Demandez aux experts : guide des attaques d’Israël sur la société civile palestinienne

Le 3 novembre 2021

Nos lecteurs avaient des questions sur la désignation par Israël de six associations palestiniennes de défense des droits de l’Homme comme ‘terroristes’. Nous avons donc invité des experts à y répondre.

Des colons israéliens de Yitzhar, accompagnés de soldats israéliens, attaquent des moissonneurs et des militants palestiniens, Huwwara, Cisjordanie, 7 octobre 2020. (Heather Sharona Weiss/Activestills)

Le 22 octobre, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a signé un ordre désignant six éminentes associations palestiniennes de défense des droits de l’Homme – Addameer, Al-Haq, le Centre Bisan pour la Recherche et le Développement, Défense des Enfants International-Palestine, l’Union des Comités du Travail Agricole, et l’Union des Comités des Femmes Palestiniennes – comme « organisations terroristes ».

D’après le ministre de la Défense, les renseignements réunis par le Shin Bet montrent que ces organisations ont fourni un soutien au Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), parti et mouvement palestinien de gauche qui a été qualifié de « groupe terroriste » par Israël, les États Unis et l’Union Européenne. Israël n’a pas rendu publiques les preuves qu’elle prétend avoir rassemblées, mais dans les déclarations qu’il a émises, les accusations vont de l’hébergement de membres du FPLP dans les bureaux des organisations à l’amplification de sa politique.

Les six organisations réfutent vigoureusement ces allégations et disent que cette déclaration s’apparente à une persécution politique. Ce qui a fait d’elles une cible, affirment elles, c’est leur travail qui consiste à documenter sur les violations des droits de l’Homme par Israël et par l’Autorité Palestinienne, à venir en  aide aux communautés palestiniennes vulnérables et à « changer le paradigme » sur la politique israélienne d’apartheid.

Alors que cette annonce s’inscrit dans une longue histoire de tentatives par Israël d’écraser la société civile palestinienne, cette désignation est sans précédent. Pour donner un sens à cette décision et à ses conséquences, nous avons demandé à des experts en droit international, en activités palestiniennes sans but lucratif et en politique antiterroriste de répondre aux questions de nos lecteurs.

Nous mettrons ces explications à jour à mesure que l’histoire évolue. Vous avez une question qui n’a pas sa réponse ici ? Envoyez nous un courriel à info@972mag.com.

1. Quel est le fondement juridique de cette décision ?

2. Quelles preuves y a-t-il de quelque lien que ce soit entre ces organisations et le FPLP ?

3. Israël cible ces associations depuis des années. Cette évolution est-elle différente ?

4. En quoi la désignation de ces ONG par Israël en tant qu’ « associations terroristes » affectera-t-elle les gens qui travaillent dans ces organisations ? Les implications sont-elles différentes selon que les employés sont citoyens palestiniens d’Israël ou résidents palestiniens des territoires occupés ?

5. Comment cette désignation affectera-t-elle la capacité des organisations à lever des fonds ?

6. Quelle impact cette désignation aura-t-elle sur les communautés palestiniennes ?

7. Quelle probabilité existe-t-il que ces organisations essaient de contester la désignation en passant par le système juridique d’Israël ? Que peuvent faire les organisations pour combattre la désignation ?

8. Que peut faire la communauté internationale ?

9. Y a-t-il des risques à exprimer publiquement sa solidarité avec ces organisations ?

10. Le gouvernement va-t-il ensuite cibler les associations israéliennes de défense des droits de l’Homme ?

Les directeurs de cinq groupes de défense des droits des Palestiniens déclarés « organisations terroristes » par Israël (de gauche à droite) : Shawan Jabarin d’Al-Haq, Ubai Al-Aboudi du Bisan Center, Fuad Abu Saif de UAWC, Sahar Francis d’Addameer, et Khaled Quzmar du DCI-Palestine, à Ramallah, Cisjordanie, le 28 octobre 2021. (Oren Ziv)

1. Quel est le fondement juridique de cette décision ?

La déclaration d’une organisation en tant que « terroriste » est régie en Israël par la Loi de 2016 sur l’Antiterrorisme. Cette loi, qui avait d’abord été proposée en 2010, avait pour but de remplacer un patchwork de législations, dont quelques unes remontaient aux Règles de Défense (d’Urgence) du Mandat britannique, et ainsi réorganiser et moderniser le champ tout entier de l’antiterrorisme.

Les nombreuses dispositions de la loi détaillent une kyrielle d’actes terroristes, de procédures spéciales pour s’occuper des terroristes, de saisies d’actifs d’organisations terroristes, et autres. Mais l’essentiel tourne autour de la déclaration d’une organisation en tant que « terroriste ». Ce n’est qu’après qu’une organisation a été désignée comme terroriste que le reste des dispositions entre en jeu, criminalisant les employés de l’organisation, potentiellement ceux qui entrent en contact avec elle et ceux qui sympathisent avec ses objectifs et ses actions. À l’heure actuelle cependant, la controverse autour des décisions du ministre de la Défense Gantz se focalise sur les déclarations elles-mêmes ; d’après les rapports dans la presse israélienne, aucune accusation criminelle n’est en vue.

Bien que le processus de déclaration soit au cœur de la loi, il génère en réalité peu d’informations. Pour être déclaré comme organisation terroriste (la définition d’une organisation terroriste, quoique importante, est assez circonstanciée ; ceux que cela intéresse devraient lire la Section 2(a) de la loi ici), il faut qu’une demande soit faite par le chef d’une autorité de sécurité, généralement le Shin Bet. La demande doit par ailleurs être étayée par un rapport, qui doit être approuvé par le procureur général. Avec son approbation, la demande est alors officiellement adressée au ministre de la Défense, qui émet alors la déclaration.

Comme ce sera généralement le cas, le matériel sur lequel la demande est construite sera classifié, ce qui signifie que les organisations en question n’auront pas le droit de le voir. Par ailleurs, dans presque tous les cas, l’organisation ne saura même pas avant la déclaration qu’elle est considérée comme terroriste. Étant données les graves conséquences qui découlent de ce genre de déclaration, on aurait pu s’attendre à quelque chose ressemblant à une audience avant la décision de Gantz. Ce ne fut pas le cas.

Pourtant, la loi accorde une audience après la publication d’une déclaration. Plusieurs aspects du processus d’audience garantissent cependant pratiquement que la décision sera maintenue. Premièrement, la décision doit être prise par le ministre de la Défense – la même personne que celle qui a pris la décision initiale. Parce qu’il sera vraisemblablement conforté dans sa décision initiale, un revirement est peu probable.

Deuxièmement, et plus important encore, le processus reste nimbé de secret. Parce que les renseignements qui ont conduit à la déclaration sont classifiés, l’organisation ne saura pas exactement de quoi on l’accuse. Au mieux, elle ne recevra guère plus qu’un aperçu du matériel, ce qui a peu de chances de vraiment l’aider. Ainsi, l’organisation se retrouvera dans une situation exceptionnelle et kafkaïenne –  elle devra réfuter des accusations dont la nature n’a pas été révélée.

Bien au courant des problématiques de ce processus, la loi suggère implicitement qu’une organisation peut faire appel à la Haute Cour pour faire abroger la déclaration. Cependant, là aussi, nous verrons vraisemblablement la même dynamique en jeu. Le matériel classifié restera classifié. Au mieux, le tribunal demandera que les requérants puissent avoir l’autorisation de voir le matériel, bien sûr ex parte.

Les requérants auront alors le choix entre deux possibilités, toutes deux aboutissant au même résultat. S’ils refusent la requête des juges, le tribunal rejettera la pétition parce que les requérants n’auront pas supporté leur charge de la preuve. S’ils acceptent la suggestion du tribunal, le tribunal examinera alors le matériel classifié mais, comme les requérant n’y auront pas accès, ils ne pourront réfuter aucune des informations fournies aux juges.

C’est ainsi que le processus biaisé se reproduira à la Haute Cour. Et tandis que les juges ont toujours la possibilité d’annuler la déclaration, étant donné leur confiance permanente et leur acceptation des preuves secrètes fournies par le Shin Bet, les chances qu’il le fassent sont maigres, voir nulles. – Adam Shinar, Professeur associé à la Faculté de Droit Radzyner, Reichman University

2. Quelles preuves y a-t-il de quelque lien que ce soit entre ces organisations et le FPLP ?

Israël n’a fourni aucune preuve qui soutienne ses accusations comme quoi les six organisations de la société civile palestinienne fonctionneraient comme des « bras » du FPLP, comme le décrètent les ordres exécutifs qui les désignent comme associations « terroristes ». Cette absence de preuves montre non seulement le non-fondé de ces accusations, mais fait aussi partie d’une stratégie délibérée d’Israël pour masquer les motifs de ses actions.

En utilisant l’étiquette d’appartenance à un « réseau terroriste », dans ce cas le FPLP, Israël et les organisations pro-israéliennes s’en prennent depuis des années aux donateurs pour interrompre le financement de ces associations palestiniennes de défense des droits de l’Homme – dont certaines sont en première ligne pour faire avancer les cas devant la Cour Pénale Internationale, y compris contre le ministre de la Défense Gantz lui même – tout en emprisonnant par ailleurs des défenseurs des droits de l’Homme sur le terrain. Les donateurs, dont les gouvernements européens, n’ont eux mêmes, et à plusieurs reprises, trouvé aucun fondement à ces accusations.

Maintenant, Israël désigne officiellement ces associations en tant que « terroristes » afin de se cacher derrière l’utilisation de « preuves secrètes ». Ceci permet à Israël de faire ce qu’il veut avec les organisations grâce à des pouvoirs autoritaires, tout en forçant les donateurs, les militants et autres à essayer de réfuter la négation. Souvenez vous que ces ordres ont été émis par le même ministre du gouvernement qui a autorisé cet été à Gaza le bombardement d’un immeuble qui abritait les bureaux de divers médias, dont l’Associated Press, également sous le prétexte de « preuves secrètes ».

Les attaques contre les six organisations palestiniennes ne sont par conséquent qu’une étape de plus dans la longue série de tentatives pour essayer d’interdire toute critique, et particulièrement tout activisme juridique, contre Israël. Ces attaques contre les militants palestiniens se sont encore intensifiées, y compris en juillet, avec l’emprisonnement par Israël de Shata Odeh, directrice du Comité Palestinien du Travail pour la Santé. Il n’est pas très étonnant que des centaines d’organisations de défense des droits de l’Homme à travers le monde aient percé à jour la dernière façade d’Israël. – Diana Buttu, avocate et analyste

3. Israël cible ces associations depuis des années. Cette évolution est-elle différente ?

Oui et non. Elle fait partie d’une tendance continue et croissante qui a toujours été présente mais qui a été poussée à la vitesse supérieure quand le gouvernement israélien a adopté cette dernière décennie une politique consistant à « passer à l’offensive » contre la contestation de la société civile mondiale. Normalement, nous voyons les organisations étroitement liées, et souvent directement coordonnées au gouvernement israélien, s’engager dans ces campagnes de diffamation pour viser ceux qui soutiennent ces organisations, en particulier en Europe. Dans l’ensemble, les bailleurs et les gouvernements européens n’ont pas été convaincus par les affirmations d’Israël contre les six organisations palestiniennes, malgré les campagnes incessantes de diffamation menées par les organes du gouvernement et les ONG d’extrême droite. Cette dernière action directe du gouvernement, carte qu’Israël aurait toujours pu jouer, pourrait représenter une reconnaissance que les autres démarches ont échoué.

En d’autres termes, Israël avait d’abord espéré que d’autres que lui mèneraient des actions répressives contre ces associations afin qu’il puisse échapper aux réactions négatives qui en découlent dans les relations publiques, mais comme cela n’a pas marché, il a simplement décidé d’agir lui même.

Cela se passe aussi parallèlement à un débat continu dans les cercles politiques israéliens sur la meilleure façon de gérer la dissension dans la société civile mondiale. Certaines voix veulent un effort dédié et coordonné du gouvernement, mené par un ministère du gouvernement à la manière du ministère des Affaires Stratégiques récemment fermé. D’autres soutiennent une approche différente, qu’ils pensent être plus avisée et moins idiote, menée par le ministère des Affaires Étrangères. Ni les unes ni les autres ne sont opposées à la répression des Palestiniens – qui reste l’objectif – mais le débat concerne la façon de s’y engager au moindre coût.

Finalement, ceci représente la dernière étape dans la descente vers l’autoritarisme ; chemin qu’Israël continue de suivre tout en doublant et triplant sa politique d’apartheid. – Yousef Munayyer, universitaire palestino-américain et membre du conseil d’administration de +972

4. Comment la qualification des ONG par Israël en tant qu’ « associations terroristes » affectera-t-elle les gens qui travaillent dans ces organisations ? Les implications sont-elles différentes selon que les employés sont citoyens palestiniens d’Israël ou résidents palestiniens des territoires occupés ?

Désigner une ONG en tant qu’organisation terroriste entraîne un lot de conséquences générales qu’on ne peut toutes décrire ici. Mais une conséquence importante réside dans la transformation presque automatique des employés et membres de l’équipe en membres d’une organisation terroriste, à très peu d’exceptions près.

La plupart des employés de ces ONG tomberaient sous le coup des dispositions pénales de la Loi de 2016 sur l’Antiterrorisme, selon le rôle qu’ils jouaient dans leur travail. Le plus souvent, cependant, et sans tenir compte de ce que leur travail impliquait, ils pourraient avoir à faire face à des accusations criminelles fondées sur le seul fait de leur appartenance à une organisation terroriste, passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Prendre part à « l’activité de l’organisation » ou exercer des activités « au nom de l’organisation » ou « dans l’intention de promouvoir son activité » pourrait entraîner une peine allant jusqu’à sept ans de prison. Ces activités ne concernent pas que les « actes de terrorisme », quels qu’ils puissent être dans le contexte de ces six ONG ; elles recouvrent toutes les activités de ces organisations, même celles qui sont parfaitement légales. La loi définit clairement l’activité d’une organisation terroriste comme « comprenant une activité légale ou une activité à des fins légales ». Ainsi, tout employé faisant son travail dans l’ONG pourrait éventuellement être accusé de cette infraction.

Par ailleurs, recruter d’autres membres, « directement ou indirectement », entraîne une peine passible de sept ans de prison. Pensez alors à ceux qui participent à l’embauche de nouveaux membres de l’équipe de ces ONG. Ceux qui occupent des postes de direction dans les ONG sont soumis à des peines plus sévères (jusqu’à 10 ou 15 ans, en se fondant sur l’activité liée à leur rôle), et les chefs ou directeurs de ces ONG pourraient craindre jusqu’à 25 ans de prison. Tous ces membres du personnel pourraient n’être poursuivis que sur la base de décrets de désignation ; l’État n’aurait pas besoin de prouver qu’ils ont commis des actes violents ou criminels, autres que simplement travailler dans ces ONG et contribuer à leurs objectifs déclarés, légitimes et légaux. Prouver quoi que ce soit de contraire, si l’État décide de poursuivre, sera à la charge du défendeur.

Nous devrions nous souvenir que les décrets de désignation se fondent sur des preuves classifiées, auxquelles les ONG et les employés n’ont pas accès. Par conséquent, dans une procédure criminelle contre les employés de ces ONG, dans lesquelles le décret de désignation est considéré comme un élément de preuve pertinent, les condamnations seraient essentiellement fondées sur des informations classifiées qui ne peuvent être directement examinées ni contestées.

Enfin, il ne semble pas y avoir de différence concrète dans les conséquences des décrets de désignation vis-à-vis des travailleurs qui sont citoyens d’Israël et ceux qui sont résidents des territoires occupés. La Loi sur l’Antiterrorisme permet de poursuivre les membres des organisations désignées « terroristes » en Israël même si les infractions ont été commises hors des frontières de l’État. Ceci veut dire que les employés des ONG ciblées, qu’ils soient résidents de Cisjordanie ou citoyens d’Israël, seraient soumis aux mêmes ramifications juridiques de la désignation de leurs lieux de travail comme « organisations terroristes ». – Fady Khoury, avocat palestinien pour les droits civils et politiques à Adalah – Centre Juridique pour les Droits de la Minorité Arabe en Israël

5. Comment cette désignation affectera-t-elle la capacité des organisations à lever des fonds ?

Les ramifications financières de la récente désignation de six organisations de la société civile palestinienne comme « organisations terroristes » sont d’une portée considérable. Chacune de ces organisations à but non lucratif dépend, au moins en partie, de dons de bienfaisance pour soutenir leur travail et leur personnel, et la majorité de ces dons proviennent de gouvernements, de fondations et d’individus situés hors de Palestine. Du moment où elles sont déclarées organisations terroristes par Israël, plusieurs implications juridiques sont déclenchées pour les organisations, leurs membres (ou dans ce cas leur équipe), et d’autres qui peuvent s’engager avec elles, ce qui a un impact direct sur leur capacité à collecter et à conserver des financements pour leurs opérations.

Selon la Loi israélienne de 2016 sur l’Antiterrorisme, loi qui a fait fusionner toutes les lois qui régissaient précédemment cette question, c’est un crime passible de cinq ans d’emprisonnement que de fournir des services ou des moyens pour aider les activités d’une organisation désignée comme terroriste. C’est ici le cas en dépit du fait que ces désignations ne sont d’abord que « temporaires » jusqu’à un maximum de 60 jours à partir de leur publication, après quoi elles sont soit retirées par le ministre de la Défense (souvent à la demande d’une agence de sécurité ou d’autres parties du gouvernement), annulées suite à un appel de l’organisation concernée, soit déclarées définitives.

Bien qu’il n’y ait que peu ou pas de jurisprudence précédente dans le cadre de cette loi relativement nouvelle, il ne fait aucun doute que l’intention était de criminaliser l’attribution de financement à ce genre d’organisations et, en tant que telle, la désignation est susceptible de conduire (si ce n’est déjà fait) au gel des virements bancaires depuis l’étranger sur les comptes de ces organisations, que ce soit par les banques israéliennes ou les banques palestiniennes elles mêmes. Elle peut aussi conduire les bailleurs étrangers à mettre fin à leur engagement envers les organisations, même alors que la désignation d’une organisation par Israël ne la met pas automatiquement hors-la-loi ni ne criminalise son financement dans d’autres juridictions. Chaque pays possède son propre registre et ses propres critères et procédures.

Quoi qu’il en soit, ces dispositions juridiques s’appliquent immédiatement en Israël qui contrôle le flux de l’argent qui entre et sort des banques palestiniennes. Par conséquent, il semble inévitable que ces organisations subissent un coup important sur leur financement, même si ces désignations sont finalement déclarées sans fondement.

Il est intéressant de noter que, malgré les restrictions et les obstacles juridiques, beaucoup des bailleurs les plus importants ont dit qu’ils cherchaient les moyens de poursuivre le financement de ces organisations. – Emily Schaeffer Omer-Man, avocate internationale des droits de l’homme

6. Quel impact cette décision aura-t-elle sur les communautés palestiniennes ?

Premièrement, les communautés palestiniennes seront plus vulnérables face aux agressions israéliennes sans l’aide de ces défenseurs des droits de l’Homme. La décision d’Israël menace de mettre fin à la capacité opérationnelle de ces organisations, d’empêcher par la peur le personnel actuel de travailler, et d’empêcher le recrutement de nouveaux membres (dont beaucoup font partie des communautés les plus menacées par Israël). Cette décision met en danger les équipes qui font un travail incroyable de contrôle des violations des droits de l’Homme, de représentation des prisonniers, de défense des familles qui font face à un déplacement, de défense des individus devant les tribunaux israéliens et internationaux, et de mise en lumière des réalités sur le terrain.

Deuxièmement, cette décision fait partie d’une agression culturelle plus profonde contre la société palestinienne. Depuis 1948, Israël poursuit une campagne systématique d’effacement des documents et des archives des Palestiniens, empêchant toute expression de leur culture et de leur identité, et sapant leur documentation sur les violations des droits de l’Homme. Cette campagne vise à affaiblir les institutions palestiniennes de recherche et d’éducation, qui représentent une part essentielle de la capacité des Palestiniens à formuler, imaginer et construire leur propre tissu politique, leur mémoire collective et leur récit historique. Ces institutions sont également essentielles pour faire connaître au monde le peuple palestinien et les crimes commis contre lui. Israël espère maintenant infliger le même effacement à ces six organisations, dont le travail non seulement nourrit le militantisme et l’identité palestiniennes, mais procure également une preuve vitale pour parvenir à définir les responsabilités à l’avenir.

Troisièmement, la décision cherche à refroidir les réseaux de la solidarité internationale qui sont partenaires de ces organisations et s’engagent avec les communautés palestiniennes sur le terrain. De la même façon qu’Israël s’est servi d’une loi anti-BDS pour expulser en 2019 le directeur pour Israël-Palestine de Human Rights Watch, Omar Shakir, la Loi sur l’Antiterrorisme peut maintenant être utilisée pour accuser n’importe quel militant étranger des droits de l’Homme, y compris membre des principales organisations internationales, d’être lié au terrorisme. Ce qui fait que ces équipes et leurs réseaux peuvent devenir plus vulnérables au déni d’accès et à la possibilité de travailler où que ce soit en Palestine-Israël, affaiblissant encore plus le soutien international à ces communautés. – Ines Abdel Razek, directrice de plaidoyer à l’Institut Palestinien de la Diplomatie Publique (PIPD)

7. Quelle probabilité existe-t-il que ces organisations essaient de contester la désignation en passant par le système juridique israélien ? Que peuvent faire les organisations pour combattre la désignation ?

Il serait étonnant que ces organisations particulières décident d’approcher les autorités israéliennes ou le système judiciaire, parce qu’on pourrait le percevoir comme une légitimation indirecte. Il est par contre possible que des ONG israéliennes déposent une plainte à la Haute Cour contre la désignation, mais parce que la preuve est entièrement classifiée, elles devront faire face à un combat ardu.

Ces organisations peuvent également porter leur combat hors d’Israël-Palestine. L’étendue que cela pourrait avoir dépend de savoir si Israël donne suite à sa déclaration et entame des démarches actives contre les organisations. Si oui, il est difficile de prédire si les organisations ciblées seraient seulement capables d’interagir avec d’autres organismes. En supposant qu’elles en seraient capables, les organisations pourraient essayer d’utiliser ce que nous appelons « l’effet boomerang », en faisant pression sur Israël avec les ONG internationales de défense des droits de l’Homme.

Le problème alors c’est que la capacité pour ces organisations d’affecter la politique israélienne a diminué de façon significative ces dernières années. Une autre option consiste à augmenter la pression sur Israël en passant par des organes de l’ONU tels que le Conseil aux Droits de l’Homme. Mais là aussi, Israël n’a pas été réceptif dans le passé aux critiques du conseil.

Finalement, la démarche qui peut leur procurer le plus d’avancée, c’est probablement de pousser les gouvernements étrangers, et en particulier les États Unis, à faire objection à cette déclaration. L’avenir nous dira si ça marche. – Eliav Lieblich, Professeur de Droit à la Faculté de Droit Buchmann, Université de Tel Aviv

8. Que peut faire la communauté internationale ?

La communauté internationale a besoin de reconnaître que cette action contre les organisations palestiniennes de défense des droits de l’Homme ne sort pas de nulle part : elle est le résultat de sa propre inaction depuis des décennies face à la politique répressive d’Israël contre les Palestiniens. C’est un produit de l’impunité qu’elle a elle même cultivée en retirant toute forme de responsabilité sur l’État d’Israël.

Il y a quantité de mesures que les acteurs internationaux devraient maintenant mettre en œuvre. Sur le plan pratique, ils doivent renforcer leur engagement envers la société civile palestinienne, qui est actuellement le seul espace de progression du mouvement pour les droits et la libération des Palestiniens, étant donné l’absence d’un projet politique national dans le cadre de l’OLP. La communauté internationale doit contourner toute tentative israélienne de criminalisation du secteur des droits de l’Homme en continuant à financer ces organisations, et en atténuant toutes les conséquences que la qualification de « terroriste » par Israël aura sur les possibilités de financement. Elle doit aussi tenir Israël pour responsable de ses affirmations diffamatoires et à chaque fois non fondées liant le travail pour les droits de l’Homme au terrorisme.

Au niveau macro, la communauté internationale doit fondamentalement rejeter le paradigme sécuritaire dont Israël se sert pour justifier ses tactiques extrêmes et violentes – spécialement dans le cadre plus large de la Guerre contre le Terrorisme. Le blocus de Gaza, par exemple, est justifié en tant que mesure de sécurité, malgré la punition collective inhérente à l’emprisonnement là-bas de deux millions de Palestiniens. Les raids dans les maisons, les checkpoints, les détentions administratives, les assassinats extrajudiciaires, la torture et les expropriations sont elles aussi exécutées sous la rubrique de la sécurité.

La criminalisation des six organisations palestiniennes n’est que la dernière manifestation d’une réalité où tout ce qui ne se soumet pas à l’oppression israélienne est considéré comme « terroriste » – qu’il s’agisse d’une manifestation pacifique, d’un plaidoyer ou d’une action en justice. Le résultat d’un paradigme aussi vicié, c’est l’acceptation des violations du droit international et la punition de ceux qui défendent les droits de l’Homme. La communauté internationale doit fermement s’y opposer. – Tareq Baconi, analyste et écrivain.

9. Y a-t-il des risques à exprimer publiquement sa solidarité avec ces organisations ?

La section 24(a) de la Loi israélienne de 2016 sur l’Antiterrorisme inflige jusqu’à trois ans de prison pour « expression d’une identification avec une organisation terroriste, y compris en publiant l’expression de louanges, de soutien ou de sympathie, en levant un drapeau, en présentant ou publiant un symbole, ou en présentant, diffusant ou publiant un slogan ou un hymne ». Cette loi stipule aussi comme infraction pénale le fait d’aider à préparer, créer ou distribuer des publications qui expriment ce genre d’identification, ou de les posséder dans l’intention de les distribuer.

Malgré cette interdiction, il y a eu au cours des dernières semaines un déferlement public de soutien aux six associations de la société civile palestinienne, y compris de la part d’experts en droits de l’Homme des Nations Unies, d’une coalition de 24 associations de la société civile israélienne et d’organisations internationales de défense des droits de l’Homme, qui toutes exigent que le ministère israélien de la Défense annule la désignation. Le gouvernement israélien n’a jusqu’à présent engagé aucune action supplémentaire contre les organisations, dont les bureaux restent ouverts, ou contre ceux qui leur expriment leur soutien.

Ces expressions de solidarité – ainsi que les appels au gouvernement israélien pour qu’il annule la désignation – sont des outils puissants dans le combat pour maintenir de l’espace pour les associations de la société civile palestinienne. Il est essentiel que ces associations puissent poursuivre leur travail d’opposition aux pratiques tyranniques de l’autorité israélienne, comme de l’autorité palestinienne, et d’efforts vers un avenir meilleur pour les enfants, les agriculteurs, les travailleurs, les personnes LGBT, les femmes, et d’autres pour qui travaillent ces associations.

Nombre de gouvernements, y compris en Europe et aux États Unis, ont dit qu’ils attendaient des éclaircissements de la part du gouvernement d’Israël. Vous pouvez soutenir ces six associations en vous opposant publiquement à ces désignations et en demandant à vos représentants élus de faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il leur permette de poursuivre leur travail vital. – Sari Bashi, avocat israélien des droits de l’homme et conseiller spécial à Human Rights Watch.

10. Le gouvernement va-t-il ensuite cibler les associations israéliennes de défense des droits de l’Homme ?

Avant quoi que ce soit d’autre, il faut redire ce qui suit : il ne s’agit pas, et il ne doit pas s’agir ensuite, de ce qui pourrait arriver à l’avenir aux Israéliens ; il s’agit de ce qui arrive actuellement aux Palestiniens. C’est cela le sujet d’intérêt et il doit le rester.

Étant données les véritables priorités du régime israélien – c’est-à-dire réussir à maintenir et à promouvoir les pratiques oppressives de l’apartheid et de l’occupation sans avoir à faire face aux conséquences internationales – il est clair que les véritables organisations de défense des droits de l’Homme sont sur la ligne de mire. En soi, ce n’est pas nouveau : considérez simplement les centaines d’associations palestiniennes qu’Israël a déjà déclarées illégales au cours des décennies.

Nous pouvons pourtant entamer un nouveau chapitre, grâce aux développements en cours : (1) le consensus croissant parmi les Palestiniens, les Israéliens et les organisations internationales de défense des droits de l’Homme pour dire que le régime d’Israël est un régime d’apartheid ; et (2) l’enquête pour crimes de guerre actuellement en cours à La Haye.

Alors, on devrait s’attendre à ce que ceux qui sont perçus par le gouvernement israélien comme promouvant ces deux questions soient ciblés pour tout ce qui peut se situer entre délégitimation et criminalisation. Les mesures spécifiques prises varieront et les Palestiniens – comme toujours – seront les premiers visés et subiront le poids le plus lourd de ces actions israéliennes.

Plus précisément, la section 24(a) de la Loi israélienne de 2016 sur l’Antiterrorisme déclare que « Celui qui commet un acte d’identification avec une organisation terroriste, y compris en publiant des mots de louange, de soutien ou de sympathie… est passible de trois ans d’emprisonnement. » Cependant, cette clause ne s’avérera être un silencieux efficace que dans la mesure où les ONG israéliennes décideront de s’y soumettre. Nous ne devrions pas – et jusqu’ici, nous ne le faisons pas. – Hagai El-Ad, directeur exécutif de B’Tselem

Traduction : J.Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : +972

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