Le Naqab est une pièce-clef du puzzle de l’apartheid israélien

Par Ahmed Abu Artema, le 23 février 2022

Les forces armées israéliennes capturent un jeune Palestinien lors d’une manifestation contre un projet de boisement du Fonds National Juif, qui chasserait des Bédouins de leur terre dans le Naqab, près du village de Sawa al-Arash, le 13 janvier 2022. Oren ZivActiveStills

Le 1er de ce mois, Amnesty International a publié un rapport qui déclarait qu’Israël est un régime d’apartheid.

Que les Palestiniens vivent dans Gaza assiégée, à Jérusalem Est et dans le reste de la Cisjordanie occupée ou en Israël-même, Israël les traite comme un groupe racial inférieur et les prive de leurs droits.

Le rapport a mis en lumière la région du sud Naqab (Néguev) comme « exemple de premier plan » de la politique de longue date israélienne d’appropriation de la terre et des ressources palestinienne au bénéfice des Israéliens juifs.

Quelques semaines avant la publication du rapport d’Amnesty, des Bédouins palestiniens du Naqab avaient mené une been résistance à de nouvelles tentatives israéliennes d’exproprier de vastes pans de terre sous prétexte de reforestation.

Le mois dernier, les forces armées israéliennes ont réprimé des manifestants, tirant des balles enrobées de caoutchouc, balançant des grenades lacrymogènes et utilisant des drones. Des dizaines de Palestiniens ont été blessés et les autorités israéliennes sont dites avoir arrêté plus de 80 personnes.

La police israélienne a aussi tiré des balles métalliques recouvertes d’éponge contre les manifestants, d’après Haaretz.

Un adolescent palestinien qui passait à côté de la manifestation a perdu un œil à cause d’un tir de la police.

Le Fonds National Juif et l’Administration des Terres d’Israël cherchent à exproprier plus de 11 000 acres (4 451,5 ha) de terre palestinienne pour planter des arbres, selon Al Jazeera.

Les Bédouins palestiniens savent qu’Israël utilise depuis longtemps le « reboisement » comme moyen de se saisir de la terre dans le Naqab et ailleurs et pour cacher les points de repère et les ruines de villages palestiniens après qu’Israël les a détruits et procédé au nettoyage ethnique.

C’est la méthode par laquelle Israël signe son effacement de toutes traces de ses crimes.

Judaïsation du Naqab

Israël a adopté diverses politiques pour “« judaïser » le Naqab depuis 1948, principalement en désignant de vastes étendues comme réserves naturelles et comme zones industrielles ou zones de tir militaires autour des villages bédouins, ainsi que l’a noté Amnesty.

Israël a rassemblé les habitants bédouins et les a transférés de force dans ce qu’il a appelé des « cantons planifiés ».

Cela a eu des effets dévastateurs pour les Bédouins palestiniens de la région.

Israël refuse toujours de reconnaître 35 villagess bédouins du Naqab, les privant ainsi d’électricité et d’adduction d’eau et ciblant leur démolition, sleon le rapport d’Amnesty.

En décembre, les autorités d’occupation israéliennes ont démoli le village d’al-Araqib dans le nord du désert du Naqab pour la 200ème fois depuis l’année 2000.

Les Palestiniens ont chaque fois reconstruit le village pour seulement souffrir de nouvelles démolitions par Israël, sous le prétexte qu’il n’est pas reconnu.

En refusant de garantir un statut officiel aux villages, Israël limite la participation politique des habitants bédouins et les exclut des systèmes d’éducation et de santé. C’est conçu pour les forcer à quitter leurs maisons et leurs villages, est donc un transfert forcé qui leur est imposé.

Israël a démoli plus de 10 000 maisons dans le Naqab entre 2013 et 2019, selon Human Rights Watch.

En 2013, la Knesset, le Parlement israélien, a approuvé ce qui s’est appelé le Plan Prawer, conçu pour déplacer de force les habitants de dizaines de villages palestiniens du Naqab et de les concentrer dans des zones de ségrégation.

Cette loi prévoyait qu’Israël déplace de force 70 000 Bédouins de cette région. Et que les 35 villages non reconnus soient démolis.

Pour le moment, des manifestations populaires et des condamnations de la part d’organismes internationaux ont forcé le gouvernement d’Israël à suspendre la mise en œuvre de ce plan.

Ces projets sont conçus pour chasser les Palestiniens de la région et de les remplacer par des Israéliens juifs.

Le Naqab c’est la Nakba qui continue

Depuis sa fondation sur les ruines de villes et de villages palestiniens en 1948, l’objectif colonial stratégique d’Israël a été de voler la terre palestinienne et de déplacer de force sa population autochtone.

Du nord de la Galilée au Naqab du sud, et tout autour de la Cisjordanie occupée, dont Jérusalem Est, Israël poursuit son but.

Tandis que les forces armées israéliennes attaquaient des manifestants le mois dernier au Naqab, des bulldozers de l’occupation démolissaient la maison de la famille Saliha par une nuit froide et pluvieuse dans le quartier de Sheikh Jarrah dans Jérusalem Est occupée, jetant la famille à la rue.

Les habitants du Naqab sont bien conscients de la signification nationale de leur cause. Leur détresse est la même que celle dont souffre l’ensemble du peuple palestinien.

Certains ont appelé la répression et le déplacement forcé des Palestiniens du Naqab une version à plus petite échelle de la Nakba, le nettoyage ethnique de 1948de près de 800 000 palestiniens perpétré pour faire place à Israël.

« Ils nous traitent comme des réfugiés sur notre propre terre » a dit le militant palestinien Aden Hajjouj aux media dans le Naqab le mois dernier, en pleine ardeur révolutionnaire.

« Cette terre n’est pas à eux, elle est à nous. Nous étions ici avant 1948, avant qu’Israël ne devienne Israël ».

“This is not their land, this is ours. We have been here [since] before 1948, before Israel became Israel.”

Identité nationale collective

La qualification d’apartheid par Amnesty vient après celles du groupe israélien de défense des droits humains,  B’Tselem et Human Rights Watch l’an dernier.

Ces rapports alarment Israël parce qu’ils ternissent la fausse image qu’il essaie de projeter sur le monde.

La désignation d’Israël comme État d’apartheid dévie le focus d’une vision étroite du conflit en Cisjordanie occupée et à Gaza, vers la possibilité de voir le problème dans l’essence même d’Israël.

Comme le rapport Amnesty : « Depuis sa création en 1948, Israël a poursuivi une politique explicite d’établissement et de maintien d’une hégémonie géographique juive et de maximisation de son contrôle sur la terre au bénéfice des Israéliens juifs tout en réduisant le nombre de Palestiniens, en restreignant leurs droits  et en faisant obstruction à leur possibilité de contester cette dépossession ».

Les Palestiniens rejettent donc un État racial.

Depuis sa création, Israël a lutté pour séparer le peuple palestinien et fragmenter leur identité nationale. Les citoyens palestiniens d’Israël sont ceux qui ont survécu à la Nakba de 1948 – et leurs descendants – et ont pu rester dans ce qui est devenu Israël.

Selon où ils sont localisés géographiquement, Israël a classé les Palestiniens selon une hiérarchie d’identifications ayant des implications politiques, sécuritaires et juridiques.

Cette séparation a été mise en vigueur par la signature des accords d’Oslo entre Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine au milieu des années 1990.

Bien que les moyens de répression d’Israël diffèrent selon le classement juridique et géographique des Palestiniens, l’essence de la répression est la même : expulsion, déplacement et discrimination raciale envers les Palestiniens.

Israël espérait que de telles divisions conduiraient à un clivage dans la conscience nationale palestinienne contre le colonialisme de peuplement.

Le gouvernement israélien n’a jamais souhaité intégrer ses citoyens palestiniens, qui représentent 20 de la population du pays ; bien que ces Palestiniens soient considérés comme des citoyens israéliens officiels, Israël les soumet à une persécution ethnique et religieuse.

Les gouvernements israéliens successifs ont promulgué des dizaines de lois sur les questions de la terre, du logement, de l’éducation et du travail. Ces lois discriminent les citoyens palestiniens d’Israël, les dépouillent de leurs droits civils, confisquent leurs terres et restreignent leur espace public.

La discrimination raciale systématique d’Israël contre les Palestiniens dans le vaste territoire occupé en 1948 a contribué à la croissance du patriotisme palestinien.

Ce patriotisme palestinien, partiellement étouffé pendant des décennies dans l’Israël moderne, a été reconquis en mai 2021 lorsque les Palestiniens ont largement protesté contre l’assaut militaire israélien contre Gaza et l’intrusion d’Israël à Sheikh Jarrah.

Comme l’établit Amnesty International dans le résumé de son rapport sur l’apartheid, « Dans un affichage d’une unité qu’on n’avait pas vu depuis des dizaines d’années, (les Palestiniens) ont défié la fragmentation territoriale et la ségrégation auxquelles ils sont confrontés dans leur vie quotidienne et ils ont observé une grève générale pour protester contre la répression qu’Israël leur imposait à tous ».

Cette unité, du Naqab au sud à la Galilée au nord, à Gaza et en Cisjordanie, est essentielle pour sortir du modèle des deux États qui a échoué – qui ne garantit pas les droits des Palestiniens – et pour galvaniser les Palestiniens vers un mouvement pour un État respectant les principes clef tels que l’égalité des droits et le droit au retour.

Ahmed Abu Artema est un écrivain et militant palestinien réfugié de Ramle.

Source : The Electronic Intifada

Traduction SF pour l’Agence média Palestine

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