Par Itamar Benzaquen et The Seventh Eye, le 25 janvier 2022
Israël perd la bataille de l’opinion publique à l’étranger et relance un plan lourdement financé pour masquer sa propre propagande derrière des « agents étrangers ».
Le cabinet israélien a approuvé dimanche un projet susceptible d’injecter jusqu’à 100 millions de shekels (27 millions €) dans le financement secret
de propagande gouvernementale aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux. Il est attendu de l’initiative, conduite par Yair Lapid, le ministre des Affaires étrangères, qu’elle fasse revivre un projet qui a échoué, confié jusqu’à récemment au ministère des affaires stratégiques aujourd’hui disparu, fermé en 2021. Le projet consiste à transférer indirectement de l’argent à des organisations étrangères qui vont répandre de la propagande israélienne dans les pays où elles opèrent, tout en cachant le fait qu’elles sont appuyées par le gouvernement israélien.
Le projet, initialement monté sous le nom de « Fronde de Salomon » et maintenant connu comme « Concert », était supposé servir de fer de lance au ministère des affaires stratégiques et modifier le discours sur Israël dans le monde, particulièrement en ligne. La mission de la Fronde de Salomon était vaguement décrite comme une lutte contre « la délégitimation » de l’État par « des activités destinées à élever le niveau de conscience des masses ».
Dans le plan d’origine, qui fut dévoilé dans une série d’enquêtes menées par Seventh Eye (Le Septième Œil), la Fronde de Salomon était doté d’un énorme budget de 256 millions de shekels (72 millions €). La moitié de ce montant était supposée venir du budget de l’État et l’autre moitié d’individus riches et d’organisations étrangères., principalement des États-Unis.
Le droit des États-Unis concernant les donations venant d’entités étatiques exige qu’elles soient enregistrées comme agents étrangers – un statut qui a découragé une proportion significative de donateurs et partenaires potentiels, nuisant gravement à la collecte de fonds. Le recours à la Fronde de Salomon, répertorié comme groupement d’intérêt public (GIP) mais contrôlé par des représentants du gouvernement, est censé dissiper ces hésitations.
« On assumait qu’il leur serait plus facile d’apparaître en tant que GIP plutôt que comme élément derrière lequel se trouvait le gouvernement israélien » a expliqué Ronen Menalis, l’ancien directeur du ministère des affaires stratégiques, lors d’un débat au Parlement. « Finalement, ce qui apparaît est un transfert bancaire d’un GIP et non du gouvernement israélien. Voilà l’idée ».
Malgré l’utilisation d’une instance intermédiaire, les donateurs ne se sont pas précipités. De ce fait, ceux qui étaient derrière la Fronde de Salomon ont été empêchés d’utiliser la totalité du montant du budget de l’État qui leur était alloué. Selon des données récentes du ministère des affaires étrangères, la Fronde de Salomon n’a pu recueillir que 23 millions de shekels (6,2 millions €) sur les 128 millions de shekels (36 millions €) alloués par l’État au projet. Étant donné que seule une minorité d“agents” était disposée à prendre de l’argent du gouvernement pour diffuser de la propagande à l’étranger, la hasbara (propagande de l’État israélien) n’a jamais décollé.
Livrer une bataille perdue
Le principe qui guide l’opération Fronde de Salomon et, de façon générale, la confiance de l’industrie de la hasbara dans les entités civiles pour qu’elles diffusent les messages du gouvernement, est que la hasbara à l’ancienne ne marche plus. Quand un.e diplomate ou un.e porte-parole officiel.le est placé.e devant une caméra et qu’on lui demande de transmettre au public la liste des sujets de discussion du gouvernement, le public identifie cette personne comme un.e représentant.e de l’establishment et change de chaîne. Il se passe la même chose lorsque les représentants de l’État se servent des réseaux sociaux.
En 2015, le gouvernement a décidé de reconstruire le ministère des affaires stratégiques qui était un portefeuille quasiment vide et d’en faire un corps polyvalent et innovant qui puisse coordonner les activités non officielles de la hasbara d’Israël. Sous Gilad Erdan, désormais ambassadeur d’Israël à l’ONU, le ministère a bâti un réseau d’organisations, de médias et d’activistes qui ont diffusé des messages pour le compte du gouvernement de Netanyahou et de l’establishment sécuritaire. Certains l’ont fait hors budget du gouvernement, d’autres simplement par alignement idéologique.
Le dénominateur commun est que dans la plupart des cas, le fait que les messages fassent partie d’un programme gouvernemental était caché au public auquel était estinée la propagande : des citoyens de pays occidentaux ; des Israéliens et des Juifs de la diaspora dont la collaboration était demandée ; des activistes pro-palestiniens ; des influenceurs confrontés à des attaques en ligne, et d’autres. En pratique, la campagne a été un échec sur la plupart des fronts. En juillet 2021, après la formation du gouvernement actuel, le ministère des affaires stratégiques a été fermé et certains de ses domaines d’activité et employés ont été déplacés vers le ministère des affaires étrangères. Des diplomates ont pensé que la disparition du ministère sonnerait aussi la fin de l’opération Fronde de Salomon après l’assèchement de ses finances. Pour autant, avant la fermeture du ministère, le contrat avec la Fronde de Salomon a été prolongé jusqu’à la fin de l’année 2021, avant que Lapid ne l’étende à nouveau jusqu’à mi-mars 2022.
Hasbara 2.0
Lapid veut maintenant renouveler le projet et lui permettre de continuer à opérer au moins jusqu’à la fin de 2025. Selon la proposition présentée au gouvernement, pour chacune des quatre prochaines années, le projet sera budgété à hauteur de 25 millions de shekels (7 millions €) – soumis à la capacité de son équipe et de représentants du ministère des affaires étrangères de lever un montant égal auprès de sources non gouvernementales. Au total, si la levée de fonds réussit, la Fronde de Salomon aura environ 200 millions de shekels à sa disposition. Un document distribué aux ministres avant le vote mentionnait que « la poursuite du projet permettra au ministère des affaires étrangères et au gouvernement israélien de projeter et de mettre en place de manière stratégique et structurée une politique d’action pour combattre le phénomène de délégitimation de l’État d’Israël et pour construire une légitimité civile dans le monde ».
Le document a aussi établi que « les activités des années à venir se centreront sur une extension significative des capacités opérationnelles existantes dans le domaine, en initiant et en construisant des outils et des champs d’action innovants, et en améliorant l’efficacité des activités et des efforts d’organisations et d’entités pro-israéliennes en Israël et dans le monde ».
Le document de ministère des affaires étrangères a failli à mentionner, ne serait-ce qu’à faire allusion à l’indéniable échec de la Fronde de Salomon, ainsi qu’au fait que l’utilisation d’argent du gouvernement pour faire une propagande clandestine a attiré de sévères critiques en Israël et à l’étranger.
La porte-parole du ministère des affaires étrangères, Lior Hayat, a répondu au nom du ministère : « Le ministère des affaires étrangères entend utiliser l’expérience et les enseignements dans l’organisation et les appliquer à l’amélioration de la position d’Israël en reliant la société israélienne à d’autres sociétés, tout en promouvant des partenariats avec la société civile en Israël et dans le monde.
Dans ce but, un travail exhaustif a été mené au cours des derniers mois au ministère des affaires étrangères et des changements nécessaires ont été faits pour lancer « Concert ». Le ministère des affaires étrangères est déterminé à continuer de façon significative à mieux traiter de la délégitimation, avec le monde, tout en s’appuyant sur le travail effectué jusqu’à maintenant par le ministère des affaires stratégiques, et à voir clairement la centralité de l’enjeu auquel nous sommes confrontés, tout en intégrant des outils politiques à des outils du monde de la diplomatie publique ».
Source : +972 magazine
Traduction SF pour l’Agence média Palestine