En interdisant six ONG palestiniennes, Israël est entré dans une nouvelle ère d’impunité

Raja Shehadeh, le 28 octobre 2021

J’ai fondé al-Haq en 1979. Les Israéliens la considèrent maintenant comme un groupe terroriste, de même que d’autres organisations vitales pour la défense des droits humains.

Shawan Jabarin, directeur de Al-Haq, dans les bureaux de l’organisation à Ramallah en Cisjordanie, octobre 2021. Photo : Majdi Mohammed/AP

Je suis l’un des fondateurs de l’organisation pour les droits humains Al-Haq, créée en 1979 et je reste fier de ce qu’elle a accompli au cours des quatre décennies écoulées pour la défense des droits humains dans les territoires israéliens occupés. J’ai été horrifié lorsqu’elle a été déclarée organisation terroriste par le ministre israélien de la défense le 19 octobre, en même temps que cinq autres ONG palestiniennes.

Au cours des nombreuses années d’occupation israélienne directe, de 1967 à 1995, il y avait une longue liste, qui s’allongeait, de groupes proscrits, publiée par le commandement militaire israélien sous l’état « d’urgence » qui avait d’abord été mis en place par les Britanniques en 1945. Al-Haq n’a jamais été sur cette liste.

En 1980, une patrouille de l’armée israélienne passant près du petit bureau de Al-Haq à Ramallah, tard le soir, se fit méfiant à la vue des voitures stationnées à proximité et prit d’assaut la réunion, malmenant certains membres de l’équipe. À ce moment-là, un représentant d’Amnesty International participait à la réunion. Lorsque nous avons porté plainte, l’armée s’est lancée dans une enquête interminable sur cet incident, qui n’a pas trouvé de conclusion même après des années. Pourtant, il n’y a plus jamais eu d’assaut contre le bureau de l’organisation, même durant la nouvelle invasion de la Cisjordanie en 2002, lorsque les bureaux d’un grand nombre d’organisations de Ramallah ont été vandalisés.

L’accusation d’Israël contre les six ONG, qui comprend des groupes offrant un soutien juridique à des prisonniers et une organisation pour les droits des femmes, est basée sur un lien supposé avec le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP). Au cours des années, cette accusation a été brandie par les représentants officiels israéliens pour justifier leur refus de donner une autorisation de sortie du territoire à l’équipe de Al-Haq. L’argument était que Al-Haq n’était pas une véritable organisation de défense des droits humains, mais une couverture du FPLP. Cette accusation sans fondement et évidemment fausse n’a pourtant jamais été suivie de la publication d’un ordre aussi dévastateur que celui de mardi dernier.

B’Tselem, une organisation israélienne pour les droits humains avec laquelle Al-Haq collabore souvent, a décrit la déclaration du gouvernement israélien comme « un acte caractéristique des régimes totalitaires, dont le but est clairement de supprimer ces organisations ». Le changement politique montre à l’évidence jusqu’à quel point Israël s’est renforcé dans son sentiment d’impunité quant aux conséquences de ses actions ; dans le cas présent il s’agit d’organisations de la société civile qui font un énorme travail en Cisjordanie.

La déclaration a été faite par le ministre de la défense et a été publiée sous l’égide du droit israélien. Tant que la Cisjordanie n’a pas été annexée, le droit israélien ne s’y applique pas, donc cette déclaration va probablement être suivie d’un ordre du commandant militaire de Cisjordanie qui ajoutera Al-Haq à la liste des organisations proscrites. Même si cela n’est pas fait, Al-Haq pourrait être paralysé par l’ordre du ministère de la défense. En vertu de la loi anti-terroriste, Israël peut étendre son pouvoir sur des organisations et des habitants des territoires occupés et ainsi empêcher des financements de parvenir à AL-Haq. Israël peut aussi arrêter quiconque travaille pour l’organisation, lui fournit des prestations professionnelles ou exprime son soutien envers elle.

Les condamnations de cette mesure de la part d’Israël sont venues de toutes parts, y compris du Département d’État des États-Unis, qui a souhaité une clarification de la part de son partenaire. Mais les seules déclarations ne suffiront pas. Des mesures plus puissantes vont être nécessaires pour qu’Israël annule cette déclaration.

Al-Haq qui a tenu sa place au cours des 40 années passées prouve sa qualité de défenseur majeur des droits humains. Son travail le plus important dans l’année écoulée, a été son assistance à la Cour Pénale Internationale de La Haye dans son enquête sur de possibles crimes de guerre israéliens. La possibilité que la CPI arrive à accuser des Israéliens de tels crimes préoccupe grandement Israël. Pour nous, Palestiniens, cela annoncerait la fin de l’immunité d’Israël face aux poursuites judiciaires pour ses graves violations du droit international.

La déclaration du ministre de la défense ne convaincra personne ayant travaillé avec Al-Haq et ayant bénéficié de son approche extensive des violations des droits humains commises par Israël au cours de toutes ces années. Il est temps pour ceux qui s’en soucient de par le monde de prendre une position forte et d’agir pour convaincre leurs gouvernements de cesser d’obstruer les efforts de la CPI pour traduire en justice tout représentant d’Israël ayant commis des crimes de guerre.

Raja Shehadeh est un auteur et avocat palestinien. Son plus récent ouvrage, Going Home: A Walk Through Fifty Years of Occupation (Rentrer chez soi: une marche à travers cinquante ans d’occupation), a remporté le prix Moore en 2020

Traduction SF pour l’Agence Média Palestine

Source : The Guardian

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