‘Ils nous ont ciblés pour une raison : Nous réussissons à changer le paradigme’

Après avoir été mises hors-la-loi du jour au lendemain en tant que ‘organisations terroristes’, les associations palestiniennes de défense des droits de l’homme parlent à +972 de la raison pour laquelle les allégations d’Israël ne sont pas simplement infondées, mais s’apparentent à un acte de persécution politique.

Sahar Francis, directrice d’Addameer, dans les bureaux de l’organisation à Ramallah, Cisjordanie, le 19 février 2019. (Photo : Mohammad Darabee pour +972 Magazine)

Par Yuval Abraham, le 25 octobre 2021

Quand le ministre israélien de la Défense BennyGantz a signé un ordre exécutif la semaine dernière déclarant six associations palestiniennes de défense des droits de l’homme en tant qu’  « organisations terroristes », le gouvernement ne s’est même pas donné la peine d’y mettre un masque de procédure régulière. D’un simple coup de plume, les ONG – Al-Haq, Addameer, le Centre Bisan, Défense des Enfants International-Palestine, l’Union des Comités du Travail Agricole, et l’Union des Comités des Femmes Palestiniennes – ont été instantanément mises hors-la-loi, sans un procès ni l’opportunité de répondre aux accusations portées contre elles.

Pourtant, plutôt que de s’interroger sur la nature suspecte de cette démarche, la très grande majorité des organes de presse israéliens ont simplement repris la déclaration officielle du ministère de la Défense à ce sujet, qui accusait les six organisations de servir de « bras armé » au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) – parti laïque, marxiste-léniniste et mouvement considéré comme un groupe terroriste par Israël.

Le gouvernement a déclaré que ces ONG blanchissaient des financements destinés à des raisons humanitaires et les transféraient en lieu et place à des fins militaires, accusant en outre les employés de ces organisations d’appartenir, dans le passé ou le présent, au FPLP. Des groupes israéliens de droite ont eux aussi essayé pendant des années d’établir des liens entre ces organisations et le FPLP dans le but de couper leur financement par l’étranger.

La décision du ministère de la Défense était fondée sur des renseignements collectés par le Shin Bet, qu’il n’a pas révélés au public. Mais d’après des sources au courant de la procédure judiciaire, la preuve de l’agence est paraît-il fondée sur le témoignage d’un seul employé qui avait été licencié d’une des organisations pour corruption.

Des preuves qui contredisent le récit du Shin Bet existent cependant en quantité. Au cours des cinq dernières années, sous la pression du gouvernement israélien et des ONG pro-israéliennes, de nombreux gouvernements européens et fondations privées qui financent la société civile palestinienne ont mené des audits approfondis dans chacune des six organisations. Aucun n’a trouvé de preuve d’un acte suspect.

Des employés d’Addameer après une descente des forces israéliennes dans leur bureau, à Ramallah, Cisjordanie, le 11 décembre 2012. (Issam Rimawi/Flash90)

Par ailleurs, les organisations ciblées elles mêmes peignent un tout autre tableau des allégations présentées par le Shin Bet – avec quantité de preuves à l’appui.

J’ai parlé avec les chefs ou membres dirigeants de cinq de ces ONG, tous étant d’éminents militants, avocats et intellectuels qui critiquent sévèrement à la fois le régime israélien et l’Autorité Palestinienne. [l’Union des Comités des Femmes Palestiniennes a refusé de parler à Local Call, site hébreu jumeau de +972, où une version de cet article a tout d’abord été publiée]. Rejetant avec véhémence les accusations portées par Israël, ils décrivent ces dernières attaques comme faisant partie de la persécution politique de la société civile palestinienne pratiquée par Israël depuis des années afin d’étouffer leur travail.

‘Nous n’avons rien à cacher’

« Nous sommes la seule association de défense des droits de l’homme qui se concentre sur les enfants en Palestine », a dit Ayed Abu Eqtaish, Directeur du Programme de Responsabilisation à Défense des Enfants International-Palestine, qui a été créée en 1991.

« Notre travail a deux volets », a-t-il expliqué. « Le premier est juridique : nous représentons environ 200 enfants par an dans les tribunaux israéliens et palestiniens. Le deuxième se fonde sur la politique : depuis 2000, nous avons documenté l’assassinat de plus de 2.200 enfants palestiniens par les mains des forces de l’armée israélienne, particulièrement à Gaza. »

L’exposé du ministère de la Défense qui a été distribué aux journalistes après l’annonce de Gantz ne précisait pas la raison spécifique pour laquelle DCI-Palestine, organisation grandement respectée qui est active dans les comités de l’ONU et au Capitole, était traitée d’ « organisation terroriste ».

« Nous avons été attaqués dans le passé, mais c’était par des associations de droite telles que NGO Monitor », a ajouté Eqtaish, faisant référence à l’organisation qui traque les activités des organisations de la société civile palestinienne et de gauche, qui critiquent la politique israélienne, afin de les priver de leurs ressources financières. NGO Monitor déclare que DCI-Palestine « mène sa campagne en utilisant les enfants pour promouvoir la diabolisation d’Israël et qu’elle est liée au groupe terroriste le FPLP. Beaucoup de ses allégations sont fausses et font partie des tentatives pour salir Israël avec des allégations de ‘crimes de guerre’ et pour promouvoir BDS. »

Images d’un enregistrement CCTV de soldats israéliens confisquant un ordinateur et les fichiers des clients pendant un raid dans les bureaux de Défense des Enfants International-Palestine à Al-Bireh, Cisjordanie, le 29 juillet 2021. (DCI-P)

Abu Eqtaish traite les accusations contre DCI-Palestine d’ « absurdes », mettant en avant qu’il n’existe aucune preuve que son association finance le FPLP. « Israël et les organisations de droite ont approché tous les gouvernements et les fondations qui nous financent pour mettre en doute notre légitimité en tant qu’organisation. Au lieu de nous préoccuper de faire connaître les violations de l’occupation contre les enfants, nous avons dû nous occuper de nous défendre nous mêmes. »

D’après Abu Eqtaish, tous les organismes qui financent DCI-Palestine – dont les gouvernements d’Italie et du Danemark, ainsi que l’Union Européenne – ont mené des enquêtes indépendantes sur les réclamations israéliennes dans le passé. « Ils nous ont demandé des preuves comme quoi les allégations étaient sans fondement, et nous les leur avons fournies. Nous n’avons rien à cacher. Tous nos rapports financiers sont publics. »

Un tribunal britannique a également trouvé que les allégations étaient fausses. En 2020, le tribunal a ordonné à Avocats Britanniques pour Israël, organisation qui fonctionne de la même façon que NGO Monitor, de retirer son allégation comme quoi DCI-Palestine soutenait le FPLP ou lui transférait des fonds. Le tribunal a également exigé d’Avocats Britanniques pour Israël de déclarer publiquement que DCI-Palestine n’avait actuellement « aucun lien étroit, ni ne fournissait aucun soutien financier ou matériel à aucune organisation terroriste ».

« Ils ont été incapables d’atteindre leurs buts en utilisant cette stratégie, c’est pourquoi ils en ont changé », a dit Abu Eqtaish. « En juillet, les forces militaires ont fait une descente dans les bureaux de notre organisation à Ramallah et ont confisqué les ordinateurs et les dossiers juridiques appartenant aux enfants. Nous nous sommes retournés vers le tribunal militaire pour réclamer le retour de nos dossiers. Le tribunal a refusé. »

Il a conclu : « Maintenant, nous dans l’organisation cherchons à comprendre quelles nouvelles démarches nous devrions entreprendre. Nous savons que ces allégations n’ont aucun fondement. L’attaque sur l’organisation est avant tout une attaque sur son objectif : dénoncer les crimes de l’occupation contre les enfants et appeler la communauté internationale à punir Israël pour ces crimes. »

‘Tout le monde sait où va chaque shekel’

Créée en 1979, Al-Haq est la plus ancienne et la plus grande ONG palestinienne de défense et de promotion des droits de l’homme dans les territoires occupés. D’après Hisham Sharbati, qui agit sur le terrain pour Al-Haq et travaille dans l’organisation depuis 12 ans, la raison de cette récente désignation par Israël est entièrement politique.

« Al-Haq joue un grand rôle dans la fourniture d’informations contre Israël à la Cour Pénale Internationale de La Haye », a-t-il expliqué. « Grâce à nos activités, ils sont nombreux dans le monde à appeler Israël ‘Etat d’apartheid’. C’est pourquoi on nous persécute. »

Sharbati a mentionné que Gantz avait rencontré le président de l’AP Mahmoud Abbas à Ramallah plus tôt ce mois-ci et qu’ils avaient parlé de « construire la confiance ». « Quelle sorte de confiance y a-t-il lorsque [Gantz] attaque de cette façon les organisations de la société civile ? Cette démarche cherche à priver la population palestinienne de l’une des plus importantes organisations qu’elle a pour défendre ses droits contre l’occupation et contre l’Autorité Palestinienne. »

La déclaration du ministère israélien de la Défense, et même le document légèrement plus détaillé qui a été ensuite envoyé aux reporters, n’a fait aucune différence pour Al-Haq bien qu’elle soit la plus grande des six organisations. Sur quelle base Al-Haq a été mise hors-la-loi n’est toujours pas clair du tout.

Les allégations contre Al-Haq ont pu sortir d’une autre source. En 2015, alors que la pression contre Israël s’intensifiait, le gouvernement a alloué des dizaines de millions de shekels au maintenant défunt Ministère des Affaires Stratégiques pour qu’il mène une « campagne contre les effets de la délégitimation et des boycotts contre Israël », avec Gilad Erdan, qui est maintenant l’ambassadeur d’Israël aux États Unis, nommé à la tête de l’organisme.

Le ministre de la Sécurité Intérieure, Gilad Erdan, parle pendant une conférence de presse internationale, Bnei Brak, le 3 février 2019. (Flah90)

L’une des activités centrales du ministère était d’étiqueter les associations de la société civile palestinienne comme affiliées au terroristes afin de faire pression sur les gouvernements européens pour qu’ils coupent leur financement. D’après les rapports officiels publiés par le ministère, les six organisations mises sur liste noire la semaine dernière étaient une cible majeure.

Le ministère des Affaires Stratégiques a publié des rapports avec des titres tels que « Terroristes en costume », « le Prix du Sang » et « le Réseau de la Haine », reprenant les messages de divers groupes de droite. NGO Monitor en particulier a accusé le directeur général d’Al-Haq, Shawan Jabarin, d’être actif au FPLP. Et pourtant, le ministère a à nouveau échoué à fournir quelque preuve que ce soit étayant des liens de l’ONG avec la violence.

« Je suis dans l’organisation depuis 12 ans et pas une seule personne de Al-Haq n’a été arrêtée durant cette période », a dit Sharbati. « Notre activité est entièrement légale et transparente. Nos financeurs reçoivent des rapports détaillés. Nous sommes sous étroite surveillance et chacun sait où va chaque shekel. »

Concernant les allégations comme quoi certains des opérateurs de l’organisation étaient des membres du FPLP, Sharbati a dit : « Si quelqu’un travaillait avec le FPLP, se retrouvait en prison et était libéré quelques mois plus tard – alors quoi ? Cela signifierait-il qu’il ne devrait travailler nulle part ? Si quelqu’un a fait quelque chose d’illégal, arrêtez le. Mais il n’y a aucune preuve d’acte répréhensible. »

‘Absolument manipulateur’

Le Centre Bisan est un petit centre de recherche penchant à gauche. Son équipe se compose de huit universitaires et il est dirigé par Ubai Aboudi qui écrit sur l’économie et la sociologie.

« Nous avons été créés en 1986 par un groupe d’universitaires et de chercheurs », a expliqué Aboudi. « Nous défendons les droits des communautés marginalisées, faisons pression contre le réchauffement mondial, promouvons l’égalité de genre, et nous opposons à la politique d’occupation israélienne. »

Aboudi a été détenu deux fois ces deux dernières années : une fois par Israël, et à nouveau par l’Autorité Palestinienne. Durant sa première arrestation fin 2019, le tribunal militaire israélien l’a accusé de faire partie du FPLP. « Ils n’avaient aucune preuve et le juge a déclaré qu’il y avait des questions relatives à la preuve », a-t-il fait remarquer.

Cependant, Aboudi a finalement accepté une négociation de plaidoyer et a été bouclé pour quatre mois. (Les tribunaux militaires israéliens, qui fonctionnent comme un bras intégral du contrôle israélien sur les Palestiniens sous occupation, ont un taux de condamnations entre 95 et 99 %, d’après diverses associations de droits de l’homme).

« Je n’ai aucun lien avec le FPLP, mais je suis un père et je voulais revenir auprès de mes trois enfants dès que possible – alors j’ai accepté le marché », a-t-il expliqué. À l’époque, la détention administrative d’Aboudi avait déclenché une campagne internationale et environ un millier de chercheurs et d’universitaires avaient signé une pétition pour sa libération.

Cette année, Aboudi a été arrêté deux fois par l’AP, après avoir manifesté contre l’assassinat de Nizar Banat, militant et critique du gouvernement, qui a été battu à mort en juin sous la garde des forces de sécurité palestiniennes.

Des Palestiniens prennent part à une manifestation contre l’assassinat du militant Nizar Banat, dans la ville d’Hébron en Cisjordanie, le 2 juillet 2021. (Wissam Hashlamoun/Flash90)

Un mois plus tard, l’armée israélienne a fait une descente dans les bureaux du Centre Bisan à Ramallah et a confisqué leurs ordinateurs. D’après un communiqué de presse du ministère de la Défense, Bisan a été déclaré comme « organisation terroriste » parce que des membres du FPLP tenaient des réunions dans ses bureaux. Par ailleurs, déclarait le communiqué, le précédent directeur du centre, I’tiraf Rimawi, était membre de l’aile armée du FPLP. Rimawi a été condamné à trois ans et demi de prison pour appartenance à une extension étudiante du FPLP – alors qu’il n’était pas alors un employé du Centre Bisan.

« Ce point de vue [israélien] est absolument manipulateur », a dit Aboudi. « Comment une organisation tout entière peut-elle être responsable d’actions qu’une personne a prétendument commises en dehors de son travail ? Si une personne travaille pour une banque aux États Unis et enfreint la loi, allez vous alors fermer la banque ? »

Concernant l’utilisation des bureaux de Bisan pour des réunions du FPLP, Aboudi a dit : « Notre bureau ne sert à rien qui ne soit en lien avec nos recherches. Il n’a jamais été utilisé par des forces armées,  et le centre n’a aucune connexion avec des actions violentes. Lisez nos travaux, notre vision du monde est fondée sur l’égalité et la justice sociale. »

Comme les autres organisations, Aboudi a dit que la prétention d’Israël comme quoi les associations agissaient comme une « bouée de secours » et des financeurs du FPLP était totalement forgée, et que « le budget du centre était transparent et ouvert à tous ».

En mai, a fait remarquer Aboudi, Israël a invité des représentants d’ambassades étrangères et réclamé qu’ils cessent de financer les associations palestiniennes de défense des droits de l’homme. Le gouvernement belge a alors mené un audit sur le financement qu’il fournit à Bisan et il a établi qu’il n’y avait aucune base pour des accusations du gouvernement. « La totalité de notre financement, environ 800.000 NIS par an, va à la recherche et au paiement des salaires », a-t-il dit.

Comme avec les autres organisations, les employés de Bisan craignent que, à la suite de la déclaration d’Israël, les financeurs à travers le monde hésitent à soutenir le centre, qui alors s’effondrerait financièrement. « Ce fut toujours le principal combat du [Premier ministre] Naftali Bennett et de la [ministre de l’Intérieur] Ayelet Shaked : persécuter les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme », a avancé Aboudi. « Leurs relations avec les groupes de colons d’extrême droite, telles que NGO Monitor et Regavim, sont profondes. Ils pensent depuis des années à mettre hors la loi les organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme. Maintenant, ils ont eu l’opportunité de le faire, et ils l’ont saisie. »

‘L’occupation est la source de la violence’

L’Union des Comités des Travailleurs Agricoles a été créée en 1986. Entre autres domaines de travail, elle aide les agriculteurs palestiniens à cultiver leur terre en Zone C – les deux tiers de la Cisjordanie qui sont sous le contrôle total d’Israël, où des colonies israéliennes sont construites et agrandies et où Israël empêche systématiquement le développement des Palestiniens. D’après le directeur de l’UCTA Fouad Abou Saif, cette activité est la raison pour laquelle ils ont été mis hors la loi.

« Israël veut annexer la Zone C », a-t-il dit. « Notre travail y consolide la présence des Palestiniens, dans une zone où elle n’est pas désirée. C’est pourquoi ils sont après nous depuis des années. »

Abou Saif a poursuivi : « Regavim [organisation israélienne de droite] nous a provoqué quotidiennement parce que nous aidons les agriculteurs palestiniens à cultiver environ 3.00 hectares de terre par an et que nous ouvrons des voies agricoles qui connectent les zones A, B et C. Tout notre travail se fait sur des terres privées, afin d’aider les agriculteurs. Israël les empêche de développer leur terre pour des raisons politiques, pour les expulser. »

Israël a accusé deux anciens employés de l’UCTA d’implication dans le meurtre de Rina Shenrab, Israélienne de 17 ans, en Cisjordanie en août 2019. Le ministère de la Défense a déclaré le meurtre de l’adolescente comme la raison pour avoir déclaré l’union « organisation terroriste ».

Des agents de la police israélienne des frontières montent la garde tandis que des paysans palestiniens utilisent des tracteurs pour travailler leur terre dans le village de Kusra en Cisjordanie, le 19 novembre 2018. (Nati Shohat/Flash90)

« Il s’agissait de deux individus dans une organisation qui compte 120 employés, une organisation dans laquelle des milliers de personnes ont travaillé au cours des années », a dit Abou Saif à propos de ces allégations. Ce n’est pas l’organisation qui a décidé d’agir ainsi. En tant qu’organisation, nous rejetons la violence et nous disons que l’occupation est la source de la violence. »

Depuis des années, d’après Abou Saif, Israël a cherché des raisons de sécurité pour en faire une excuse pour la fermeture de diverses organisations palestiniennes qui travaillent en Zone C.

Fin 2020, les Affaires étrangères et le Comité de Défense de la Knesset se sont rencontrés pour discuter du combat du gouvernement contre ces organisations. À cette réunion, le député Zvi Hauser a fait remarquer que cette discussion était « d’un intérêt national de premier plan » parce que « c’est ce qui déterminera les futures frontières de l’État ».

« Il ne s’agit pas que d’une lutte pour la terre et l’application de la loi, mais aussi d’une lutte diplomatique », a dit Ghassan Alyan, ancien chef de l’Administration Civile – bras du gouvernement militaire d’Israël qui gère les territoires occupés – à la réunion du comité. Alyan a ajouté que, lorsque Bennett était ministre de la Défense en 2020, il a rencontré des ambassadeurs et des attachés de pays européens et a demandé qu’ils mettent fin à leur financement des organisations palestiniennes qui travaillent en Zone C.

« Nous avons averti tout le monde que nous ne tolérerons aucun projet international sans l’approbation d’Israël… et nous sommes arrivés à faire décroître le nombre de projets au cours des deux dernières années », a dit Alyan pendant la réunion. « Il y avait environ 12 projets en 2019, quand en 2015 approximativement 75 projets ont été conduits. »

« Israël essaie de fausser la réputation de ces organisations auprès de nos bailleurs de fonds », a dit Abou Saif. « Si les Européens mettent fin à leur financement, toutes ces associations disparaîtront. Et ça marche. »

« Ils se focalisent sur deux types d’organisations : celles qui agissent au niveau international, comme Al-Haq, et celles qui travaillent en Zone C, comme nous », a ajouté Abou Saif. « Cela n’a pas commencé il y a deux jours – cela dure depuis des années. »

Au tout début de la matinée du 7 juillet, les forces israéliennes ont fait irruption dans les bureaux de l’UCTA et les ont fermés. Abou Saif est arrivé ce matin là pour découvrir que les ordinateurs avaient été confisqués et que les portes étaient scellées. Un ordre de fermeture était également apposé sur les portes, émis par le gouverneur militaire israélien.

« Vous devez comprendre, notre organisation ne s’occupe que d’agriculture. La plupart d’entre nous sont des ingénieurs. Je suis, moi aussi, un ingénieur. Israël va-t-il maintenant tous nous arrêter ? Cette organisation existe depuis 35 ans », a dit Abou Saif.

Cependant, la déclaration faisant de six vieilles organisations des « terroristes » est sans précédent, a dit Abou Saif. « Cela n’a été rendu possible qu’avec le nouveau gouvernement », a-t-il soutenu. « Aussi néfaste qu’ait été Netanyahou, il n’a pas pris une décision aussi radicale. À mon avis, il a été plus prudent. Le lobby des colons et Regavim peuvent plus facilement faire pression sur le gouvernement actuel, qui est bien plus extrême. »

‘Les racines de cette attaque’

Sahar Francis est à la tête d’Addameer, qui apporte un soutien juridique aux prisonniers et détenus palestiniens enfermés dans les prisons d’Israël et de l’AP. « La majeure partie du travail de notre organisation, c’est avec les autorités israéliennes », a dit Francis. « J’attends de voir ce qu’elles diront à nos avocats dans les tribunaux militaires. »

Francis a continué : « C’est une décision politique, qui découle de l’incessante persécution exercée contre nous. Comment peut-on publier une telle déclaration dans la presse sans entendre ce que ces organisations ont à dire ? Sans un procès ou le droit à une audition ? »

D’après Francis, la décision du gouvernement fait partie d’une vaste démarche faite sur la durée contre la société civile palestinienne. « Cela a commencé avec des attaques de la part d’organisations de droite telles que NGO Monitor, qui était en communication directe avec le gouvernement israélien », a-t-elle expliqué. « Plus tard, en 2015, le ministère des Affaires Stratégiques de Gilad Erdan a été lancé et ils ont indéfiniment essayé d’assécher notre financement. »

D’après le communiqué de presse du ministère de la Défense, Addameer a été déclarée comme « organisation terroriste » parce qu’elle a été constituée par des membres importants du FPLP pour traiter avec les prisonniers politiques et leurs familles. Pourtant, Addameer a été créée en 1991, ce qui, même si l’allégation était vraie, ferait que la récente appellation d’Israël aurait 30 ans de retard.

Des soldats israéliens arrêtent un jeune Palestinien pendant une manifestation contre la reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël, à Hébron, Cisjordanie, le 7 décembre 2017. (Wissam Hashlamoun/Flash90)

Le communiqué du ministère a également déclaré que des réunions avec des membres importants du FPLP avaient été organisées dans les  bureaux d’Addameer, et que l’organisation envoie des messages aux prisonniers au nom du FPLP. Cependant, aucune autre explication n’a été fournie.

« Ces explications sont tout simplement fausses », a répondu Francis. « L’organisation n’appartient pas au FPLP. Nous ne traitons qu’avec une représentation légale et faisons du lobbying au niveau local et international. Nous sommes ciblés depuis des années, pour une raison : nous réussissons à changer le paradigme à travers le monde en parlant de l’apartheid, et pas seulement de l’occupation, et nous fournissons du matériel à La Haye. »

« Nous devons revenir aux racines de cette attaque », a-t-elle souligné. « Depuis le début de l’occupation, Israël a agi contre les organisations de la société civile. Il a déclaré les syndicats de travailleurs et d’étudiants comme illégaux. Pendant la Seconde Intifada, il y a eu une attaque massive sur les organismes de bienfaisance sous le prétexte qu’ils auraient été associés au Hamas. Je pense que nous avons fait une erreur alors, en ne la prenant pas assez au sérieux. L’Autorité Palestinienne a été heureuse à l’époque, parce qu’elle a promu ses intérêts – nuire à ceux qui s’opposent à elle. »

« Notre message, avec les autres organisations, est que nous ne cesserons pas de travailler. Nous ne cesserons pas de prodiguer nos services à ceux qui ont besoin de nous. Nous refusons de nous taire sur le régime d’apartheid de l’occupation. »

Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call. Lisez la ici.

Yuval Abraham est photographe et étudiant en linguistique.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : +972 Magazine

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