Pourquoi Israël veut criminaliser la société civile palestinienne

En désignant six ONG palestiniennes comme des “organisations terroristes”, Israël cherche à affaiblir la lutte palestinienne pour la liberté.

Par Yara Hawari, le 24 octobre 2021

Un homme au travail au siège d’Addameer, un des six groupes de la société civile palestinienne qui ont été désignés par Israël comme des organisations terroristes, à Ramallah, en Cisjordanie occupée par Israël, le 24 octobre 2021 [Reuters/Mohamad Torokman]

Le 22 octobre, le ministère de la défense israélien a pris une ordonnance militaire désignant six ONG palestiniennes comme “organisations terroristes”. Les six organisations ciblées sont : l’association pour le soutien des prisonniers et les droits humains Addameer, Al-Haq, le centre Bisan pour la recherche et le développement, Defense for Children International-Palestine (DCI-P, Défense des enfants International-Palestine), the Union of Agricultural Work Committees (UAWC, Union des comités du travail agricole), and the Union of Palestinian Women’s Committees (UPWC, Union des comités des femmes palestiniennes).

Le ministère, invoquant la loi de 2016 contre le terrorisme palestinien, a accusé ces organisations d’être affiliées au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un parti politique marxiste-léniniste. Plus précisément, elles sont accusées de former “un réseau d’organisations agissant clandestinement sur le plan international” en faveur du FPLP. Le régime israélien n’a encore fourni aucune preuve pouvant étayer ses allégations mais, aux yeux des Palestiniens, il est évident qu’il s’agit de la toute dernière tentative de criminalisation de la société civile palestinienne.

Ces organisations bénéficient d’une renommée internationale toute particulière en raison de leur travail décisif dans le domaine social et en faveur des droits humains. Addameer, par exemple, dispense un soutien juridique et social crucial aux prisonniers politiques palestiniens et à leurs familles. Une autre organisation, Al-Haq, a passé des décennies à recueillir des éléments sur les atteintes aux droits humains commises par le régime israélien, rassemblant de précieuses données et remportant de nombreuses récompenses internationales. L’Union des comités du travail agricole soutient les agriculteurs palestiniens qui affrontent en permanence les actes d’oppression et de vol des terres commis par le régime israélien.

Cette attaque contre les organisations palestiniennes ne surgit pas comme un coup de tonnerre. C’est la toute dernière étape de la campagne systématique menée par Israël depuis plus de sept décennies pour étouffer la société civile palestinienne.

Après l’instauration de l’Autorité palestinienne en vertu des Accords d’Oslo dans les années 1990, la société civile palestinienne a pris une place dirigeante en dénonçant et en affrontant les crimes du régime israélien. Les organisations civiques palestiniennes se sont situées à l’avant-garde de la lutte palestinienne, ce qui les a mises dans la ligne de mire d’Israël.

Plus récemment, au cours de la dernière décennie, on a assisté à des efforts coordonnés menés par divers groupes non gouvernementaux agissant en tandem avec le ministère israélien des affaires stratégiques pour cibler et diffamer les ONG palestiniennes qui travaillent sur les droits humains des Palestiniens.

La qualification de terrorisme assimile à un crime le travail des six ONG et autorise le régime israélien à fermer leurs bureaux, confisquer leurs biens, arrêter leur personnel et même interdire le financement de leurs activités ou les expressions publiques de soutien à leur action. Elle pourrait aussi susciter chez des tierces parties et des partenaires étrangers des appréhensions à l’idée de s’associer à ces organisations et à leur travail.

Cette désignation franchit un degré de plus, mais ce n’est pas la première fois que le régime israélien applique faussement la dénomination de terrorisme à des organisations ou individus palestiniens. Cette dénomination revient souvent dans les propos des personnalités officielles israéliennes et des partisans d’Israël pour discréditer et diffamer ceux qui recueillent des éléments sur les violations des droits des Palestiniens et ceux qui résistent à ces violations. La tactique est simple, et elle peut être efficace.

Par exemple, l’an dernier, l’Union européenne a commencé à mettre en œuvre une clause de financement demandant aux bénéficiaires palestiniens de ses subsides financiers de se renseigner sur toutes les personnes travaillant pour eux afin de vérifier qu’elles n’avaient de lien avec aucun parti politique palestinien figurant sur sa “liste de terroristes”. Dans la mesure où un nombre considérable de partis politiques palestiniens sont sur cette liste, cette exigence s’assimile à une persécution politique.

Cette attaque coordonnée contre la société civile palestinienne a également comporté des allégations d’utilisation abusive de fonds ou de corruption, dans le but de faire pression sur les bailleurs de fonds internationaux afin qu’ils retirent leur soutien financier. De plus, des raids contre les bureaux des ONG ont eu lieu régulièrement pour intimider leur personnel et leurs partenaires et désorganiser leur travail.

En juillet, par exemple, les forces de sécurité israéliennes ont fait irruption au siège de Defense for Children International. Selon l’ONG, qui s’occupe d’enfants palestiniens détenus par Israël, les soldats israéliens ont pris des ordinateurs et des dossiers en rapport avec certains des cas sur lesquels elle travaille. Addameer a également subi au fil des années d’innombrables raids contre ses bureaux, au cours desquels du matériel et des dossiers ont été endommagés ou volés. Face aux exactions et à l’intimidation infligées toujours plus violemment par le régime israélien, ces organisations et d’autres ont continué à travailler dans l’intérêt du peuple palestinien.

Bien que différents organismes internationaux et personnalités du monde entier aient élevé la voix contre la désignation de terrorisme et pour soutenir le travail mené par ces ONG, ce n’est pas suffisant. Si ces faits se produisent, ce n’est parce qu’Israël devient plus totalitaire, plus oppressif. Cela se produit à cause de décennies d’impunité israélienne, et parce que la communauté internationale n’a pas exigé que ce régime réponde de ses actes. La communauté internationale doit   ouvrir les yeux sur son rôle d’instrument des crimes israéliens et elle doit engager enfin une action décisive contre les violations répétées du droit international commises par Israël.

Traduction SM pour l’Agence Média Palestine

Source : Al Jazeera

Retour haut de page