Ce que les prisonniers politiques palestiniens évadés ont à nous apprendre

Par Haidar Eid, le 24 septembre 2021

L’évasion de six prisonniers de la prison de Gilboa, en Israël, a ouvert des chemins vers de nouveaux mondes, au-delà des murs édifiés par l’État israélien d’apartheid et de ses politiques barbares.

Quelles leçons avons-nous tirées, nous les Palestiniens, de l’évasion réussie de six prisonniers politiques au début de ce mois ? Cet événement a mis en déroute le système de sécurité mythique d’Israël. Tous les Palestiniens, aussi bien ceux qui vivent dans les territoires occupés en 1967 que les citoyens israéliens de troisième ordre ou les réfugiés vivant dans des camps misérables et en exil, ont vécu deux semaines d’une “liberté imaginaire” créée par les prisonniers. Ils se sont sentis plus pleinement humains, ils ont senti qu’ils pouvaient transformer ce monde (injuste). 

Par lui-même, cet acte héroïque est parvenu à détruire un mythe et à créer une nouvelle réalité : le mythe voudrait que la sécurité d’Israël soit sans faille ; la réalité, c’est que les Palestiniens sont résolus à conquérir leur liberté. Notre Ligue de la Justice est parvenue à humilier l’ensemble du projet sioniste et tout ce qu’il représente, à savoir le colonialisme de peuplement et l’apartheid. Cela explique l’euphorie parmi les Palestiniens et les Arabes et le soutien enthousiaste émanant de nations anciennement colonisées et de personnes éprises de liberté. 

Ils nous ont fait vivre dans un simulacre d’État  qui nous ouvre des chemins vers de nouveaux mondes, au-delà des murs édifiés par l’État israélien d’apartheid et de ses politiques barbares. Paulo Freire aurait parlé d’un “inédit viable”, élaborant une philosophie de l’espérance qui incitait les groupes marginalisés à aller au-delà des leurs “situations limites” — en l’occurrence les contraintes infligées à notre humanité par le sionisme— et, surtout, à transformer ces conditions hostiles en espace pour l’expérimentation créative de la liberté, de l’égalité et de la justice. En somme, à s’émanciper ! Freire nous a aussi appris que toute action à l’égard du monde transforme nécessairement le monde tel que nous le connaissons, et que cette transformation du monde affecte ensuite notre manière d’agir sur le monde. En s’engageant dans ce processus, les individus apprennent à devenir des sujets qui agissent dans un monde dynamique et ouvert, au lieu de rester des objets passifs qui subissent simplement des actions dans le cadre de systèmes fermés échappant à tout changement, selon ce que l’Israël de l’apartheid, l’Afrique du Sud blanche et l’Amérique de Jim Crow auparavant, veut nous forcer à accepter. C’est la vision des six prisonniers sur la façon dont nous, Palestiniens colonisés, pouvons briser la subjugation à la suprématie juive.

Ne parlons pas des films Les Évadés, Prison Break, ou La Grande Évasion… il est peu probable que les six héros aient même entendu parler de ces films. Ils n’ont pas la peau blanche, les cheveux blonds, et n’ont pas non plus de complexe d’infériorité (Peau noire, masques blancs). Ce sont des prisonniers palestiniens, des réfugiés à qui le monde a décidé de tourner le dos en les forçant à payer le prix d’un pogrom commis en Europe il y a plus de 75 ans ! Ils sont les enfants de mères non juives ! Ce que ces héros nous ont appris, c’est que l’idée de libération ne porte pas sur des visions statiques du monde mais concerne aussi la transformation du monde, que l’apartheid et le colonialisme de peuplement peuvent être mis en échec avec un outil minuscule, une simple cuillère !

La consternation et même l’horreur exprimées dans presque tous les médias israéliens reflètent le racisme profond de l’idéologie sioniste et son impact sur la pensée des Israéliens ordinaires parce qu’on les a endoctrinés en leur faisant croire qu’ils ont droit à certains privilèges qui doivent être refusés aux “goyim”, totalement déshumanisés et diabolisés.  Un écrivain israélien a mis en garde : “l’évasion provoque [chez les Palestiniens] un passage de la dépression à l’euphorie — et tous les psychologues savent que cela suscite une situation instable !” En fait, comme le système inhumain d’apartheid avant lui, l’Israël de l’apartheid est incapable de comprendre la souffrance palestinienne et la nature de l’oppression qu’il inflige à ceux qui vivent dans la Palestine historique. Zakaria Zubeidi, l’un des six prisonniers repris, a cela à leur dire :

Qu’attendez-vous d’une personne dont vous avez affamé le père en l’empêchant de pratiquer son métier d’enseignant, dont vous avez tué la mère abattue sous ses yeux par un sniper, dont vous avez tué le frère et les meilleurs amis ainsi que 370 fils et filles d’un camp de réfugiés entassés dans un kilomètre carré ?!

Qu’attendez-vous d’une personne dont vous avez déplacé la famille en même temps que tout son peuple et dont vous avez aboli les droits de la manière la plus sévère —quand vous l’avez arrêté vingt fois, en torturant son corps chaque fois, en lui infligeant un handicap physique alors qu’il était en pleine jeunesse ?

Dans les films mentionnés plus haut, les évadés parviennent à conquérir leur liberté parce que le monde en dehors des murs de leur prison les accueille bien alors que, dans le cas palestinien, c’est le même monde raciste de colonialisme de peuplement. Étonnez-vous maintenant que le défunt Palestinien Mahmoud Darwich demande, dans l’un de ses tristes poèmes : “ Où partent les oiseaux, après le dernier Ciel ? »

Source : Mondoweiss

Traduction SM pour l’Agence média Palestine

Retour haut de page