Une année douloureuse pour les patients de Gaza

Par Ahmed Al-Sammak, le 23 décembre 2021

Fahid Afana – photographié avec son fils Muhammad – s’est vu refuser par Israël des permis de voyager depuis plus de trois mois, lui faisant rater des rendez-vous médicaux vitaux. (Ahmed Al-Sammak)

Fahid Afana a passé des mois à attendre un message sur son téléphone portable.

Le message qu’il voulait recevoir était simple : être autorisé à quitter Gaza pour Haïfa – ville d’Israël – pour recevoir un traitement pour un lymphome en Israël.

Afana, 31 ans, avait un rendez-vous à l’hôpital Rambam de Haïfa programmé pour le 23 août 2021. Pourtant, ce n’est pas avant décembre qu’il a été autorisé à quitter Gaza pour Haïfa – ville d’Israël – pour une durée de trois jours.

Les patients doivent souvent surmonter des obstacles bureaucratiques majeurs pour pouvoir voyager pour des soins qui ne sont pas disponibles dans le cadre duà système de soins de santé de Gaza.

Tout d’abord, Afana a dû soumettre sa demande de permis de voyager via l’Autorité Palestinienne. L’AP transmet alors toutes ces demandes à l’occupation militaire israélienne.

Après avoir effectué les formalités administratives requises, Afana a été informé qu’Israël pratiquait un contrôle de « sécurité » à son sujet. Cette nouvelle l’a laissé perplexe puisqu’il était déjà allé à l’hôpital Rambam en maintes occasions, sans que les autorités israéliennes soulèvent des objections.

« Une fois que j’ai eu cette information, je savais que les portes de l’enfer s’ouvriraient », a-t-il dit. « Je me suis demandé pourquoi. Je n’avais rien fait de mal. J’avais suivi absolument toutes les instructions qu’ils m’avaient données. »

Afana a contacté les administrateurs de l’hôpital. Ils lui ont répondu qu’il ne leur posait aucun problème mais qu’ils n’avaient pas le pouvoir d’annuler les décisions prises par l’armée israélienne.

Il a également demandé à l’Autorité Palestinienne pourquoi il était soumis à un contrôle de « sécurité ». L’AP  a répondu qu’Israël ne fournissait généralement pas ce genre de détails.

Le lymphome d’Afana avait été diagnostiqué en 2015.

Accéder à un traitement a longtemps été un combat pour lui.

Il n’a reçu une partie de son traitement qu’après l’introduction d’une requête auprès de la haute cour d’Israël. Grâce à cette requête – remplie au cours de 2018 par le Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme basé à Gaza – il a alors reçu un traitement à l’Hôpital Augusta Victoria à Jérusalem Est occupée.

Malheureusement, la radiothérapie qu’il a reçue dans cet hôpital s’est avérée inefficace. On lui a donc recommandé de recevoir d’autres soins en Israël ou en Jordanie.

Afana est d’abord allé à l’hôpital Rambam de Haïfa en 2018. Il a bien réagi à la radiothérapie dont il y a bénéficié, puis est retourné à Gaza.

Il a continué à aller tous les mois à Haïfa pour des contrôles jusqu’à ce qu’Israël le lui interdise au mois d’août.

Pendant cette interdiction, son état s’est dégradé. Il a appris plus tard que son cancer avait essaimé.

En l’empêchant d’aller à son rendez-vous du 23 août, Israël lui a infligé, à lui et à sa famille, une énorme angoisse. Afana a craint de mourir rapidement, laissant ses deux enfants sans père.

La radiothérapie qui lui a été prescrite à l‘hôpital Rambam n’est pas disponible à Gaza. Alors qu’il attendait la permission de voyager, la souffrance d’Afana s’est de pus en plus aggravée.

L’attitude d’Israël a conduit à un retard de plus de trois mois dans son traitement.

« Je ne peux guère manger ni dormir », a-t-il dit – en s’exprimant avant que son permis de voyager lui soit finalement accordé pour le mois de décembre.

Cruelles restrictions

Recevoir rapidement un traitement peut littéralement faire la différence entre la vie et la mort pour les personnes atteintes d’un cancer et autres maladies graves. Israël – qui soumet Gaza a un blocus total depuis 2007 – empêche souvent les patients de recevoir des soins essentiels pendant de longues périodes.

Israël n’a approuvé que 31 % des demandes de déplacement faites en mai 2021 par les malades de Gaza. Au cours de ce même mois, Israël a lancé sur Gaza une attaque majeure qui a duré 11 jours – ciblant fréquemment les établissements de soins de santé et leurs alentours.

Le taux d’approbation de permis reste bas. D’après l’Organisation Mondiale de la Santé, 54 % des 1.370 demandes de patients pour sortir de Gaza par le checkpoint militaire d’Erez ont été acceptées par Israël au cours du mois de septembre 2021.

Ce fut l’un des taux les plus bas d’autorisation depuis avril 2019.

En pleine pandémie de COVID-19, Israël a restreint l’entrée à Gaza d’équipements médicaux et de pièces détachées. (Ahmed Al-Sammak)

De même qu’il retardait la sortie des patients de Gaza, Israël a placé des restrictions sur l’entrée d’équipements médicaux. Al Mezan, association de défense des droits de l’homme, s’est plainte en octobre de ce qu’Israël avait interdit l’arrivée de dispositifs médicaux de diagnostique pour les patients atteints de la COVID-19.

Bassam al-Hammadin, représentant du ministère de la Santé de Gaza, a déclaré qu’Israël avait interdit cette année l’arrivée de huit appareils radiologiques mobiles pour un total de huit mois avant d’autoriser leur entrée.

« Nous n’avons que trois dispositifs pour IRM [imagerie à résonance magnétique] à Gaza », a ajouté al-Hammadin. « Et ils ont interdit les pièces détachées pour ces dispositifs. »

Ces restrictions sont d’autant plus cruelles qu’elles ont été imposées en pleine pandémie.

« Morte de peur »

Fida, 39 ans, de Khan Younis au sud de Gaza, a un cancer du sein. Elle a récemment demandé une IRM, mais n’a pas pu l’obtenir dans l’Hôpital Européen de Gaza qui se trouve près de Khan Younis.

L’Hôpital Européen était le principal établissement de Gaza à traiter cette année les personnes atteintes de la COVID-19. Son équipement a subi une forte demande.

Un avis dans l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza annonce que son appareil d’IRM est hors d’usage. (Ahmed Al-Sammak)

Après une attente de 18 jours, Fida s’est finalement débrouillée pour avoir une imagerie à l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza courant novembre. « Vous ne pouvez imaginer à quel point cette attente a été pénible », a-t-elle dit.

Auparavant, elle avait pu s’assurer un rendez-vous pour une IRM en quelques jours.

Fida a précédemment reçu un traitement à Jérusalem. Obtenir ce traitement lui a demandé d’être loin de sa famille pour une longue période entre novembre 2020 et janvier 2021.

Cette longue absence a eu un effet important sur sa famille, surtout sur son fils de 3 ans.

« Il pleure quand il voit des sacs de voyage », a dit Fida. « Il pense que je vais être loin de lui à nouveau pour 65 jours. »

Jusqu’ici, Israël a accordé à Fida les permis dont elle avait besoin pour voyager. Mais il n’y aucune garantie qu’Israël les renouvelle si elle en demande d’autres.

« Je suis morte de peur à l’idée d’aller à nouveau à Jérusalem », a-t-elle dit. « Je ne veux pas à nouveau quitter ma famille pour un longue durée. »

Ahmed Al-Sammak est un journaliste qui vit à Gaza.

Source : The Electronic Intifada

Traduction J. Ch. pour l’Agence Média Palestine

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