Roger Waters : Pourquoi je soutiens la procédure pour crimes de guerre contre le ministre israélien Benny Gantz

Par Adri Nieuwhof, le 6 décembre 2021

Roger Waters (Eric Slomanson / ZUMA Press)

Mardi (7 décembre), un tribunal de La Haye dira si un procès pour crimes de guerre peut être intenté contre Benny Gantz, ministre israélien de la Défense, et Amir Eshel, ancien commandant en chef de l’armée de l’air.

C’est l’étape la plus récente de la tentative menée par le citoyen palestino-néerlandais Ismail Ziada pour obtenir justice pour le bombardement par Israël en 2014 de la maison familiale à Gaza, qui a coûté la vie à sa mère et à six autres personnes.

Gantz, à l’époque, était chef d’état-major de l’armée israélienne.

The Electronic Intifada a demandé à Roger Waters pour quelles raisons il soutenait l’action judiciaire de Ziada.

Le musicien de rock se rappelle avoir lu un article sur cette famille et ce qu’elle avait subi.

“En lisant ce récit j’ai été ému, je me suis senti malheureux, triste”, se rappelle-t-il.

“Ce nom de Ziada s’est gravé dans ma tête, et puis j’ai entendu parler d’un Palestinien en Hollande” qui poursuivait en justice Gantz et Eshel, raconte-t-il. “C’est comme ça que je me suis impliqué.”

“Ça arrive tous les jours, à chaque minute, chaque jour, ça arrive à une famille palestinienne”, ajoute Waters. “Nous ne pouvons pas écrire sur tous ces gens.”

Mais Waters a vu une possibilité de soutenir la justice dans au moins un cas.

“Le paysage se transforme”

En septembre, Ziada a fait appel du jugement d’un tribunal de première instance estimant que les deux chefs militaires israéliens bénéficiaient de l’immunité pour les crimes qui leur étaient imputés car ils les avaient commis en mettant en œuvre une politique officielle.

Cette semaine, Ziada saura si la décision de la Cour d’appel lui est favorable, ouvrant la voie à une poursuite de la procédure, ou si la justice pour les Palestiniens est encore une fois dans l’impasse.

Ziada est représenté par Liesbeth Zegveld, avocate respectée dans le domaine des droits humains. Elle affirme que les crimes de guerre sont commis par des individus, et non par des États.

Les Principes de Nuremberg – établis lors des procès de dirigeants nazis après la Seconde Guerre mondiale – disposent explicitement que ceux qui commettent des crimes de guerre ne peuvent réclamer l’immunité parce qu’ils ont agi sur l’ordre de leur gouvernement ou parce qu’ils exécutaient des ordres.

Gantz et Eshel sont donc responsables, en tant qu’individus, du bombardement qui a tué la famille de Ziada, affirme Zegveld.

Ismail Ziada a poursuivi en justice deux généraux israéliens à la suite de la mort de six proches au cours de l’offensive d’Israël contre Gaza, en 2014. (Via Facebook)

“Je suis heureux que tous ensemble, nous tous qui soutenons Ismail Ziada, nous insistions au moins pour que le monde tende une caméra et un micro et capte les arguments avancés dans ce tribunal de La Haye”, souligne Waters.

“C’est peut-être le seul endroit au monde où un juge ou un collège de juges peuvent entendre ces arguments, parce qu’ils ne vont certainement pas les entendre en Israël.”

Pour Waters, cette affaire donne à celles et ceux qui œuvrent pour la justice en Palestine une chance de communiquer avec d’autres personnes et de mener une action éducative dans une période où les opinions sont en train de changer.

“Le paysage se transforme sous nos yeux sans arrêt”, lance-t-il au signataire de cet article. “Je souhaite encourager le chœur auquel nous nous adressons, vous comme moi, à chanter plus fort. Nous sommes en train de prendre pied.”

“Il faut descendre dans la rue”, insiste-t-il. “Rejoindre toutes ces manifestations pro-palestiniennes.”

“Vous devez vous grouper devant le Bundestag avec les autres, 500 ou 600 personnes, même si c’est un tout petit chiffre”, dit-il, en exprimant le vœu de voir “la moitié de la population allemande” venir manifester devant le Parlement de leur pays.

“Ou vous devez être à La Haye devant le tribunal, au coude à coude avec vos frères et vos sœurs, pour manifester”, ajoute Waters.

Un lobby odieux

Ce n’est pas avant 2006 que Waters a commencé à défendre la Palestine, précise-t-il.

Il rend hommage au journalisme et à des films comme 5 caméras brisées qui l’ont éclairé au sujet des réalités de la Palestine, y compris des situations comme celle de Ziada.

Cela fait d’ailleurs longtemps que Waters lit The Electronic Intifada : un jour, raconte-t-il, “un gars s’est approché de moi à un concert et m’a demandé s’il pouvait me parler d’un truc”.

Avant de faire carrière en solo, Waters jouait avec le groupe de rock légendaire Pink Floyd. Il est l’auteur d’un des morceaux les plus connus du groupe, “Another Brick in the Wall.”

Ce morceau est devenu un hymne protestataire pour les étudiants noirs d’Afrique du Sud, ce qui a entraîné son interdiction par le régime d’apartheid en 1980.

Aujourd’hui, Israël – qui pratique l’apartheid contre les Palestiniens – et le lobby à son service considèrent à leur tour Waters comme une menace.

“Ils m’ont attaqué de toutes les façons possibles, sauf qu’ils n’ont pas interdit mes chansons”, répond Waters quand on lui demande quelle a été la réaction à sa défense des droits des Palestiniens.

Il précise que ses chansons sont appréciées en Israël mais, selon lui, “ ils ne comprennent visiblement pas tout à fait de quoi ça parle, sans quoi ces morceaux ne seraient pas aussi populaires”.

Waters énonce un soupçon : certaines personnes voudraient bien “que je blanchisse le régime en chantant en Israël” – comme il soutient le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions, il refuserait de le faire.

La rock star travaille depuis longtemps avec des groupes de vétérans – c’est une cause qui lui est chère.

Mais Waters souligne que cette activité philanthropique a subi “des dommages collatéraux” à cause de son soutien aux droits des Palestiniens.

“Le lobby aux États-Unis a été odieux”, dit-il, accusant les partisans d’Israël d’avoir fait pression sur des groupes de vétérans pour qu’ils ne travaillent pas avec lui.

“Et ça s’est reproduit encore et encore, tant et tant de fois”, ajoute-t-il.

“J’ai reçu des lettres de collègues annonçant que ma carrière allait prendre fin, que cela surviendrait très brusquement, que j’allais disparaître, que personne n’entendrait plus parler de moi”, raconte Waters.

“Il n’y avait aucune ambigüité : ils voulaient me faire taire.”

Waters se sent atteint personnellement par ces accusations constantes d’antisémitisme.

“Mon père, fils d’un mineur de charbon du comté de Durham, s’est pris en main tout seul, a fini par obtenir un diplôme de l’université de Durham, puis est parti pour Jérusalem où il a enseigné la théologie, l’histoire et l’anglais entre 1935 et 1938, après quoi il est mort en Italie le 18 février 1944, en combattant la menace nazie”, a-t-il écrit en 2014 en réponse aux attaques du lobby israélien.

“N’ayez pas l’audace de vouloir me donner des leçons, à moi, fils de mon père, sur l’antisémitisme ou les droits humains.”

« Un État paria »

Mais les pressions n’ont pas eu d’effet. “Je ne fais plus attention aux calomnies”, dit maintenant Waters.

Presque toute personne qui s’est mêlée de défendre la Palestine peut s’identifier avec ce qu’a vécu Waters, calomnié en tant que prétendu antisémite. À ses yeux, en fait, cette tactique est un signe de faiblesse de la part d’Israël.

“C’est risible parce que jamais de ma vie je n’ai tenu de propos antisémites. Est-ce que j’ai critiqué l’État d’Israël sioniste et d’apartheid ? Oui, bien sûr, je l’ai fait”, dit-il.

“Nous devons appliquer les règles élémentaires d’intégrité inscrites dans le droit international ainsi que la promesse de respect des droits humains pour tous nos frères et toutes nos sœurs, consacrée par la Déclaration des droits de l’homme des Nations unies.”

En s’adressant à Israël – et plus précisément à son ministère des Affaires stratégiques qui a orchestré ces dernières années de nombreuses campagnes de calomnie – Waters ajoute : “Vous devez être persuadés que vous devez, vous aussi, soutenir tout cela, ou être considérés comme ayant dépassé les limites du comportement humain convenable et être traités comme un État paria.”

Waters espère, bien sûr, que la procédure engagée par Ziada aboutira. Mais quelle que soit la décision des juges, cette affaire fait partie de la vaste lutte pour la justice en Palestine, toujours en cours.

Traduction SM pour l’Agence Média Palestine

Source : The Electronic Intifada

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