« Cela ne s’arrêtera pas avec nous » : La directrice d’Addameer met en garde contre les répercussions de la qualification de « terroriste » par Israël

Par Yumna Patel, le 7 Janvier 2022

Addameer est l’une des six ONG palestiniennes qualifiées d’organisation terroriste par Israël. Cette association de défense des droits des prisonniers dit que les accusations portées contre elle sont infondées et pourraient potentiellement avoir des conséquences dévastatrices pour le mouvement palestinien de défense des droits de l’homme.

Sahar Francis, directrice d’Addameer, association palestinienne de défense des droits des prisonniers, en décembre 2021 dans son bureau à Ramallah, en Cisjordanie occupée. (Photo : Yumna Patel)

Dans un petit bureau près du centre ville de Ramalla, un melting pot de membres du personnel, de tous âges, genre et passé, entrent et sortent de leurs espaces de travail. Certains bavardent tout en déjeunant, tandis que d’autres sont assis devant leurs ordinateurs ou épluchent leurs dossiers à leur bureau.

C’est une scène de travail typique comme on en trouve presque partout dans le monde – des livres plein les étagères tandis que des affiches et le visage des clients qu’ils ont aidés tapissent les murs.

Tout inconnu qui entrerait dans ce bureau qui appartient à Addameer, première association palestinienne de défense des prisonniers, serait surpris de découvrir que les membres du personnel qu’ils ont devant eux risquent d’être arrêtés à tout moment par Israël, qui considère que l’organisation pour laquelle ils travaillent est une « institution terroriste ».

Addameer, avec cinq autres organisations de la société civile palestinienne, a été dénoncée comme « institution terroriste » par Israël en octobre, le gouvernement prétendant que ces associations avaient des liens avec le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) et lui transmettait de l’argent. Le FPLP, groupe marxiste-léniniste, est, comme plusieurs autres factions politiques palestiniennes, considéré par Israël comme une « organisation terroriste ».

Cette démarche, qui a pur but de criminaliser le travail des six organisations et de couper leur financement international, a provoqué une large condamnation de la part des associations de défense des droits de l’homme à travers le monde.

Malgré les réactions contre cette décision, Israël a refusé de fournir des preuves concrètes de ses allégations. En Novembre, le commandant de l’armée d’Israël en Cisjordanie a émis cinq ordres militaires séparés interdisant l’activité de l’organisation dans le territoire occupé, autorisant en réalité leur fermeture imminente, la saisie de leurs actifs et la détention de leur personnel.

« Ce fut une période très stressante », a dit Sahar Francis, directrice d’Addameer, à Mondoweiss depuis son bureau de Ramallah. « Tout ceci est très angoissant et a vraiment affecté le moral de l’équipe »,a-t-elle dit.

« Mais c’est ce que veut Israël », a-t-elle dit. « Il fait tout cela pour fermer nos bureaux et nous faire taire, et pour nous amener à renoncer et à dire ‘ça n’en vaut pas la peine’. »

Pourquoi maintenant ?

Francis et son équipe font partie d’un réseau de défenseurs des droits fondamentaux des Palestiniens pour défendre les droits des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes qui, à ce jour, sont 5.000.

Quand elle a été créée en 1991, Addameer était l’une des quelques associations qui offraient une assistance juridique pro bono aux prisonniers palestiniens evant les tribunaux aussi bien militaires que civils. Une fois créée l’Autorité Palestinienne, l’association a étendu ces mêmes services aux prisonniers politiques détenus par l’AP.

L’activité essentielle d’Addameer est d’être au service des prisonniers palestiniens qui ont été emprisonnés par un régime militaire dont le taux de condamnation dépasse les 99 %. L’association organise des visites aux prisonniers et des consultations juridiques, contrôle et fournit des informations sur les violations par le Service Carcéral israélien, spécialement la torture et les mauvais traitements sur les Prisonniers, et défend les droits des prisonniers palestiniens sur la scène internationale.

L’association mène également des programmes de formation et de sensibilisation pour la communauté locale, les étudiants et les enfants – quiconque pourrait faire l’objet d’une arrestation et d’un emprisonnement par Israël.

Depuis 30 ans, l’association plaide pour les droits des prisonniers sous occupation et est devenue un pilier de la communauté locale et de la communauté internationale de défense des droits de l’homme en cours de réalisation.

Aussi, pourquoi, après 30 ans d’activité, Israël voudrait-il criminaliser cette association ?

« Les attaques sur notre organisation n’ont pas commencé qu’avec cette qualification », a dit Francis, ajoutant que le verdict d’octobre n’était que la dernière étape d’un long trajet de harcèlement ciblé contre Addameer et d’autres ONG palestiniennes.

« La campagne contre nous dure depuis des années : campagnes de harcèlement, de calomnies, diffamation, distribution de fausses informations sur nous par différentes associations comme Surveillance des ONG, Avocats britanniques pour Israël, et autres associations israéliennes de droite », a dit Francis.

Le but principal des précédentes campagnes de calomnies et de la récente criminalisation de l’association, a dit Francis, c’est de « nuire à notre travail en nuisant à notre réputation ».

La principale cible de ce genre de campagnes, a-t-elle dit, ce sont les donateurs et partenaires internationaux qui financent et soutiennent les associations comme Addameer.

« En attaquant nos donateurs, ils espèrent que les donateurs pourraient être terrifiés et couper leurs financements, et qu’ainsi, ils pourraient mettre fin à notre travail quotidien », a dit Francis, ajoutant que la dernière qualification de l’association en tant qu’ « organisation terroriste » était l’aboutissement de tentatives précédentes infructueuses pour couper le financement international des associations.

« Puisque toutes ces campagnes n’avaient pas marché auparavant, ils en sont venus à la qualification », a-t-elle dit. « La stratégie qui se cache derrière toutes ces attaques, c’est en réalité de terrifier les donateurs et de terrifier ceux qui se sont investis dans la société civile en Palestine. »

« Le message d’Israël à la communauté internationale qui soutient le peuple palestinien, c’est : ne vous avisez pas de venir installer vos projets ici. »

Pourquoi Addameer, et ‘les 6’ ?

Rejoignant Addameer sur la liste des organisations interdites, on trouve d’autres éminentes institutions comme Al-Haq, Défense des Enfants International – Palestine, le Centre Bisan pour la Recherche et le Développement, l’Union des Comités de Femmes Palestiniennes, et l’Union des Comités de Travailleurs Agricoles.

Pour Francis, la raison pour laquelle Israël a choisi de cibler ces six organisations est claire : en criminalisant la société civile palestinienne, Israël peut continuer à modifier la réalité sur le terrain, sans devoir affronter de responsabilité pour ses violations du droit international.

« Des organisations telles que le comité de travailleurs agricoles, par exemple, s’occupe de la construction de terrains et du soutien aux paysans palestiniens, surtout dans les zones où Israël cherche à confisquer et annexer la terre, comme dans la Vallée du Jourdain et la Zone C », a dit Francis.

« Ce sont des zones très sensibles qu’Israël veut contrôler, et donc bien sûr cette organisation serait attaquée. »

Addameer, Al-Haq et DEIP ont mis fortement l’accent sur le plaidoyer international et fournissent des rapports et de la documentation sur les violations israéliennes à la CPI et autres organismes internationaux, afin de tenir Israël pour responsable de ses crimes en territoire occupé.

« Nous insistons sur la responsabilité et sur le fait que nous devons nous servir de tous les outils que nous offre le droit international à l’échelon de l’ONU et autres plateformes pour garantir la responsabilité », a dit Francis. « Alors bien sûr, nous devions être attaqués pour ce travail. »

Israël ne veut pas que quiconque dise non à ses projets, ou fournisse des informations sur ses violations et les soumette à la CPI afin qu’elle puisse le tenir pour responsable des crimes de guerre qu’il commet quotidiennement », a poursuivi Francis.

« Le fait qu’il essaie de nous réduire au silence est en rapport avec tout cela. »

Et maintenant, que se passe-t-il ?

A la suite de l’attaque contre les six organisations, les associations ont lancé une campagne pour #StandWithThe6 (Soutenez les 6), appelant les supporters à exprimer leur solidarité avec les six organisations palestiniennes de défense des droits de l’homme et à réclamer un renversement de la décision israélienne.

Malgré une forte réponse des organisations amies de défense des droits de l’homme et d’associations de la société civile, les organisations sont restées déçues par la réaction, ou l’absence de réaction, des acteurs majeurs comme les États-Unis et l’UE.

Tandis que l’UE renforçait son soutien à la société civile palestinienne, les États ont individuellement failli à dénoncer purement et simplement la qualification, et les États-Unis sont restés relativement silencieux à ce sujet, refusant de prendre position.

« Je pense que ce silence est très néfaste, non seulement à l’encontre de la société civile palestinienne, mais pour le mouvement tout entier de défense des droits de l’homme dans le monde », a-t-elle dit.

« Les États-Unis ont un rôle très important dans cette affaire. Si les États-Unis ne s’apprêtent pas à prendre une position claire en rejetant cette décision, il s’agit alors d’un message silencieux vers, à tout le moins, le système bancaire disant : ‘vous pouvez faire ce que vous voulez, vous pouvez geler les comptes, cela ne nous regard pas’ », a dit Francis.

Francis a averti que, tandis que la qualification de « terroriste » a commencé avec les six organisations, cela ne s’arrêtera pas avec elles.

« Cela commencera avec nous, mais à la fin, cela ne s’arrêtera pas avec nous. Cela aura de l’effet sur tout le secteur palestinien des droits de l’homme et de la société civile », a-t-elle dit. « Les États-Unis sont-ils intéressés par un démantèlement complet de la totalité du système de la société civile palestinienne ? Si oui, alors le silence serait la réponse. Mais si non, il est très important qu’ils prennent position. »

Malgré la pression continue à laquelle font face les organisations et la menace imminente de leur fermeture et de possibles arrestations, Francis a dit qu’elle même et le personnel d’Addameer persévéreront.

« Nous n’avons pas d’autre choix que de persévérer, de continuer », a-t-elle dit. « Cela en vaut la peine. »

« Pas seulement à cause des prisonniers, mais à cause de l’autodétermination de notre peuple. Notre combat pour la justice et la dignité vaut le prix élevé que nous pourrions payer en tant qu’individus », a-t-elle poursuivi.

« En fin de compte, nous ne sommes pas seuls. Le soutien de nos amis à travers le monde, et d’organisations populaires partout, nous donne aussi l’espoir qu’un jour la justice sera réellement là. Il ne se peut pas que l’occupation dure éternellement. Non, elle prendra fin. »

Source : Mondoweiss

Traduction J.Ch. Pour l’Agence média Palestine

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