Apple poursuit en justice l’entreprise israélienne d’espionnage NSO Group

Par Ali Abunimah, le 24 novembre 2021

Un vendeur palestinien présente des produits Apple en novembre 2020 à Gaza ville. Apple poursuit en justice NSO Group à propos de l’utilisation par l’entreprise israélienne d’un logiciel espion qui a corrompu des téléphones portables dans divers pays à travers le monde. (Mahmoud Ajjour / APA images)

Apple est le dernier géant de la Silicon Valley à poursuivre en justice une célèbre entreprise israélienne de logiciels espions.

Le fabricant de l’iPhone a annoncé mardi qu’il avait déposé plainte contre NSO Group et sa société mère « pour la tenir pour responsable de la surveillance et du ciblage des utilisateurs d’Apple ».

Apple veut également interdire définitivement à NSO Group d’utiliser ses logiciels, services ou dispositifs.

« NSO Group et ses clients consacrent les immenses ressources et capacités des États-nations pour mener des cyberattaques extrêmement ciblées qui leur permettent d’accéder aux microphones, caméras et autres données sensibles sur les dispositifs Apple et Androïd », a dit Apple mardi.

« Des entreprises d’espionnage mercenaires comme NSO Group ont facilité certaines des pires violations des droits de l’homme et actes de répression transnationale, tout en s’enrichissant, elles et leurs investisseurs », a dit Ron Deibert, directeur de Citizen Lab [le Labo Citoyen] à l’université de Toronto.

Deibert a applaudi le procès et a dit qu’il espérait qu’en le menant, « Apple aidera à rendre justice à tous ceux qui ont été des victimes du comportement irresponsable de NSO Group ».

Parallèlement à Amnesty International, Apple a chargé Citizen Lab de fournir de la documentation sur la façon dont le logiciel espion Pegasus de NSO Group a été utilisé par des gouvernements pour cibler des travailleurs des droits de l’homme et des journalistes dans le monde entier.

Récemment, les deux organisations ont confirmé que Pegasus servait à espionner les employés de plusieurs associations de défense des droits de l’homme qu’Israël a désignées le mois dernier comme étant « terroristes » dans le but de salir et de saboter leur travail de documentation sur ses crimes.

Plus tôt ce mois-ci, un juge fédéral américain a refusé une motion de NSO Group pour rejeter une demande de procès déposée par WhatsApp et sa société mère Facebook – maintenant rebaptisée Meta – à propos du ciblage en 2019 de 1.400 de ses utilisateurs par le logiciel espion Pegasus.

Parmi les pays où le logiciel espion Pegasus a été largement utilisé, il y a le Bahreïn, le Kazakhstan, le Mexique, le Maroc, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis.

Des dizaines de journalistes de nombreux autres pays, dont la Grande Bretagne, la France, l’Espagne, la Hongrie et l’Inde, ont été identifiés comme des cibles potentielles.

NSO Group dit qu’il ne vend sa technologie qu’aux gouvernements.

« Nouvelles protections de sécurité » pour les iPhones

Citizen Lab a révélé en octobre qu’un éminent journaliste du New York Times, qui a précédemment écrit un reportage sur NSO Group et qui rédige un livre sur l’Arabie Saoudite, avait été ciblé à plusieurs reprises avec Pegasus.

Le groupe de recherche a dit qu’il était incapable de confirmer qui avait mené ces attaques, mais qu’il croyait que l’opérateur responsable de l’un de ces piratages sur le journaliste du Times « était également responsable du piratage du militant saoudien en 2021 ».

Tout en cherchant à empêcher d’autres violations par NSO Group, Apple rassure également ses clients parce qu’il a bloqué toutes les voies connues par lesquelles Pegasus est venu infecter ses dispositifs.

La société a dit que son tout dernier système de fonctionnement de l’iPhone, IOS 15 « contient quantité de nouvelles protections de sécurité ». Apple affirme aussi qu’il « n’a observé aucune preuve d’attaques à distance réussies contre les dispositifs qui font marcher IOS 15 et les versions ultérieures ».

Apple a redit que les usagers devraient toujours s’assurer que leurs appareils sont dotés des logiciels les plus récents.

« Les démarches que nous entreprenons aujourd’hui enverront un message clair », a dit Ivan Krstic, chef de l’ingénierie de sécurité d’Apple. « Dans une société libre, il est inacceptable d’armer de puissants logiciels espions parrainés par un État contre ceux qui cherchent à rendre le monde plus vivable. »

La société a dit qu’elle contribuerait à hauteur de 10 millions de dollars ainsi qu’à tous dommages et intérêts consécutifs au procès « pour les organisations qui poursuivent la recherche et le plaidoyer sur la cybersurveillance ».

Les sanctions américaines peuvent mettre l’entreprise en faillite

La démarche d’Apple n’est que le dernier malheur qui frappe NSO Group.

Parallèlement à une autre société israélienne, Candiru, NSO Group a récemment été mise sur liste noire par le gouvernement américain pour fabrication de logiciel espion utilisé par des gouvernements étrangers « pour cibler perfidement des représentants de gouvernements, des journalistes, des hommes d’affaires, des militants, des universitaires et des employés d’ambassade ».

Le logiciel espion de Candiru est soupçonné d’avoir été utilisé dans des attaques sur quelque 20 sites internet depuis 2020, dont la publication Middle East Eye [L’Œil du Moyen Orient].

ESET, entreprise de cybersécurité qui a collecté des renseignements sur les attaques de Candiru, a dit que les cibles avaient « des liens avec le Moyen Orient et un intérêt marqué pour le Yémen et le conflit environnant ».

Elle y a aussi inclus des sites internet appartenant au ministère iranien des Affaires étrangères, au ministère syrien de l’Électricité et un site géré par des dissidents saoudiens.

Après sa mise sur liste noire par les Américains, le nouveau PDG de NSO Group a quitté le navire une semaine seulement après sa nomination.

Israël considère NSO Group comme « un élément essentiel de sa politique étrangère et fait pression sur Washington pour retirer la société de la liste noire », a rapporté The New York Times plus tôt ce mois-ci.

En attendant, le coût du désaccord avec les États-Unis – qui a décrit sa mise sur liste noire des entreprises israéliennes comme « faisant partie des efforts de l’administration Biden-Harris pour mettre les droits de l’homme au centre de la politique étrangère américaine » – grimpe.

La cotation de crédit de la société Moody’s de cette semaine a dit que NSO Group risquait de perdre 500  millions de dollars de prêts parce que les sanctions américaines sur l’entreprise rendraient plus difficiles la levée de fonds et l’adhésion de nouveaux clients.

Menace mondiale provenant d’Israël

Nonobstant les difficultés auxquelles font face NSO Group et Candiru, il ne faudrait pas s’imaginer que les menaces sur la vie privée, la liberté d’expression et la liberté politique qui émanent de l’industrie israélienne de guerre informatique soutenue par le gouvernement vont diminuer de sitôt.

On dit qu’Israël teste de puissants systèmes de reconnaissance faciale sur la population palestinienne captive en Cisjordanie occupée, permettant une surveillance en temps réel largement étendue.

Israël peut aussi écouter chaque conversation téléphonique qui prend place en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, a rapporté Middle East Eye au début de ce mois, citant un ancien membre de l’Unité 8200, division d’espionnage électronique de l’armée d’Israël.

« Tout portable ou téléphone importé dans Gaza par le passage de Kerem Shalom – au sud de Gaza – est implanté d’une puce israélienne, et quiconque utilise les deux seuls réseaux pour portables installés dans les territoires occupés – Jawpal et Wataniya – est lui aussi surveillé », a affirmé la publication, citant le lanceur d’alerte anonyme.

Les Palestiniens que cible Israël se retrouvent dans deux groupes : dans le premier se trouvent ceux qui ont une activité politique ou qui représentent ceux qu’Israël considère comme une menace pour « la sécurité ». Le deuxième groupe, ce sont les Palestiniens qui peuvent être mis sur liste noire.

« Il pourrait s’agir de trouver des gays sur qui on peut faire pression pour qu’ils parlent de leurs proches, ou de trouver un homme qui trompe sa femme », a dit l’ancien de l’Unité 8200 à Middle East Eye. « Trouver quelqu’un qui doit de l’argent à un autre, disons, signifier qu’on peut le contacter et lui offrir de l’argent pour payer sa dette en échange de sa collaboration. »

Ce rapport confirme ce qu’un groupe d’anciens de l’Unité 8200 a révélé en 2014 à The Guardian.

Les informations obtenues grâce à une surveillance massive des Palestiniens ont également servi à planifier et exécuter la violence. Un vétéran a déclaré en 2014 que les membres de l’Unité 8200 utilisaient l’expression « du sang sur les oreillettes », ou traçaient un « X » sur leur casque après un assassinat.

De nombreux vétérans de l’Unité 8200 accèdent à un emploi lucratif dans des entreprises privées d’espionnage dont Candiru, NSO Group et l’entreprise DarkMatter propriété des Émirats Arabes Unis.

Une indignation s’est également manifestée plus tôt cette année parmi les membres du Parti Travailliste de Grande Bretagne après que l’Electronic Intifada ait révélé que Keir Starmer avait embauché un ancien espion de l’Unité 8200 pour travailler dans son bureau quand il a succédé à Jeremy Corbyn à la tête du parti.

Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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