Démocratie laïque et avenir de la Palestine

Le 28 janvier 2022, par Haidar Eid

C’est un fait établi qu’Israël est un Etat d’apartheid. Les questions qui se posent alors sont : comment le démanteler et qu’est-ce qui vient ensuite ?

Palestinian demonstrator climbs Israel's apartheid wall during a protest in the West Bank village of Nilin, Friday, Jan. 1, 2010. (Photo: Issam Rimawi/APA Images)
Un manifestant palestinien grimpe sur le mur de l’apartheid d’Israël au cours d’une manifestation dans le village cisjordanien de Nilin, vendredi 1er janvier 2010. (Photo: Issam Rimawi/APA Images)

La solution à deux Etats continue à perdre du soutien en Palestine. De plus en plus de Palestiniens réalisent que le prétendu processus de paix n’a conduit qu’à la production de nouveaux éléments israéliens sur le terrain et à de nouvelles pratiques répressives qui rendent impossible un Etat palestinien opérationnel. Pas étonnant alors qu’un récent sondage mené par le Centre des médias et de la communication de Jérusalem indique un soutien croissant des Palestiniens en faveur d’une solution à un Etat, au détriment de la solution à deux Etats.

L’ironie, pourtant, est que les faits sur le terrain ne semblent pas avoir convaincu le leadership palestinien, de droite ou de gauche ! Au lieu de lutter pour écraser le sionisme et ses politiques d’apartheid en Palestine, le leadership de l’OLP essaie de coexister avec lui. Leur argument, qui a été partagé par plusieurs universitaires et activistes internationaux au cours des années, est que la solution à deux Etats est soutenue par « un consensus international », nonobstant le fait qu’elle n’est rien de plus qu’une solution injuste dictée par Israël et les Etats-Unis, une solution qui ignore nos droits fondamentaux en tant qu’être humains. Dans cet article, je défends le point de vue que le seul espoir pour nous, Palestiniens, se trouve dans une forme de résistance anti-apartheid qui mobilise les composantes du peuple palestinien et la société civile internationale et qui mène finalement à l’établissement d’un Etat unique en Palestine.

Israël de l’apartheid

C’est un fait établi qu’Israël est un Etat d’apartheid. Les derniers rapports, par Human Rights Watch et même par l’organisation de défense des droits humains la plus respectée d’Israël, B’Tselem, sans mentionner les rapports de nombreuses organisations palestiniennes de défense des droits humains, ont conclu que le régime entre le Jourdain et la Méditerranée est un régime d’apartheid.

En fait, l’Israël de l’apartheid a atteint l’objectif dont il a longtemps rêvé, à savoir la souveraineté israélienne sur la totalité de la Palestine historique, avec des enclaves non-viables offrant une autonomie de ghetto dans laquelle les restes du peuple palestinien peuvent lentement diminuer. Cela a laissé sous l’emprise d’Israël un ensemble hautement indésirable, cependant : un territoire contenant plus de 4, 5 millions de Palestiniens politisés sans Etat indépendant à eux, fragmentant Israël de manière aussi efficace qu’Israël a lui-même fragmenté la communauté nationale palestinienne. Le problème demeure, aussi vieux que le conflit lui-même : que faire avec les gens, quand tout ce qu’Israël veut est la terre ?

La solution à deux Etats, comme j’ai toujours dit, est une solution raciste par excellence à ce dilemme, en ce qu’elle est basée sur une séparation de communautés fondée sur leurs identités ethno-religieuses, dérivant d’une idéologie ethno-nationaliste de la fin du XIXe siècle qui a conduit à l’émergence de dogmes racistes comme le nazisme, l’apartheid et le sionisme.

Elle contredit les principes démocratiques du XXe et du XXIe siècles et, comme beaucoup d’intellectuels l’ont argué, les conditions pour un Etat palestinien souverain indépendant ont été anéantis de toute façon par l’avance irréversible des colonies en Cisjordanie. Pour résumer : la solution raciste à deux Etats n’offre pas aux Palestiniens leurs droits fondamentaux, dont la liberté, l’égalité et le retour des réfugiés dans les villes et les villages dont ils ont été ethniquement nettoyés en 1948.

La question, alors, est : comment démanteler l’apartheid ?

Une vision politique

Un problème pour répondre à cette question a été l’absence d’un programme politique clair offert par les Palestiniens opprimés. L’élite de droite en Palestine a mis sur la touche les intellectuels et activistes palestiniens sérieux et critiques qui défendaient des alternatives au paradigme à deux Etats dont elle bénéficiait. La situation, cependant, a changé récemment, particulièrement après la disparition d’ Edward Said, d’Ibrahim Abu-Lughod, de Hisham Sharabati et de plusieurs dirigeants de gauche avec des principes, qui posaient un défi sérieux au dogme à deux Etats. L’émergence du mouvement BDS et l’essor d’une résistance populaire en Cisjordanie, dans les frontières de 1948 et à Gaza, ainsi que la montée en puissance de voix fondées sur des principes et appelant à une démocratie laïque sur le territoire de la Palestine mandataire, tout cela a tracé la voie pour une solution alternative qui garantisse les droits fondamentaux des Palestiniens. D’où l’appel de 2005 de BDS dans lequel les Palestiniens ont demandé à la communauté internationale d’être à la hauteur de ses responsabilités et de boycotter l’Israël de l’apartheid, de désinvestir d’Israël et des compagnies bénéficiant de ses violations des droits humains en Palestine et d’imposer des sanctions contre Israël jusqu’à ce qu’il respecte le droit international. La société civile palestinienne a très bien appris la leçon sud-africaine. BDS est, cependant, un mouvement basé sur la défense des droits, qui s’est abstenu d’appuyer une solution politique [spécifique].

 Mais plusieurs activistes ont travaillé sur une alternative, qui se sépare des solutions racistes, que ce soit « l’autonomie administrative » limitée proposée dans les Accords de Camp David et les Accords d’Oslo, ou une solution à deux Etats qui offre au peuple palestinien une indépendance purement symbolique.

Ces activistes montrent qu’il ne nous reste qu’une option : un Etat démocratique laïc pour tous ses citoyens, indépendamment de leur religion, de leur ethnie ou de leur race. Il est évident qu’il y a des problèmes dans une solution à un Etat, comme les problèmes que les activistes anti-apartheid sud-africains ont dû gérer après l’effondrement du régime suprémaciste blanc. Une formule démocratique laïque signifie nécessairement le démantèlement des privilèges de l’apartheid qui assignent une citoyenneté de troisième ordre aux citoyens palestiniens d’Israël, et privent les Palestiniens des frontières de 1967 de leurs droits humains fondamentaux. Une formule démocratique laïque garantira définitivement le droit au retour de ces réfugiés palestiniens qui ont vécu dans de misérables camps de réfugiés en Syrie, en Jordanie et au Liban. De manière instructive, les défenseurs de la solution à deux Etats ont toujours argumenté que cette solution est cohérente avec le droit international, malgré le fait qu’elle traite des droits de seulement un tiers du peuple palestinien et dénie les droits, reconnus internationalement, des réfugiés palestiniens et des citoyens de troisième ordre de l’Israël de l’apartheid.

Ce qu’un Etat démocratique laïc signifie fondamentalement pour nous est l’élimination de l’occupation militaire dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem, l’unification de tous les Bantoustans et ghettos en Palestine, le retour des réfugiés palestiniens et leur compensation, les droits civils et la liberté. Comme le dernier géant intellectuel palestinien, Edward Said, le disait en 1999 : « La notion d’un Etat égyptien pour les Egyptiens, d’un Etat juif pour les juifs, s’envole tout simplement face à la réalité. Ce dont nous avons besoin, c’est de repenser le présent en termes de co-existence et de frontières poreuses. » Et cela ne peut se matérialiser que dans un Etat démocratique laïc entre le Jourdain et la Méditerranée.

Trad. CG pour l’Agence Media Palestine

Source : Mondoweiss

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