largement par différentes organisations, comme on l’a montré plus haut. Les campagnes de diffamation ont souvent pour but de détourner l’attention de l’occupation militaire prolongée en plaçant une prétendue menace existentielle contre Israël au centre du débat international et en qualifiant automatiquement d’antisémite toute critique d’Israël. Ce comportement israélien agressif envers des organisations de la société civile qui portent des critiques dans le respect des principes est de plus en plus menaçant. Israël a cessé depuis des années de discuter du contenu effectif des rapports ou allégations en matière de droits humains mettant en cause sa propre conduite. La stratégie d’Israël consiste simplement à attaquer la réputation des organisations. La société civile doit réagir à ces attaques par la mobilisation des alliés et la formulation d’une contre-stratégie. La société civile, globalement, doit être solidaire et désigner pour ce qu’elles sont les campagnes israéliennes de diffamation et d’intimidation : une promotion éhontée du principe “la survie du plus apte”. Israël utilise sa puissance pour spolier et déplacer les Palestiniens et pour faire taire quiconque veut le critiquer. La société civile doit donc être protégée de ce genre d’attaques de façon inconditionnelle et être soutenue dans ses efforts pour réaliser l’obligation de rendre des comptes et mettre en œuvre la primauté de la loi et les principes internationaux.

1. Décret amendant la Loi sur l’autorité judiciaire No. 16 et sur la formation d’un Haut Conseil judiciaire transitoire No. 17, publiés tous les deux en juillet 2019.

2. Al Haq (2019). ‘Executive Summary: A Legal Treatise on the Laws by Decree Amending the Law on the Judicial Authority Law and on the Formation of a Transitional High Judicial Council’; Voir aussi Al Haq (2019). ‘Position Paper by Palestinian human rights organizations: The Law by Decree Amending the Law on the Judicial Authority and the Law by Decree on the Formation of a Transitional High Judicial Council’.

Source : Mondoweiss

Traduction SM pour l’Agence média Palestine

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