La guerre d’Israël contre les enfants de Gaza

Par Justina Poskeviciute, le 27 août 2021

À Gaza, où 40% de la population est âgée de 14 ans ou moins, toute attaque lancée contre la population civile est une attaque contre les enfants.

Des enfants palestiniens participent à une manifestation contre le blocus israélien de la Bande de Gaza, devant le passage d’Erez à Beit Hanoun dans le nord de la Bande de Gaza, le 24 août 2021. (Photo: Ashraf Amra/APA Images)

“S’il existe un enfer sur Terre, c’est la vie des enfants de Gaza.” – António Guterres, Secrétaire général de l’ONU 

Il y a sept ans, la date du 26 août 2014 marqua la fin d’une des guerres menées par Israël contre Gaza, dénommée par Israël « Opération Bordure protectrice ». L’offensive ayant duré 50 jours, elle laissa en ruine les infrastructures de Gaza et causa la mort de plus de 2 100 Palestiniens.

Parmi ces chiffres, il en est un qui ne s’efface pas de la mémoire, celui des conséquences terribles de cette opération pour les enfants palestiniens : 520 enfants de moins de 18 ans comptaient parmi les Gazaouis tués, soit presque un quart des morts.

Vous vous rappelez peut-être que quatre enfants ont été tués par une frappe aérienne israélienne pendant qu’ils jouaient sur la plage, en plein jour, littéralement sous les yeux de membres des médias internationaux. “Les soldats ont cru que les enfants étaient des combattants du Hamas”, telle a été la conclusion d’une armée qui enquête sur ses propres crimes.

Ces crimes sont à la fois atroces et à peine surprenants. En Palestine, 38.4% de la population sont des enfants de 14 ans ou moins, et ce pourcentage s’élève à 40% à Gaza. Toute attaque contre la population civile devient aussi une attaque contre les enfants. Certaines attaques, comme celles sur lesquelles a enquêté Defense for Children International Palestine, et que cette organisation a transmises à l’ONU, “suggèrent un ciblage direct [des enfants] par les forces israéliennes”. 

Sept ans après « Bordure protectrice », nous constatons que Gaza et ses enfants vivent dans des conditions encore plus dures qu’auparavant. Le traumatisme infligé par les attaques d’Israël et par le siège total qu’il impose à la région n’est pas terminé. En fait, il se déroule au moment même où nous parlons.

Une destruction continue, un traumatisme continu

Un Gazaoui âgé de 13 ans a été blessé à la tête par un sniper israélien : actuellement dans un état critique, il fait partie des dizaines de blessés parmi les manifestants qui se sont rassemblés sur la frontière d’Israël avec Gaza le 21 août 2021.

Des centaines de Palestiniens se rassemblent sur la frontière depuis quelques semaines, protestant contre la dévastation que les 15 années de siège israélien ont infligée à la région. Jusqu’à présent, la réaction d’Israël a été le recours à des balles réelles, des gaz lacrymogènes et des bombes. S’il existe un lieu où des bombes sont larguées de temps à autre sur une population assiégée par une force d’occupation, à titre de réponse à des “ballons incendiaires”, c’est Gaza. 

La réponse d’Israël à ce qui se déroule à la frontière de Gaza ces jours-ci suscite des parallèles avec les manifestations hebdomadaires tenues de mars 2018 à décembre 2019 sur la frontière, désignées par le nom de Grande marche du retour.

Selon un rapport du Bureau de l’ONU de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), Israël a répliqué à cette série de manifestations avec des cartouches de gaz (parfois larguées par des drones), des balles enrobées de caoutchouc et des balles réelles, la plupart du temps tirées par des snipers. Ces tirs ont tué 214 Palestiniens, dont 46 enfants, et en ont blessé plus de 36 100, dont presque 8 800 enfants.

Ce même rapport lance une alerte : “au moins 22 578 enfants atteints [lors de la marche] auront besoin d’un soutien modéré ou sérieux en matière de santé mentale et sur le plan psychosocial […] pour traiter de hauts niveaux de détresse psychosociale. Cela s’ajoute à un fardeau déjà considérable en matière de santé mentale, 248 111 enfants de Gaza ayant besoin de services de soutien psychosocial structurés et d’interventions relevant de la protection de l’enfance.”

Presque un quart de million d’enfants nécessitant un soutien psychosocial, et 53,5% des enfants souffrant de syndrome de stress post-traumatique (SSPT).  Voilà le degré de gravité atteint par la situation en 2020, au moment où ce rapport a été publié. En d’autres termes, nous étions avant mai 2021.

En ce mois de mai, les enfants de Gaza nés avant 2008 allaient assister à la quatrième guerre depuis leur naissance. Les forces israéliennes assaillaient Al Aqsa quotidiennement, et le Hamas riposta par un ultimatum demandant la cessation des violences contre Al Aqsa et le quartier de Sheikh Jarrah. Ces conditions n’ayant pas été remplies, le mouvement commença à lancer des roquettes contre Israël. 

C’est au moment des tirs de roquettes du Hamas que les médias dominants prirent en main la narration, présentant le conflit comme si Israël en avait été la victime. Mais ensuite, les bombardements de Gaza par Israël détruisirent cette narration. Les vidéos d’habitations civiles bombardées apparurent à l’heure des informations, des récits de parents piégés sous les gravats, incapables de porter secours à leurs enfants en danger de mort – et vice versa – déferlèrent sur les réseaux sociaux.

Des organisations internationales de premier plan présentèrent les impacts de la guerre au fur et à mesure de son déroulement. Le Conseil norvégien des réfugiés rapporta que 11 enfants participant à son programme de soins post-traumatiques avaient été “tués chez eux dans des quartiers densément peuplés, tandis que d’innombrables personnes de leurs familles mouraient ou subissaient des blessures.” Le Palestinian Children’s Relief Fund (Fonds palestinien de secours aux enfants), une ONG qui dispense aux enfants des soins médicaux gratuits, annonça que son siège avait été détruit lors d’un bombardement aérien. 

L’organisation Médecins sans frontières a rapporté que les frappes aériennes israéliennes lancées en un seul et même jour, le 16 mai 2021, avaient tué 42 personnes, dont 10 enfants, et avaient atteint son dispensaire de traitement des traumatismes et des brûlures, lequel a dû fermer ses portes. Après une enquête sur les attaques de mai 2021, Human Rights Watch a conclu que les deux côtés – les forces israéliennes et Hamas – avaient commis des crimes de guerre.   

Les déclarations froides et les statistiques sans visage relatives aux enfants tués sont horribles, mais elles ne répondent pas à une question centrale : qu’est-ce qui attend les enfants de Gaza qui ont survécu ?

Quand les installations médicales, les établissements d’enseignement, et même les organisations qui assurent un soutien psychosocial sont attaquées et que leur travail est empêché, comment une guérison peut-elle être entreprise ? Et quelle peut être la profondeur de cette guérison tant que les conditions sous-jacentes – le blocus lui-même – se maintiennent ?

Dans un entretien récent sur Israël et la Palestine, Gábor Mate, médecin et expert renommé dans le domaine des traumatismes, se rappelle avoir parlé avec une thérapeute qui travaille auprès d’enfants palestiniens en Cisjordanie après qu’ils aient été arrêtés et incarcérés dans des prisons israéliennes, restant parfois des mois sans voir leur famille.

“Elle dit qu’en l’occurrence, on ne peut pas parler de syndrome de stress post-traumatique, parce qu’il n’y a pas eu de pause dans le traumatisme. Ce traumatisme est quotidien.”

En Cisjordanie, où il semble bien que l’armée israélienne tue des petits Palestiniens de façon hebdomadaire, mais aussi à Gaza, il est évident que le traumatisme est permanent. 

De l’impunité à l’action de masse

Au long des sept dernières années, au lieu d’un processus substantiel de reconstruction et de guérison, nous avons vu à Gaza s’accroître la destruction et le désespoir. Les enfants palestiniens se voient encore infliger toute une gamme de violations des droits humains. Les châtiments collectifs –crime auquel le siège de Gaza par Israël est assimilable – punissent également les plus jeunes membres de la population.

Comment susciter un changement ?

En 2014, l’homicide de 500 enfants et l’aggravation de la destruction d’un territoire assiégé n’ont entraîné ni condamnation internationale notable ni véritable pression sur Israël. Aucune sanction substantielle n’a été renforcée ni même imposée. À l’échelle internationale, aucun diplomate israélien n’a été expulsé, et Israël n’a été radié d’aucun traité commercial important. 

Cependant, la guerre du mois de mai – peut-être à cause des éléments abondants qui l’ont documentée – a suscité une vague de protestations dans le monde entier.  Même le New York Times a effectué un geste historique en publiant les photos de tous les enfants palestiniens tués par les forces israéliennes au cours de leurs offensives.

Mais la situation à Gaza ne va pas s’améliorer d’elle-même.

Sans que des pressions soient exercées sur le gouvernement israélien et les États-Unis, son soutien le plus important en termes d’aide militaire et de blocage des résolutions de l’ONU, il est difficile d’imaginer que quelque chose va s’améliorer pour les enfants de Gaza. Le nouveau Premier ministre d’Israël, Naftali Bennett, rencontre Joe Biden cette semaine [27 août] pour examiner la suite de la coopération entre les deux pays. 

Ce dont Gaza a besoin est à l’opposé de cette coopération. Et elle a besoin d’une action massive. La bonne nouvelle, dans cette situation désolante, c’est que nous pouvons agir de bien des manières, loin de croire qu’il n’y a rien à faire. En menant ces actions, nous pouvons contribuer, pour reprendre les mots du Secrétaire général de l’ONU, à ce que la vie des enfants de Gaza cesse de ressembler à un enfer sur Terre.

Source : Mondoweiss

Traduction SM pour l’Agence média Palestine

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