Il y a une fosse commune palestinienne sur une populaire plage israélienne, confessent des vétérans

Le 22 janvier 2022, par Adam Raz

Il y a une fosse commune palestinienne sur une populaire plage israélienne, confessent des vétérans d’un assassinat en masse d’Arabes qui a eu lieu après la reddition du village.

« Ils ont gardé le silence », dit l’ancien combattant Moshe Diamant, essayant d’être économe de ses paroles. « On ne doit pas le dire, cela pourrait causer un vrai scandale. Je ne veux pas en parler, mais c’est arrivé. Qu’est-ce qu’on peut faire ? C’est arrivé. »

Vingt-deux ans ont passé depuis que la fureur s’est déchainée sur le récit de ce qui s’est passé pendant la conquête par les troupes israéliennes du village de Tantura, au nord de Césarée, sur le côte de la Méditerranée, pendant la Guerre d’indépendance. La controverse a jailli à la suite d’un mémoire de master écrit par un étudiant israélien nommé Theodore Katz, mémoire qui contenait des témoignages sur les atrocités perpétrées par la brigade Alexandroni contre les prisonniers de guerre arabes. Le mémoire a mené à la publication d’un article dans le journal Maariv intitulé « Le massacre de Tantura ». Finalement, une plainte en diffamation contre Katz de la part des vétérans de la brigade l’a amené à se rétracter sur le récit du massacre.

Pendant des années, les découvertes de Katz ont été archivées et la discussion de l’épisode a pris la forme d’un débat professionnel entre historiens. Jusqu’à maintenant. Maintenant, à l’âge de 90 ans et plus, plusieurs combattants de la brigade des forces de défense d’Israël ont admis qu’un massacre avait effectivement eu lieu en 1948 à Tantura — aujourd’hui la populaire plage de Dor, adjacente au kibboutz Nahsholim. Les anciens soldats décrivent diverses scènes de façon différente et le nombre de villageois qui ont été abattus ne peut être établi. Les nombres émergeant des témoignages vont d’une poignée de tués à de nombreuses dizaines. Selon un témoignage, fourni par un résident de Zichron Yaakov qui a aidé à enterrer les victimes, le nombre des morts excédait 200, bien que ce chiffre élevé n’ait pas été confirmé.

Selon Diamant, qui s’est maintenant mis à parler, les villageois ont été abattus par un « sauvage » utilisant une mitraillette, à la fin de la bataille. Il ajoute qu’en connexion avec la plainte en diffamation de 2000, les anciens soldats ont tacitement compris qu’ils prétendraient que rien d’inhabituel ne s’était produit après la conquête du village. « Nous ne savions pas, nous n’avons pas entendu. Naturellement tout le monde savait. Ils savaient tous ».

Un autre combattant, Haim Levin, raconte maintenant qu’un membre de l’unité s’est dirigé vers un groupe de 15 ou 20 prisonniers de guerre « et les a tous tués ». Levin dit qu’il était horrifié et qu’il a parlé avec ses camarades pour essayer de découvrir ce qui se passait. « Tu n’as aucune idée combien d’entre nous ces types ont tué », lui a-t-on dit.

Un autre combattant de la brigade, Micha Vitkon, a parlé d’un officier « qui plus tard était un type important au ministère de la Défense. Avec son pistolet, il a tué des Arabes, l’un après l’autre. Il était un peu dérangé et c’était un symptôme de son dérangement ». Selon Vitkon, le soldat a fait ce qu’il a fait parce que les prisonniers refusaient de divulguer où ils avaient caché les armes restantes dans le village.

Un autre combattant a décrit un incident différent qui a eu lieu à cet endroit : « Ce n’est pas agréable à dire. Ils les ont mis dans un tonneau et ils ont tiré dans le tonneau. Je me rappelle le sang dans le tonneau ». Un des soldats a dit pour résumer que ces camarades d’armes ne se sont simplement pas comportés comme des êtres humains dans le village — et ensuite il a recommencé à se taire.

Ces témoignages, et d’autres, apparaissent dans l’impressionnant projet documentaire du réalisateur Alon Schwarz. Son documentaire « Tantura » qui sera diffusé deux fois en ligne ce week-end dans le cadre du festival de cinéma de Sundance, en Utah, semble défaire la version qui s’est enracinée à la suite du procès en diffamation et des excuses de Katz. Bien que les témoignages des soldats dans le film (quelques-uns enregistrés par Katz, quelques-uns par Schwarz) aient été donnés sous forme de phrases hachées, de fragments de confessions, la peinture d’ensemble est claire : des soldats de la brigade Alexandroni ont massacré des hommes désarmés après la conclusion de la bataille.

En fait, le témoignage rassemblé par Katz n’a pas été présenté au tribunal pendant le procès pour diffamation, celui-ci ayant été arrêté par l’accord passé à la moitié de la procédure. Ecouter ces enregistrements suggère que si le tribunal les avait examinés à l’époque, Katz n’aurait pas été incité à s’excuser. Ce que les soldats lui ont dit n’était souvent que des allusions, et était biaisé, mais rassemblées, ces bribes s’additionnent en une vérité sans équivoque.

« Qu’est-ce que vous voulez ? » demande Shlomo Ambar, qui devait s’élever au rang de brigadier général et chef de la Défense civile, qui a précédé le Commandement du Front intérieur. « Que je sois une âme délicate et parle en vers ? Je me suis écarté. C’est tout. Assez ». Ambar, quand il parle dans le film, laisse clairement entendre que les événements dans le village n’avaient pas été à son goût, « mais parce que je n’ai rien dit à l’époque, il n’y a pas de raison que j’en parle aujourd’hui ».

Un des témoignages les plus sinistres du film de Schwarz est celui d’Amitzur Cohen, qui parle de ses premiers mois comme combattant dans la guerre : « J’étais un meurtrier. Je ne faisais pas de prisonniers ». Cohen raconte que si un groupe de soldats arabes se rendait, les mains levées, il les tuait tous. Combien d’Arabes a-t-il tué en dehors du cadre des batailles ? « Je n’ai pas compté. J’avais une mitraillette avec 250 balles. Je ne peux pas dire combien. »

Les témoignages des soldats de la brigade Alexandroni rejoignent le témoignage écrit fourni dans le passé par Yosef Ben-Eliezer. « J’étais l’un des soldats impliqués dans la conquête de Tantura », écrivait Ben-Eliezer, il y a quelque vingt ans. « Je savais ce qu’il en était du meurtre dans le village. Certains soldats ont fait ce massacre de leur propre initiative indépendante. »

Les témoignages et les documents rassemblés par Schwartz pour son film indiquent qu’après le massacre les victimes ont été enterrées dans une fosse commune, qui est maintenant sous le parking de la plage de Dor. La fosse a été creusée spécialement pour cela et l’inhumation a duré plus d’une semaine. A la fin de mai 1948, une semaine après la conquête du village et deux semaines après l’établissement de l’Etat [d’Israël], un des commandants, qui était en poste sur le site, a été réprimandé pour n’avoir pas géré correctement l’enterrement des corps des Arabes. Le 9 juin, le commandant de la base adjacente a rapporté : « Hier, j’ai vérifié la fosse commune dans le cimetière de Tantura. Trouvé tout en ordre ».

En plus des témoignages et des documents, le film présente la conclusion des experts qui ont comparé des photographes aériennes du village avant et après la conquête. Une comparaison des photographies et l’utilisation de l’imagerie 3 D faite avec de nouveaux outils, rendent possible non seulement de déterminer l’emplacement exact de la fosse, mais aussi d’estimer ses dimensions : 35 mètres de long, 4 mètres de large. « Ils ont pris soin de la cacher », dit Katz dans le film, « de telle façon que les générations à venir se promèneront là sans savoir sur quoi ils marchent. »

Disqualifié

La confession des troupes de la brigade Alexandroni jette une lumière nouvelle sur les efforts lamentables pour réduire au silence Teddy Katz. En mars 1998, alors qu’il étudiait pour un master à l’Université de Haïfa, Katz soumit un mémoire au département d’histoire du Moyen-Orient. Son titre : « L’exode des Arabes des villages au pied du sud du Mont Carmel en 1948 ». Katz, qui avait une cinquantaine d’années, reçut une note de 97 [sur 100]. Selon l’usage, le mémoire fut déposé dans la bibliothèque de l’Université et l’auteur avait l’intention de continuer en thèse. Mais les choses allèrent de travers.

En juin 2000, le journaliste Amir Gilat emprunta l’étude dans la bibliothèque et publia un article sur le massacre dans Maariv. Cela déclencha une tempête. En plus du procès en diffamation initié par l’association des vétérans d’Alexandroni, l’Université entra dans tous ses états et décida de mettre en place un comité pour réexaminer le mémoire de master. Bien que les examinateurs d’origine aient décidé que Katz avait réalisé ce mémoire de manière excellente et alors que le mémoire était basé sur des dizaines de témoignages documentés — de soldats juifs et de réfugiés arabes de Tantura – le nouveau comité décida de le disqualifier. L’écrit de Katz n’est pas sans défaut, mais la première cible de la critique est probablement l’Université de Haïfa, qui a accompagné la recherche et l’écriture d’une manière insuffisante et après l’avoir approuvé a fait machine arrière et désavoué son étudiant. Cela a rendu possible un silence de plusieurs années et le refoulement des événements sanglants de Tantura. En ce qui concerne Katz, il a suffi d’une seule audition au tribunal pour qu’il signe une lettre d’excuses dans laquelle il déclarait qu’il n’y avait pas eu de massacre dans le village et que son mémoire était biaisé. Le fait qu’il se soit rétracté à peine quelques heures plus tard et que son avocat, Avigdor Feldman, n’ait pas présent lors de la réunion de nuit au cours de laquelle Katz a subi des pressions pour se rétracter, a été oublié. Ses excuses ont enterré les constats que le mémoire avait faits et les détails du massacre n’ont plus été sujets à un examen exhaustif par la suite.

Les historiens qui ont abordé l’épisode — de Yoav Gelber à Benny Morris et Ilan Pappé – sont arrivés à des conclusions différentes et contradictoires. Gelber, qui a joué un rôle clé dans la lutte pour discréditer le mémoire de Katz, a affirmé que quelques dizaines d’Arabes avaient été tués au cours de la bataille, mais qu’il n’y avait pas eu de massacre. Morris, quant à lui, pensait qu’il était impossible de déterminer de manière sûre ce qui s’était passé, mais il a écrit qu’après avoir lu plusieurs des témoignages et interviewé quelques-uns des vétérans Alexandroni, « il en était parti avec un profond sentiment de malaise ». Pappé, qui s’est engagé dans un débat extrêmement médiatisé avec Gelber sur le mémoire de Katz, a déterminé qu’un massacre avait été perpétré à Tantura dans le sens direct du mot. Maintenant, avec la publication des témoignages dans le film de Schwarz, le débat semblerait avoir été tranché.

Dans une des scènes les plus dramatiques du documentaire, Drora Pilpel, qui était juge dans le procès pour diffamation contre Katz, écoute un enregistrement d’un des interviews de Katz. C’était la première fois qu’elle était confrontée au témoignage rassemblé par Katz, dont les excuses précipitées ont mis rapidement fin au procès. « Si c’est vrai, c’est dommage », dit au réalisateur la juge, maintenant à la retraite, en retirant ses écouteurs. « S’il avait des choses comme cela, il aurait dû aller jusqu’au bout ».

L’affaire Tantura illustre la difficulté qu’ont eue les soldats de la guerre de 1948 pour reconnaître la mauvaise conduite qui s’est manifestée dans cette guerre : des actes d’assassinat, la violence contre les habitants arabes, l’expulsion et le pillage. Ecouter le témoignage des soldats aujourd’hui, tout en considérant la position uniforme qu’ils ont montrée lorsqu’ils ont poursuivi Katz en justice, c’est capturer le pouvoir de la conspiration du silence et le consensus selon lequel il y a des choses dont on ne parle pas. Il faut espérer qu’avec le recul des années, de tels sujets seront plus volontiers abordés. Un signe peut-être encourageant dans cette direction est le fait que le film sur Tantura a reçu des subventions d’organismes traditionnels comme le réseau du câble Hot et le Fonds cinématographique d’Israël.

Il n’y aura jamais d’investigation complète sur les sinistres événements de Tantura, la vérité ne sera pas connue totalement. Cependant, il y a une chose qu’on peut affirmer avec pas mal de certitude : sous le parking d’un des sites balnéaires israéliens les plus familiers et les plus appréciés, gisent les restes des victimes d’un des massacres les plus flagrants de la Guerre d’indépendance.

Adam Raz est un chercheur à l’Institut Akevot pour la recherche sur le conflit israélo-palestinien. L’Institut Akevot a aidé le réalisateur (sans rémunération).

Traduction : CG pour l’Agence Média Palestine

Source : Haaretz

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