Le 19 décembre, Bethan McKernan et Quique Kierszenbaum dans les collines du sud d’Hébron
Les participants à un projet linguistique immersif en Cisjordanie témoignent de liens forts qui sont forgés contre la violence des colons.

Dans la cabane en contreplaqué dans laquelle la Palestinienne Iman al-Hahalin et sa famille vivent depuis que leur maison a été détruite au bulldozer par les autorités israéliennes en 2014, la chaleur d’un samovar délabré est la bienvenue. À l’extérieur de l’unique fenêtre, le ciel d’hiver est d’un blanc aveuglant : il inonde la pièce d’une lumière glaciale et fait danser les ombres sur les murs.
Tout le monde a été malade ces derniers temps, semble-t-il, y compris la fille de deux ans d’Hathalin, qui dort d’un sommeil agité sur ses genoux, et Maya Mark, son invitée israélienne arabophone. « Il n’est pas exagéré de dire que Maya est comme ma sœur », dit la jeune femme de 28 ans. « J’étais tellement inquiète quand elle était malade. Nous sommes une famille ».
Les amis se retrouvent dans un village situé au cœur des collines du sud d’Hébron, aussi éloigné qu’il est possible de l’être à l’intérieur de la Cisjordanie.
Cet endroit rocailleux, difficile, est l’une des lignes de front de l’occupation : les maisons, les routes pavées et les citernes d’eau des Palestiniens sont sans cesse démolies en raison d’une interdiction quasi-totale d’en construire, tandis que prospèrent les colonies de peuplement illégales israéliennes.
Plutôt que de se plier devant ces pressions, cependant, la communauté locale est devenue une source profonde d’un militantisme palestinien non violent, lequel a souvent travaillé main dans la main avec le mouvement anti-occupation en Israël. En l’absence de tout processus de paix significatif à haut niveau, Hathalin et Mark font partie d’une nouvelle génération de militants qui, sans bruit, franchissent une nouvelle étape extraordinaire.
Ensemble, avec Nnur Zahor, un autre Israélien parlant arabe, Mark a créé un cours immersif pour enseigner la langue à de jeunes militants israéliens pareillement motivés, dispensé par huit Palestiniennes locales, dont Hathalin. Après plusieurs mois de cours, le projet a permis de forger des relations profondes entre les élèves et les habitants de plusieurs villages, et la présence d’Israéliens permet de riposter à une vague croissante de violence par les colons.

Le projet – qui n’a aucun nom ou titre officiel – est rendu possible grâce à des décennies de travail de militants plus âgés qui ont établi une confiance entre les communautés : il est peu probable qu’il puisse se développer ou être imité ailleurs. Mais rien d’une telle idée de base et de long terme ne s’est jamais produit auparavant, et toutes les personnes impliquées s’accordent pour dire qu’il s’agit d’une entreprise extrêmement gratifiante.
« Les gens ici n’ont pas du tout besoin de nous » dit Mark, 26 ans. « Être ici m’a appris à être plus modeste concernant le militantisme et mon rôle. C’est une expérience exaltante et inestimable que de pouvoir comprendre la profondeur de la résistance ici. »
Selon le groupe israélien de défense des droits de l’homme, B’Tselem, une culture unique de l’habitat troglodyte existe dans les collines d’Hébron depuis au moins les années 1830, des abris naturels sont utilisés comme des maisons et pour garder des moutons et des chèvres. Au cours des décennies qui ont suivi la création d’Israël, des familles bédouines expulsées du désert du Néguev ont également trouvé le chemin de ces contreforts arides, au nord de leurs terres ancestrales.
Israël s’est emparé de ce territoire lors de la guerre de 1967, il fait maintenant partie de la Zone C, les 60 % de la Cisjordanie sous le contrôle total israélien.
Mais les bergers et agriculteurs palestiniens ne sont plus les seuls à vivre ici. Des douzaines de colonies israéliennes y ont été implantées depuis les années 1980 – beaucoup sont illégales au regard du droit israélien en plus de l’être à celui du droit international.
Encouragés par le soutien indéfectible de Donald Trump au droit d’Israël, les colons se sont enhardis ces dernières années, s’emparant de toujours plus de terres, des terres qu’Israël classe comme « terre d’État » ou « zones de tir », et leurs méthodes sont devenues de plus en plus violentes. L’ONU a enregistré 410 agressions par des colons contre des civils et des biens palestiniens en Cisjordanie, avec quatre assassinats, au cours des 10 premiers mois de cette année 2021, contre 358 en 2020, et 335 en 2019. Plutôt que d’intervenir, affirment l’ONU et des groupes de défense des droits de l’homme, les forces de sécurité israéliennes restent sans intervenir, quand elles ne s’y joignent pas.

Les Palestiniens peuvent aussi se mettre à la violence. En début de semaine, des hommes armés ont tendu une embuscade à une voiture portant des plaques d’immatriculation israéliennes alors qu’elle partait d’Homesh, dans le nord de la Cisjordanie, tuant un jeune homme de 25 ans et en blessant deux autres.
Les jets de pierres, les tirs à balles réelles, les coupes ou incendies des cultures et des oliviers, les abattages de moutons et les vandalismes sur les biens sont monnaie courante. Dans l’un des plus récents incidents très médiatisés, en septembre, des dizaines d’hommes armés venus de deux avant-postes proches ont fait violemment irruption dans le village de Mufakara, dans les collines d’Hébron, brisant des fenêtres et des panneaux solaires, crevant des pneus, renversant une voiture et blessant six personnes.
Avant la pandémie, les habitants d’Hébron étaient souvent soutenus par des volontaires internationaux qui les aidaient à accompagner les enfants jusqu’à l’école sur les routes qui sont dangereuses entre les avant-postes, et qui défiaient les colons qui s’introduisaient sur les terres privées palestiniennes. Mais maintenant que les frontières du monde se sont fermées, empêchant les voyages, les militants locaux ont décidé de se tourner vers des amis israéliens.
« Quelques-uns d’entre nous ont décidé de les inviter à venir. Tout le monde dans la région n’était pas d’accord avec cela, certains ne comprenaient pas ce que nous tentions d’accomplir. Mais auparavant, il nous fallait attendre pour signaler les problèmes avec les colons, maintenant, nos alliés israéliens peuvent s’approcher très près et tout documenter » dit Nasser Nawaja, un militant local bien connu. « Les Israéliens apprennent ce que c’est que de vivre ici. Et nos enfants apprennent que les Juifs ne sont pas tous des colons et des soldats ».
Des petits groupes d’Israéliens tournent autour d’une poignée de villages dans les collines d’Hébron depuis le printemps, mais les volontaires ont demandé que leurs emplacements exacts ne soient pas divulgués pour des raisons de sécurité. En apparence, peu de choses semblent relier la dizaine environ de volontaires : ils viennent de partout en Israël, de différents milieux familiaux, et bien que tous se qualifient comme politiquement de gauche, ils débattent de ce que cela veut dire.
Les élèves ont des cours d’arabe, deux matins par semaine, avec un programme que Mark et Zahor ont spécialement conçu pour des personnes de langue maternelle hébraïque. Ils les mettent en pratique dans la vie de tous les jours et il n’est pas interdit de discuter de sujets politiques, contrairement à la plupart des programmes de cours d’arabe en Israël.
« Quand je suis arrivé, je me souviens avoir pensé, ‘Qu’est-ce que je vais faire ici ? Comment vais-je communiquer, comment vais-je soutenir cette communauté ?’ Tout l’été, je n’ai rien compris à ce qui se disait, mais maintenant, je reçois environ 50 % de la conversation. C’est très excitant », a déclaré jeudi dernier Maya Eshel, lors d’une réunion du groupe avec The Observer dans un centre de la communauté, par une journée morne, froide.
Le groupe passe le reste de son temps à aider selon les besoins. Ils sont surtout utiles comme chiens de garde : si quelqu’un appelle pour dire que des colons sont en train de s’approcher d’un village, ou qu’ils ne laissent pas les bergers arriver sur leur terre, les volontaires passent à l’action, ils saisissent les jumelles et les appareils photo équipés de lentilles longue distance que leur a donnés B’Tselem, et ils se précipitent vers leurs voitures.

Parfois, leur présence, ou leur conversation en hébreu, peut suffire pour désamorcer la situation. Au minimum, ils peuvent enregistrer ce qui se passe et apporter leurs témoignages à la police, bien que jusqu’à présent, un seulement sur la dizaine des incidents qui ont été signalés a été suivi d’effet.
Lors de notre visite, l’ambiance détendue de la fin de semaine s’est trouvée changer radicalement dans un village après qu’une petite fille se soit précipitée vers les maisons préfabriquées en criant qu’elle avait vu deux colons s’approcher d’une oliveraie palestinienne, et qui venaient d’une grande colonie située de l’autre côté de la vallée. Les adultes et les militants se sont précipités vers le point de vue dégagé le plus proche ; les chiens du village ont aboyé. À travers les jumelles, ils ont décidé que les deux silhouettes ressemblaient à de jeunes garçons. L’un d’eux semblait porter une scie. En apercevant les adultes sur la crête, les enfants se sont arrêtés, et ils ont fini par remonter vers la colonie.
« Parfois, je suis en train de conduire quelque part en jeep, c’est peut-être au milieu de la nuit, vers un endroit où je ne suis jamais allé, et là je m’arrête, et je pense en moi-même : ‘Mais qu’est-ce que je fous ici ?’ » dit Matan Brenner-Kadish, 25 ans. « Cette idée ne convient vraiment pas à tout le monde et, à long terme, nous ne faisons que colmater les trous d’un bateau. Si ce qui vous anime est la colère et la honte, alors ce sera épuisant. Mais si vous venez d’une position où vous admettez que cela apporte une amélioration à la fois à nous-mêmes et à eux, alors la perspective est tout autre ».
Le projet n’est pas sans risque. Au début de ce mois, trois du groupe ont été placés en détention dans un poste de police pendant la nuit, accusés de ne pas être intervenus pour aider un colon qui avait été poussé à terre par des habitants alors qu’il tentait d’entrer dans un village palestinien. Des appareils photo, des portables, des téléphones et une voiture avaient été confisqués – le tout, sans mandat. Les trois membres détenus, selon la loi, risquent des peines de trois ans de prison.
« L’un des arguments qu’utilisent les colons, c’est que notre présence est une justification pour plus de violence : l’un d’eux nous a ouvertement condamnés, disant que s’ils attaquaient, c’était à cause de nous » dit Itai Feitelson, 26 ans.
« Ils seraient violents que nous soyons là ou que nous n’y soyons pas. Cela montre que ce que nous faisons ici fonctionne » dit Brenner-Kadish. « Et, au bout du compte, si les Palestiniens peuvent faire cela toute leur vie, nous aussi nous le pouvons ».
Traduction : BP pour l’Agence Média Palestine
Source : The Guardian